"La question prégnante de ce début d’année 2022 est celle de la prise de conscience et de la prise de décision de nos gouvernants pour créer le choc de confiance à destinée des soignants qui n’a pas eu lieu. Nous payons actuellement l’effet retard de la 1ère vague de Mars 2020 qui a vu la mobilisation sans faille de l’hôpital public et la mise à disposition des services financiers logistiques et administratifs indispensables au soutien de l’action de soin. La désillusion qui a suivi est à l’origine de nombreux départs et l’état exsangue de nombreuses équipes de soins n’a pas permis, alors que le sens retrouvé au cours de ces 3 mois aurait pu le permettre, de créer ou de conforter des vocations nouvelles." Dossier de presse du Comité Inter Hôpitaux 03/02/22..
Lire : "Auprès du personnel soignant à bout de force"
L'hôpital se meurt et les soignants s'épuisent
Devant la situation dramatique de l'Hôpital public, de l'épuisement psychique et physique d'une large part des soignant·es conséquence non du Covid mais saignées par vingt ans de politique exclusivement comptable de la santé qui coûte toujours trop via les ARS, chaque vendredi depuis janvier, des collectifs de soignant·es se retrouvent à 14h de plus en plus nombreux, devant un nombre croissant d'hôpitaux, à observer une minute de silence après une courte déclaration qui n'est même plus revendicatif mais l'expression d'un corps tout entier de professionnels qui n'en peut plus quand se meurt l'hôpital. Les collectifs inter Hôpitaux (CIH) regroupant professionnels de santé et usagers se mobilisent pour cette minute de silence. Les ARS sont au ministère de la santé ce que les rectorats sont pour le ministère de l'Education Nationale : les liens pour serrer la bourse et rien d'autre (si, autre chose, au besoin réprimer).
- Une minute de silence après l'acclamation et les concerts de casserole qui ont permis de tenir et se défoncer face à l'assaut massif de la contamination initiale, de l'hospitalisation et de la réanimation massives du printemps 2020.
- Une minute de silence après le Ségur de la santé qui n'a posé qu'un cautère sur la jambe de bois des personnels et rien sur l'hôpital curé à l'os.
- Une minute de silence après cette mesure parfaitement honteuse et profondément désespérante de virer les soignant·es non vacciné·es pour faire le bon monsieur qui comprend la situation et tance pour faire du bien aux petits qui n'écoutent pas.
- Une minute de silence vu que les revendications sans cesse répétées pour un budget, des postes, des lits et des salaires décents pour ces indispensables personnels et établissements et nos sociétés vieillissantes, de malades chroniques, de populations entières usées à vitesse accélérée sont devenus inaudibles à ces sourdes oreilles qui ne regardent que les courbes de chiffres et des économies, maître-mots de la bêtise du pouvoir au service de riches rapaces qui en veulent toujours plus, craignant pour leurs fortunes colossales, les manants qui se plaignent quand ils ne crèvent pas de faim (pas encore, pas tous...) ou de froid (faut traverser la route mon gars et la nuit, rentrer dans sa passoire thermique !)
- Une minute de silence pour dire la gravité de la situation et l'urgence du remède, pour amener les solidaires (dont l'intérêt à court et à terme est d'être soigné·es et bien soigné·es) à se joindre à ce mouvement silencieux qui par sa constance, sa croissance, son obstination peut en être plus fort que cris et bruits comme ces folles de la place de Mai qui, autrefois en silence tournaient chaque semaine plaza de mayo à Buenos Aires pendant et après la dictature argentine.
C'est à chacun d'entre nous de sortir de sa sidération d'une campagne présidentielle bouffée par l'extrémisme, de sortir de sa procrastination, de sa suffisance péremptoire de l'inanité d'agir ou simplement de rester au chaud bien à l'abri (combien de temps?) pour rejoindre à l'heure dite et en silence, chaque vendredi à 14h devant les sites du CHU, forcer les murs de Jéricho, sans même les trompettes mais avec l'arme de l'inflexible détermination.
L'hôpital meurt, ses personnels épuisés craquent quand ils tentent encore de faire face, puisant dans leurs ressources jusqu'à la dépression. Serons-nous solidaires quand nous sommes tous et toutes directement concerné·es, avant, maintenant ou plus tard ? Quand le prochain élu aura vendu l'hôpital, au prétexte de sa mort, qu'il faut faire quelque chose du chien accusé de la rage, il sera trop tard et nous payerons tous... ce qui peuvent payer, pas les autres et pour quels « bénéfices » ?
Rendez-vous devant les trois sites du CHU tous les vendredis à 14h. Les soignant·es ont besoin de nous. Nous avons besoin d'elles et eux.
A Clermont-Ferrand, cette minute de silence a débuté le 28 janvier. Nous étions alors à Gabriel Montpied quand des blouses plutôt claires sont arrivées en petits groupes de derrière les bâtiments, prestement organisés quand 14h fut sonné. Ce 4 février, nous étions à Estaing à la même heure, même jour (deux des trois sites du CHU clermontois avec Louise Michel à Cébazat au nord de la ville). La voici : déclaration, minute et appel à la population sur cette vidéo à regarder sans impatience : elles/ils ont bien dû l'apprendre eux face à ce mur du fric ailleurs.
Un témoignage écrit inédit, véritable choc à celles et ceux qui entendent et résonnent avec empathie. Elle est infirmière, accablée par l'épuisement, en arrêt de travail. Rien à ajouter à ce témoignage brûlant et accablant pour ses responsables qui concerne tant d'autres qui ne peuvent même pas se dire, toujours au travail ou en maladie :
"Infirmière !?
Ce métier, MON métier. Je savais au plus profond. C'était ça que je voulais faire, que je voulais devenir. Alors, on fait l'école et on devient cette infirmière. Une infirmière, une parmi tant d'autres, on en croise des fortes, des rigolotes, des abimées, des souriantes et toutes nous marquent et nous aident à évoluer. On cherche un peu notre service comme notre chemin et puis on trouve ; pour moi ce sera la réanimation, là tout bascule.
On se lève le matin (ou l'après-midi) et sans se poser de question, on prend soin tout naturellement, on prend soin des patients, des familles, des collègues, de l'hôpital qu'on aime tant, qui nous fait confiance. On serre les dents quand il faut les serrer, on sourit avec douceur pour réconforter, dernièrement on apprend même à sourire avec les yeux. On fait au mieux, on pallie au manque pour continuer, pour que tout tourne rond. On va jusqu'à craindre d'annoncer nos grossesses parce que ça veut dire congé de maternité. Notre vie personnellle se calque au rythme de l'hôpital.
On fait face aux vagues, aux vagues des patients, aux vagues de détresses, de douleurs, de décès, de massages cardiaques, de pleurs mais aussi aux vagues d'espoirs, de joies, de remerciements, de sourires et de mains qui se serrrent dans les nôtres. Tout ça en fragile équilibre.
Et puis un jour sans que je l'ai vu venir, je me suis retrouvée la tête sous l'eau. Je ne reconnaîssais plus mon servivce, plus mon hôpital, plus mes collègues et je ne me reconnaissais pas moi-même. Mais on se dit que c'est la fatigue, cette fatigue qui nous quitte rarement d'ailleurs puisqu'elle va avec la blouse. Elle est physique, psychologique presque collante mais on s'en accommode, on la subit pour faire du bien, pour soigner, alors ça vaut le coup. On regarde le planning et on est de nuit, on prend sa douche, prépare un petit sac et embrasse notre famille, nos enfants qui ne comprennent toujours pas pourquoi maman doit partir travailler alors que c'est l'heure du dodo. On fait une enième pirouette avec ce sourire sur nos lèvres et on y va. On enfile notre blouse, on prend notre relève et on va dans nos box. Et puis là tout se met à tourner. Je crains d'approcher le patient, mes jambes tremblent. Je me sens opressée. Je ne trouve pas mon oxygène. Ce poids dans ma poitrine me donne le tournis. J'ai la nusée. Je cours aux toilettes et je me retrouve à terre au sens propre, dans les toilettes. Ces toilettes, cet endroit où j'allais me réfugier, le seul endroit où je me sentais, pendant quelques minutes à l'abri.
On regarde tout autour et tout nous évoque de la peine, de le peur, de la colère et beaucoup de tristesse. J'ai vu des collègues partir, usées, à bout, je les ai serré dans mes bras, réconforté, légitimé et aujourd'hui, sans que j'ai pu anticiper c'est moi cette collègue usée et à bout. Je me sens tout sauf légitime. Les autres tiennent debout, alors pourquoi pas moi ? On se sent défaillant et l'hôpital nous traite comme tel. Il faut vite savoir... pas savoir pourquoi ça ne va pas et comment nous aider, ça c'est pas leur problème, mais savoir quand et pour combien de temps. Je ne suis plus infirmière de réanimation avec son expérience et son sourire, je redeviens l'infirmière parmi tant d'autres et là surtout l'infirmière qui n'est pas capable de prendre ses patients en charge, l'infirmière défaillante.
Les premiers en alerte sont nos proches, ils ne nous reconnaissent plus alors on entend que quelque chose ne va pas. Ces proches qui ont subi l'hôpital et son mode de vie, qui nous poussent à nous regarder et ce qu'on voit n'est pas très chouette. Alors timidement et avec honte, on finit par accepter l'aide et les mains tendues. Je ne suis qu'au début de ce processus, je ne vois pas vraiment où ça me mènera, mais pour une fois, pour la première fois, j' apprends à écouter mon corps et à connaître mes limites. Ca ne s'apprend pas à l'école...
Alors en tant que bonne défaillante du système hospitalier, je suis en arrêt de maladie, cela signifie aller chez son médecin traitant que l'on connaît peu puisqu'une infirmière n'est jamais malade ! Et puis on doit mettre des mots sur des maux... Mettre des mots je trouve que c'est le "travail" le plus difficile, il faut verbaliser ce qu'on arrive pas à intellectualiser, avec encore et toujours cette honte. J'utilise le mot "travail" parce que c'est vraiment mon ressenti, je ne suis pas "en arrêt repos" je suis en chantier. C'est à dire que mon cerveau est en PLS et mon corps est accidenté. Par moment j'en viens à envier les blessures physiques, au moins elles sont visibles par les autres. Toujours dans la crainte du jugement et de la non-reonnaissance de ce mal-être.
Donc en arrêt, cet arrêt que je dois amener où ? A l'hôpital bien sûr. Y revenir, se garer, craindre de croiser une tête connue, avoir honte, toujours en bonne défaillante que je suis. Et une fois déposé, vite aller à la voiture la tête baissée, et pleurer un bon coup. Voilà où j'en suis, voilà où l'hôpital m'a amené. Un hôpital qui est devenu défaillant à cause de tout un tas de choses que je ne maitrise pas et qui maintenant engendre des défaillants."
Le 28 janvier à Gabriel-Montpied