Invisibles et oublié.es, ils/elles sont des milliers à attendre en colère et en détresse un rapatriement qui s'éternise en Algérie pour regagner la France. Elle est à Tamanrasset, française alternant travail comme cadre médico-social en Charente-Maritime ou séjour familial et administratif dans ce sud-Sahara profond à plus de 2000km d'Alger. Aujourd'hui c'est elle, Chantal Guitton- Yahiaoui qui s'exprime ici pour lancer cet appel pressant par-delà la Méditerranée et ces paroles qu'elle m'adresse comme une bouée.
Georges-André
"Aujourd’hui, 14 mai, je suis toujours bloquée à Tamanrasset, grand Sud du Sahara, et ce depuis le 21 mars, seule, sans mon conjoint, loin de mes enfants et petits-enfants, de ma mère en EHPAD et dont la santé se dégrade de semaine en semaine, dans l'impossibilité d'exercer mon emploi de cadre médico-social auprès d'un public le plus fragilisé et touché de plein fouet par la pandémie et ses conséquences.
Depuis mars, les situations aussi sévères que la mienne se comptent par dizaines de milliers, situations abracadabrantes de femmes enceintes ayant accouché loin de leurs conjoints, enfants en bas âge privés de leurs parents, personnes âgées malades privées de leurs médicaments ou ayant des rendez-vous médicaux, personnes dont un parent est à l'agonie, personnes qui ne perdent le poste pour lequel elles ont été recrutées avant leur départ … autant de vécus douloureux.
Des personnes venues de villes lointaines, entre couvre-feux, qui dorment devant l'aéroport d'Alger sans ressource et sans manger en plein Ramadan, dans l'espoir d'embarquer.
Six mille personnes ont été rapatriées. D'autres milliers ou dizaines de milliers attendent. Chiffre difficile à préciser tant les chiffres officiels sous-estiment. Dix-mille attendraient encore, comme l'a dit M’Jid el Guerrab, député des français de l'étranger au Maghreb.
« Français bloqués en Algérie » et «Rapatriement français » rompent notre isolement, nous permettent de trouver des informations concrètes sur les conditions du rapatriement qui ne sont transmises à aucun moment par le consulat. On y apprend notamment que le billet d'avion, à notre charge, coûtera 250€, plus cher que nos aller-retours initiaux ! Quelques uns assistent les plus démunis pour appliquer les procédures de demande de rapatriement, quand d'autres recensent les besoins en médicaments et se chargent des commandes…
Les dirigeants ont tantôt argués « que nous n'avions pas pu ou pas su être au rendez-vous » (Ministre des Affaires étrangères Le Drian en visioconférence avec les sénateurs), tantôt que « nous passons habituellement du temps au pays » (le même à l'Assemblée Nationale) tantôt nous ont « appelé à la responsabilité » ( Réponse de l'Ambassadeur de France aux articles de presse sur le site de l’ambassade).
Nous sommes français-e-s, algérien-n-e-s, franco-algérien-n-e-s, résidents-e-s des deux côtés.
Les politiques de l'Algérie et de la France ne peuvent rien contre cette qualité qui est la nôtre : savoir vivre dans chaque lieu, y trouver ressource, y lutter, y donner notre cœur, dans des temps différents.
Jour par jour, nous nous arrangeons des travers des français et des algériens, en rions, et mieux, nous sommes ceux qui cultivons l'art de prendre le meilleur de chacun.
Nous avons besoin du respect et de la reconnaissance par chaque pays, ses dirigeants, responsables, habitants, tour à tour. Immigrés, d'un sens et l’autre, coopérants, voyageurs, frères, sœurs, parents, amis, collaborateurs, nous sommes liés.
Aujourd’hui, les circonstances nous font apparaître comme une minorité… dont le nombre a été mal apprécié. Les moyens à disposition des agents consulaires, interface par définition, et les modalités d'organisation du rapatriement en sont la conséquence : deux avions de 170 places par semaine, passés à cinq par semaine, annonce le même ministre des Affaires étrangères le 13 mai, et le lendemain, avec la mise en place de la distanciation, ramenés à moins de 100 places par vol !
Nous pâtissons des relations politiques entre nos pays, et aujourd’hui, la souffrance du sentiment d'abandon, nous fait nous resserrer mais aussi éclater en contradictions, en demandes à répétition harassantes... Parce qu'éclaté.es nous le sommes, privé.es de nos familles, de notre travail… parce que sans indication de dates, de moyens, par défaut de réassurance, nous désespérons, littéralement.
Nombre d'entre nous ont écrit aux députés (français de l'étranger et de nos circonscriptions en France), à l'ambassade, au Premier Ministre, à la cellule de crise du ministère des affaires étrangères. Quand il y a réponse, elle est générique, copié-collé du site de l’ambassade, indiquant les démarches à faire…déjà réalisées dès fin mars…
Parce que citoyens de notre pays d'accueil ou d'origine, nous avons le sens de l'engagement, envers nos familles, nos logeurs, nos employeurs, etc… Nulle part, on ne peut s'imposer à vivre au-delà d'une semaine aux dépens de sa famille ou d’amis sans que cela n'ait des conséquences relationnelles et économiques.
Dans un contexte défini par la préoccupation sanitaire, pouvez vous imaginer que des personnes fragiles, malades chroniques, soient privés de leur suivi et de soins ? Pouvez vous imaginer que des priorisations soient réalisées par des personnes bienveillantes certes, mais sans compétences médicales et mues par la nécessité de gérer au « moins pire » compte tenu du ratio ahurissant, absurde : nombre de personnes/ nombre de vols.
Des rapatriements ont eu lieu de tous continents, des départements et territoires d'outre mer, « Cent quatre-vingt mille personnes » a-t-on avancé. Alors, qui sommes nous, pour que des moyens conséquents, de gros avions, des prises en charge spécifiques ne soient mis en œuvre ? Quantité négligeable, méprisable, osant circuler entre ces pays sur lesquels la France a autrefois exercé sa puissance et son contrôle?
Quand nous rentrerons, contrairement aux retours de l'Union Européenne, nous serons en quarantaine pour quatorze jours, nous, confiné.es depuis deux mois maintenant dans un pays qui compte pour vingt-deux millions d'habitants, à peine 6 000 personnes touchées, et de trois à huit décès par jour pour tout le pays !
Aujourd’hui, 14 mai, je suis toujours bloquée à Tamanrasset, je suis répertoriée prioritaire, ce qui veut dire que je peux avoir un appel demain…pour un vol après demain. Dans tous mes e-mails, j'ai précisé la particularité de ma situation et l'hypothèse de la débloquer grâce à l'intervention diplomatique pour que je puisse bénéficier d'un vol militaire ou d'un voyage en voiture sous escorte (en regard des multiples barrages, couvre-feux, statut d'étrangère) pour les 2 000 kilomètres de désert qui me séparent de l'aéroport de départ, Alger.
Je me sens glisser vers l'épuisement psychique de par cette situation, j'ai peur de sombrer dans la dépression et de ne pas être à même de reprendre mon emploi à l'arrivée si cela dure encore.
Vous pouvez m'aider, nous aider en interpellant vos députés. L'un d'eux, M.Viry, député des Vosges, a entendu nos appels et demandé la création d'un commission d'enquête sur les rapatriements d'Algérie. Invitez vos députés à rejoindre cette demande si vous le pouvez.
Ce partage est une bouée.
Chantal Guitton-Yahiaou
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Le titre du billet est de Chantal