Il y eut un début de l'épidémie même si certain·es semblent en douter qui ne voyaient alors que fin de préhistoire comme si avant était la nuit et qu'elle nous donna le jour. Au début donc, paré de toutes les vertus bienfaisantes, le virus devait apporter une franche liberté du Tout-en-un quand il fut savamment orchestré par les marchands de virus tout enjoués devant l'appât du gain mais aussi par la trace laissée que nous ne sûmes que plus tard et dont maintenant chacun se moque avant de s'en mordre les doigts.
Le monde entier fut le terrain de jeu de ce virus mutant toujours plus vite pour renouveler les appétits. Personne ne vit le danger. Certains en virent l'intérêt pour tracer à toute heure et en tout lieu, récolter notre état de santé et le reste pour nous conseiller doctement, surtout raconter des histoires aux allures de faits réels pour nous mener par le bout du nez. On apprit aisément à vivre avec, toujours plus avide de nouveaux virus. Un virus qui fait aimer les virus ! La médecine n'avait pas prévu le coup !
Il fait maintenant partie intégrante de notre corps, protubérance manifeste minorée et intime, quoique détachable, en théorie. La théorie c'est quand même pratique : elle n'envisage pas que le réel soit juste un peu plus complexe ou mêlé de différents imprévus qui change tout. En pratique, il n'est guère possible de s'en détacher depuis que cette excroissance a pris corps, un temps que les plus jeunes, nés avec, ne peuvent pas imaginer. Les autres ne s'en souviennent guère se demandant comment nous faisions avant cette protubérance quand tout un chacun en est maintenant doté comme un morceau de soi ?S'en détacher suscite l'ire et le sentiment d'abandon et de perte irrémédiable, Perdre des neurones passe, mais l'appendice, nenni !
C'est bien une pandémie qui s'est abattue sur le monde. Certains regrettent cette affection dévorante qui rend stérile la pensée après l'avoir un temps stimulée. Chacun se prend pour Narcisse sur chaque goutte d'eau rencontrée pour se la péter un max et grave devant ses ami·es esbaudi·es qui en font autant avec leurs propres gouttes scintillantes de mille feux frelatés. Ainsi le même visage partout, banalité de nos reflets. Le même à l'infini polluant toutes les visions du monde aussi majestueuses soient-elles. On ne s'efface plus, on se met en scène systématiquement.
Les ami·s ? « Je te montre ma goutte et t'es mon ami·e » (ou alors le contraire et je te pourrirai autant que possible pour t'acculer, si possible en meute, où tu ne voudrais pas aller). Ces « amie·es » sont partout, la plupart inconnu·es, rivé·es également sur leur membre nouveau tout auréolé·es d'une fausse liberté qui résonne comme un appel incessant pour s'user à tuer le temps. Accros. Ah nos attentions, nos caresses, nos confidences, nos espoirs, notre temps de sommeil pour en abreuver quiconque et s'abreuver ! Alors comme « ami·es », (mot magique qui fait prendre la telline pour du homard) plus on en a, plus c'est mieux paraît-il. Faut dire qu'en chair et en os c'est de plus en plus compliqué de s'en faire, à se tâter l'appendice à tout moment, repas compris quand pas un n'ouvre la bouche et ne se regarde jamais. A la fin, on se dit « au revoir après ce beau repas » où le palais n'a pas eu son mot à dire quand les yeux et l'attention étaient ailleurs. Oui, ce virus pernicieux a touché les yeux, les mains et toute l'attention.
On dira comme certains que c'est bougrement intéressant de se parler, de rencontrer l'autre si loin, c'est bien et utile pour se retrouver en communauté, en groupe, en procession pour faire valoir son point de vue qui n'est pas pris en compte au dire de chacun·e. Personne ne trouvera que la mariée est trop belle à ceux et celles qui l'épousent ou font partie de la noce barbare. Les petits bénéfices tirés servent d'arguments pour éluder les gros méfaits qu'il nous apporte. Chacun en est pourvu dès l'enfance, hommes, femmes et enfants. Rien à faire, pas possible d'y échapper.
Si encore il ne poussait que tardivement, mais j'ai bien vu de mes yeux réellement vu en vrai que pour que les marmots se tiennent tranquilles, soient occupés, voire qu'ils apprennent à regarder des navets, pour que des inquiet·es suivent le petit à la trace dans la jungle des peurs médiatisées ... J'ai bien vu qu'en certains pays, avant même que le bambin ne marche, il tient fermement cet appendice qui ne le quitte pas des yeux, hypnotisé par tant de couleurs, de célérité animée, magique. Je ne dirai pas lesquels, gageons que c'est partout pareil. Ce pourrait être la France. Cette découverte, si elle était, ne plairait pas à ce qui se pense en « Douce France cher bijou de notre engeance » pour ne jamais vouloir jeter la pierre à l'appendice qui fait toute la distinction entre nous, entre le plus grand, le plus neuf, le plus addict. Qui est le plus malin ? Qui sait mieux s'en servir ? Qui a la dernière nouveauté ? Comme si la dernière nouveauté redonnait du fun et du pep's à l'enthousiasme déclinant pour sans cesse s'en réjouir et repartir en goguette à défaut de Cythère.
Un village gaulois résiste pourtant à cette pandémie, à cette poussée de l'excroissance. Un village, peut-être d'autres, bien caché comme pour nous dire quelque chose, chuchoter à l'oreille que décidément, le monde est cerné par l'onde qui terrasse. Ceux-là, celles-là ne peuvent pas s'y adonner, si immunisé·es que toutes en souffrent rien que de la sentir toute proche. Alors ils et elles se sont retirée·es en verdure pour trouver un peu de calme, pour survivre, vivre enfin hors du tohu-bohu qui ne leur convient pas. Ne croyez pas qu'ils et elles soient des malades, bien au contraire, retrouver cet air de liberté qui flottaient de main en main, de bouche en bouche pour qui savait tendre l'oreille, écoutait et alors disait. Image idyllique ? Certainement.
Il est d'autres villages reculés dans les montagnes, au fond des vallées étroites où l'onde ne coule plus au fond des ruisseaux près duquel un agneau … mais dans l'air, enfin quelque part dans ce monde que nous ne voyons pas. Cette protubérance a poussé comme champignons en fin d'été, aussi vite qu'ailleurs ; ces communautés reculées (qui ne le sont que géographiquement par rapport à notre norme péri-urbaines) nous montrent d'autres façons de vivre avec la nature dont nous sommes, d'autre joies qu'amasser par la création, le partage, l'accueil, le respect de l'autre qui pense autrement, l'attention à l'autre qui chez nous n'existe plus sauf par intérêt ou encore dans quelques îlots civilisés bien frêles, bien fragiles, bien ténus qui me sont si rares. Là, j'ai compris combien ce nouvel appendice introduit une rupture irrémédiable en valorisant le frelaté, en allumant l'illusion d'un ailleurs de rêve, stimulant la pensée toute faite, grégaire, distribuée abondamment par tous les bouts en boucle qui nous éloignent sous prétexte de nous rapprocher, qui donnent de fausses nouvelles vendues pour argent comptant. J'ai vu par la pensée combien ils et elles devront partir attiré·e par l'enivrant parfum d'ailleurs pour ne trouver souvent qu'à s'entasser en zone, déculturé·es ?
Vous me direz qu'il y a plus urgent dans ce monde désorienté en proie aux doutes, aux peurs, à la violence sous toutes ses formes et aux menaces dont la liste s'allonge, comme si c'était partout, comme si c'était toujours inopportun d'en dire les méfaits ou balancer avec ses « bienfaits » avant que les générations les plus jeunes et futures renvoient nos errements apathiques à une sale période de l'Histoire humaine où tout servait à éviter de se rencontrer et prendre soin les uns des autres ?Serait-il déjà trop tard pour apprivoiser avant d'étouffer, conscient de ce qui étouffe mais sans y renoncer ? Vous me direz encore que ce n'est pas d'actualité tant celle-ci est surchargée de tristes tropismes. Quand ce membre qui démembre nos esprits, sera-t-il donc mis à sa place et contenu non aux bons vouloirs de chacun·e mais par quelques règles simples et tenables qui ont plus à voir avec les faiseurs de virus que ses utilisateurs ? Quand ceux-là même qui veulent et agissent pour un autre futur prendront-ils le taureau par les cornes pour ralentir sa croissance sans fin, le laisser à une place sans la prendre et prendre tout le temps qui dévore nos vies et revenir à de plus directes relations sans pour autant diaboliser par un fallacieux jugement binaire type 1 ou 0 (« En avoir ou pas » écrivait Ernest Hemingway), binaire jugement qui ne dit rien de la sortie de cette route vers l'abîme – une de plus direz-vous avec raison - mais jette le bébé avec l'eau du bain comme pour dire que l'eau du bain sera toujours notre miroir aux alouettes ? Sa coûteuse vie énergétique à elle seule ne devrait-elle pas nous réveiller avant que nous touchions le fond de l'abîme incapable de remonter la pente, pris alors de panique comme déjà nous pouvons en sentir les prémisses dans cette descente aux enfers qui est là nous incitant à agir avec discernement et détermination.
Vous me lirez sans doute avec un brin d'amusement ou de dédain, en astiquant votre propre excroissance. Qu'importe. La modernité, fut-elle partagée avec avidité et constance, n'est pas le progrès. Elle meuble d'espaces insipides et dérisoires nos vides et nos désespérances pour occuper le temps à le perdre pour se contempler ou s'hypnotiser.
Il faudra bien retrouver le progrès qui n'est pas table rase comme si ceux d'avant ne méritaient que condescendance pour leurs minables trouvailles vite rangées avec commisération aux rayons des vieilles idées qui ont fait leur temps qui n'est plus le nôtre.
Un jour, un jour peut-être... avant trop tard ?