De la libération à la fin des années soixante-dix, le « peuple communiste » s'engagea avec courage, abnégation et conviction à développer des réseaux d'entraide et de solidarité avec souvent une convivialité certaine à condition de rester dans cette organisation centralisée et de la suivre sans critique pour n'être pas viré de tous ces réseaux. Du dimanche à distribuer le journal au 1er mai à parcourir les villes pour vendre le muguet en passant par tous ces réseaux associatifs et ces villes (banlieue rouge et autres) détenues par le PCF *, durant ces trente-cinq années où ces militant·es de terrain avaient le point rageur et la proximité avec les camarades qui n'étaient pas seulement des camarades de combats mais des jours et des fins de mois difficiles de fric et de solitude.
A cette époque, il ne fallait pas critiquer la direction du parti fut-elle aux ordres du PCUS dans un internationalisme dévoyé comme si la mère-patrie du socialisme l'était vraiment. On sait ce qu'il en fut d'horreurs et de crimes. Nombre de ces critiques ont vu la porte se refermer derrière, rejeté, écarté ou viré en douceur : anciens dirigeants de la Résistance, Charles et Raymonde Tillon puis plus tard, Roger Garaudy, Pierre Juquin, Guy Hermier pour n'en citer que quelques figures connues et tant d'autres sur le terrain qui ont compris à des moments variables la faute stratégique du PCF d'alors. Il ne fallait pas critiquer ceux qui savaient mieux que vous ce qui était bon pour le peuple et suivre aveuglément.
En participant au gouvernement Mauroy de 1981, Charles Fiterman, Anicet le Pors, Jack Ralite, Marcel Rigout ont fait du bon boulot et pris quelque conscience de l'errance de l'ère Georges Marchais. Devenus refondateurs ou réformateurs, trois d'entre eux ont quitté par la suite le PCF pour rester cohérents et conscients dans leurs combats.
J'admirais le courage et l'abnégation, je détestais le sectarisme, le dogmatisme et l'intolérance. Je sais combien durant ces années 80, avec l'effondrement du score électoral (28% aux législatives de de 1946, 2,5% aux européennes de 2024) que rien n'a pu enrayer, ces militant·es de terrain ont souffert de voir se déliter ces réseaux d'entraide qui aident à tenir et ne laissent pas seul, de se voir ainsi marginalisé·es après tant d'année de dévouement et de luttes. Il fallut avaler tant de couleuvres avant d'ouvrir les yeux sur le réel des années passées, des démocraties populaires et de l'URSS, reconsidérer une Histoire si bien arrangée, une rhétorique à toute épreuve que Georges Marchais incarnait avec brio et tant de mauvaise foi.
Pas les circonstances mais les mécanismes se reproduisent
L'Histoire ne se répète pas dit-on. Les circonstances bien sûr jamais ne se répètent mais les mécanismes qui conduisent à resserrer les rangs autour d'un chef, élu ou pas, mais toujours charismatique et grande gueule sont une constante des mouvements qui, estimant la haute valeur de leur engagement et de leurs convictions, de leurs choix politiques, stratégiques et tactiques oublient que de l'arc en ciel naît la lumière et pas d'un seul point de vue fut-il partiellement valable et affirmé avec talent et force. Il n'est jamais facile quand on est fortement engagé dans une organisation de sentir que les choix, les décisions, les déclarations prises, ne cadrent plus tout-à-fait avec les objectifs et la pédagogie de l'action. S'insinue la question des moyens qui en viennent à obérer la fin, à la démentir, lui tourner le dos. Prendre de la distance avec ses camarades n'est pas aisé ni de tout repos, c'est un peu laisser de soi, de son histoire et du confort d'être ensemble au combat qui s'en va sans parler de possibles retours de manivelle et des dos tournés. Un certain vertige personnel peut aussi prendre corps : ne serait-je pas devenu celui ou celle que je ne voulais pas devenir ?
On reste alors sans trop le vouloir et surtout le voir même si vos oreilles chauffent d'entendre enfin ce qui est. On reste dans le silence de ses questions, de ses prises de conscience, à l'écart du réel dans un contre-productif invisible à ses yeux sans cesse plus massif, par soumission à l'autorité ou dogmatisme idéologique. Le feu des accusations, des critiques, l'organisation attaquée, en perte d'audience renforce le lien qui attache à faire front sans ajouter de supposées difficultés par des critiques même pertinentes. C'est pourtant alors le changement, l'évolution, la fenêtre ouverte qui peut dénouer la situation pour la seule issue par le haut et sans casse. A défaut une plus ou moins lente descente et perte d'influence est promise, si ce n'est de se ses valeurs proclamées.
Le talon d'Achille du Front populaire
L'Union Populaire a soulevé un immense espoir d'une possible victoire législative face au RN. Pourtant l'épine, le talon d'Achille est encore Jean-luc Mélenchon qui en procédant à une purge de militant·es aguerris et fort utiles donne encore la preuve d'une direction autoritaire et personnelle loin d'une démocratie interne. La figure du tribun à grandes gueules de Georges à Jean-Luc en passant par Jean-Marie enferme et condamne au repli y compris à la porte du pouvoir. Quand on proclame vouloir instaurer une démocratie plus réelle, il est étrange de considérer que le mouvement gazeux dirigé par le chef qui écarte les têtes critiques serait un gage de démocratie. Personne n'aurait de mandat à vie mais JLM lui-même en a eu un bon paquet (60 ans de mandat écrit Stéphane Alliès dans Médiapart). Bon, chacun voit midi à sa porte mais cet épisode porte atteinte à l'unité populaire, affaiblit la dynamique vitale qui doit mener les gauches unies à Matignon le 8 juillet et pas le RN. Nous sommes les challengers, pas les favoris.
Il n'est pas évident pour les militant·es, les responsables, les élu·es de se dire que le temps de l'émancipation est venue, le temps après Jean-Luc Mélenchon, le fondateur devenu cette figure du père Fouettard avec brio et mauvaise foi qui rebute tant d'électeurs et d'électrices. Il peut se retirer et laisser vivre ce mouvement avec un fonctionnement plus démocratique à construire bien nécessaire. Il n'est pas un reniement mais un enrichissement et une cohérence que le citoyen peut attendre. Il peut se retirer avec les honneurs avant que de commettre l'irréparable qui renverrait chacun·e à ses querelles subalternes tandis que le RN triompherait pour longtemps.
JLM sera-t-il celui qui, par trois fois - 2012, 2017, 2022 - a impulsé une dynamique portant la gauche au plus haut de trois présidentielles sans pourtant même parvenir au second tour et celui qui peut atteindre, affaiblir la dynamique actuelle de front populaire, une dynamique vitale pour notre avenir commun dès ce début d'été ? Ce serait un crime contre l'intérêt général et le peuple de gauche qui a repris espoir et se mobilise. Le plafond de verre piqué au FN n'est plus admissible ni tenable, il faut gagner en 2024 et en 2027. Les militant·es de gauche de tous bords ne peuvent se laisser voler une victoire possible.
* où la légalité n'était pas toujours à l'ordre du jour pour financer tel ou tel projet ou groupements alliés ou satellites