Depuis plusieurs années avec Metoo et Ciivise, pas une semaine, maintenant pas un jour, où viols, agressions sexuelles, incestes, enfants traités en proie par des pédophiles d'occasion ou d'habitude ne s'étalent dans la presse, toute la presse démontrant par l'ampleur la généralité de ces crimes et les souffrances de ces victimes. Coup sur coup, l'Abbé Pierre est déboulonné après une vie cachée d'agresseur sexuel, le méga-procès de Mazan avec ses cinquante accusés et l'organisateur en chef de ces soirées où le viol d'une femme endormie réjouissait. La coupe est pleine d'une souffrance infinie de ces méfaits, de ces peurs constantes qui appellent les hommes, tous les hommes collectivement et individuellement à se réformer pour abolir un système patriarcal qui exploite les femmes comme jadis les colonisateurs exploitaient les pays colonisés (même s'il en reste au moins un qui caracole dans la guerre et la colonisation-annexion en toute impunité).
« Pas tous les hommes » entend-on. Une réaction défensive, s'il en est, qui signifie bien plus que ce qui est dit. Tous les hommes ne sont pas des violeurs, des prédateurs, des chasseurs de femmes, certes, mais pour le sexisme (et les propos homophobes et transphobes), c'est encore plus qu'un échantillon de la gent masculine qui s'y livre sans aucune honte ni retenue. Qui n'en a jamais tenu ? Bien peu sans doute.
Que dit réellement cette vaine défense ? J'entends : « C'est les autres, pas moi. Je n'y peux rien. » Une façon de s'exonérer de toute responsabilité, de fermer les yeux et les oreilles, de laisser faire à côté de soi sans lever le petit doigt. « Pas tous les hommes » et pourtant tous les hommes sont concernés par cette prédation si prégnante et présente depuis si longtemps sauf à se complaire dans son confort mental dans une attitude lâche d'indifférence pour refuser d'entendre ces cris. Il suffirait de dire : « Je suis contre le viol et l'agression sexuelle », une simple déclaration tellement minimale, si peu engageante que ce serait risible d'inanité si ce n'était si grave.
Regardons en miroir : toutes les femmes ne sont pas violées ni agressées sexuellement et pourtant nous considérons bien aujourd'hui – sauf à être encore homme des cavernes – que trop c'est trop, que l'ampleur de ces agressions inimaginables voilà peu par leur nombre et leurs conséquences aujourd'hui largement dites, concernent toutes les femmes et d'abord par la peur d'en être victime partout, en famille, en transport, aux travail, en soirées, la nuit venue même éclairée, traverser seule place et rue avec cette trouille au ventre qui fait mal*, qui détruit le plaisir possible ou que la nécessité impose, peur de toujours d'être agressées, violées, proie facile quand elle n'était pas autrefois de « tomber » enceinte.
Lire : « On s’échange des femmes comme on s’échange une place dans le boys’ club »
Les hommes, moi-même homme parmi les hommes, sont tous concernés, pas tous bousculés peut-être effarés devant l'ampleur de ce système patriarcal qui conduit du sexisme ordinaire, banal, partagé en rire goguenard à l'agression qui se permet d'astreindre le corps des femmes pour s'achever en viol ordinaire banalisé ou banal dans la chambre à coucher ou encore à l'occasion de rencontres de familles, d'événements divers. Ce fléau public détruit l'avenir. Outre le coût individuel pour ces femmes qui maintenant ne peut plus être ignoré, qui dira le coût de ces millions d'agressions sur le destin collectif de notre peuple et de ses enfants ? Une souffrance immense pour fléau social qui pèse sur nos sociétés, à bas bruit jusqu'à ces quelques années mais pas sans conséquences.
J'ai honte, oui j'ai honte. Pas un mot de circonstance comme si vite il pourrait s'imposer formellement comme une preuve dérisoire de solidarité, comme autrefois « Je suis Charlie » s'était imposé au plus grand nombre pour s'envoler bien vite. J'ai honte. Pas seulement pour ces si abominable parties de plaisir criminels et veules durant dix ans qui ont traité Gisèle Pélicot en esclave sexuelle mais aussi et depuis longtemps pour toutes ces violences faites aux femmes à ces dizaines de millions de femmes (pour ne parler que de notre pays) depuis la nuit des temps, poussées au silence, à l'abnégation, à souffrir en silence, à être réduite aux fonctions maternelles et conjugales, à la maison, à partager et à transmettre cette culture du plaisir masculin à satisfaire, de sa « supériorité », à accepter sa condition dite « naturelle » d'infériorité... Nous, hommes, en sommes tous comptables et coupables, non pour ce qu'individuellement nous avons fait ou pas fait mais parce que collectivement, nous avons participé, malgré des corrections, à perpétuer ce système patriarcal.
L'acte monstrueux d'hommes ordinaires
Par la volonté, le courage, la force de Gisèle Pélicot, par le récit de journalistes honnêtes (les autres n'en parlons pas) qui rendent compte du méga-procès de Mazan, la vérité de la banalité du mal d'hommes ordinaires éclate enfin : ce n'est plus des monstres assoiffés de chair fraîche mais des hommes qui par ailleurs peuvent être de braves types, sympas et positifs. L'acte monstrueux perpétré par un homme ordinaire. Cette banalité du mal qu'exprimait Hannah Arendt pour dire combien des hommes ordinaires, sympa en famille, aimant leurs enfants, pratiquaient la shoah et la torture, c'est aujourd'hui du même tonneau. C'est le cas de l'Abbé Pierre qui a impulsé les associations si importantes que l'on connaît pour les plus démunis et dans le même temps pendant 50 ans, a agressé ou violé tant de femmes (au-delà de la règle du célibat des prêtres qui ne nous concerne pas)..
Cette cruauté des destins féminins dans l'univers patriarcal ne peut plus être colmatée, allégée. Il nous faut – hommes – lâcher la virilité, la force du mâle, le sexe fort quand il est si démesurément faiblesse. Nous ne sommes pas légitime à encenser LA femme , mère, épouse et reproductrice et la maintenir dans cette domination/subordination qui fait horreur. Abolir le patriarcat est certainement le plus souhaitable et le plus urgent. Peut-on l'abolir totalement dans un système économique qui exploite le vivant – dont nous sommes – l'asphyxie et le détruit ? Ce combat s'apparente à nettoyer les écuries d'Augias. Le fleuve des souffrances coule déjà.
Eduquer et prévenir
Cette lutte longue et incertaine quoique portée par un dynamisme fort et la dénonciation publique des femmes violées ou agressées sexuellement passe par l'éducation et la prévention dans les associations fréquentées par les enfants et les jeunes ; l'école en apportant une éducation à la sexualité et au consentement (refusé jusque là par les lobbys et réacs) et les familles telles qu'elles sont dans leur diversité et leurs possibilités. C'est dire le long travail à effectuer pour que cessent ces discriminations, ces dominations brutales comme subtiles et le respect de chacun·e. Il faut espérer que ce ne soit pas aussi long que la longue recherche d'une société plus juste et égalitaire renvoyé toujours à demain depuis tant de siècles. Il est vrai que ce combat contre le patriarcat est bien plus récent, malgré ses pionnières, pour une domination si longue que nous pouvons la croire millénaire de l'enlèvement au droit de cuissage et aux emprises chimiques et psychologiques d'aujourd'hui. Alors tout est possible par la révolution féministe qui peut allier, qui devrait allier, qui doit allier Femmes et Hommes pour ne citer que ceux ou celles qui se reconnaissent dans ces genres.
Lire : « Pas tous les hommes, mais que des hommes »
Je me souviens …
J'ai tant souffert de cette virilité – comme d'une mutilation - que mon père voulait m'inculquer enfant sans rien m'expliquer. Je comprenais seulement que c'était taire ses émotions, ne rien laisser paraître, encaisser sans rien dire quand il fut pourtant un militant de toutes les époques, de toutes les causes justes, de l'indépendance algérienne à mai 68 jusqu'à initier une grève de la faim.
J'ai un souvenir précis, toujours vif quand ma mère bavardant devant moi avec une voisine rencontrée dans la ruelle en revenant de chez ma grand-mère. Elle disait en substance : « Mon garçon marche bien à l'école, mes filles aussi mais c'est plus important pour lui que pour mes filles... elles se marieront ». Elle m'a blessé si profondément à cet instant. « Quoi , mes sœurs moins importante que moi ? ». J'étais outré, j'avais 7/8 ans. Je ne l'ai jamais oublié : les deux alimentaient ce système patriarcal.
Plus tard arrivé en seconde dans un internat de garçons, il était nécessaire d'avoir, de payer un « permis de chasser » pour « aller draguer les filles » de l'autre internat ! Nous étions adolescent·es et c'était un moule.
Lire : « Oui, tous les hommes sont coupables, coupables d’être restés des indifférents ordinaires »
La cause des femmes est la cause des hommes
Lire : "Plus de 200 hommes signent une feuille de route contre la domination masculine"
Oui, l'abolition du patriarcat peut prendre des formes qui génèrent des réticences, des peurs, des incertitudes dans un avenir inconnu, des questions bien au-delà de ceux qui voudraient s'accrocher à ce système de pouvoir. Ce carcan patriarcal enferme femmes et hommes dans des rôles figés, tout aussi déséquilibrés que déséquilibrants.
Il est aujourd'hui banal de penser et de dire que la cause des femmes est aussi la cause des hommes. C'est pourtant vrai plus que jamais. C'est aussi ce qui peut permettre d'inclure les autres genres et ces iels qui ne s'en reconnaissent d'aucun.
Qu'est-ce qu'être homme aujourd'hui ? Qu'est-ce qu'être femme aujourd'hui ? Ces deux questions se posent en miroir. Les organisations féministes, les débats entre féministes apportent leurs réponses côté féminin surtout. Il n'y aurait que des organisations masculinistes et suprémacistes pour répondre à la première question ? Pas possible.
Ne faudrait-il pas revoir cette logique de la séduction qui amènent tant d'abus ? Ne faudrait-il pas renoncer au star system qui éclaire une face idéalisée pour en cacher l'autre ? A l'heure des réseaux sociaux dominants, des applis envahissantes en tous genres, des influenceurs et influenceuses vénérés, où « liker » à la chaîne vaut mieux qu'une rencontre réelle, on peut penser qu'il a encore de beaux jours devant lui.
Il est temps d'entendre et d'agir. Nous pouvons entendre Camille Froidevaux-Metterie, philosophe, quand elle dit :
« Peut-être faut-il leur [les hommes] répéter que nous avons besoin d’eux, leur rappeler que nous attendons leurs engagements, les assurer que nous ne les accablerons pas pour être de mauvais alliés ? Car nous avons aussi une responsabilité, celle d’avoir trop souvent opposé notre méfiance et notre insatisfaction à ceux qui tentaient de nous rejoindre. Si le temps est venu pour les hommes de sortir de l’inaction, il est aussi venu pour les féministes de les accueillir. Aujourd’hui, nous leur disons, ayez honte, et faites de cette honte le moteur d’une implication quotidienne dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Et sachez que, si vous êtes avec nous, nous ne serons jamais contre vous. »
* OLF 63 a organisé une marche nocturne exclusivement féminine le 14 septembre à 22h pour se réapproprier les rues de Clermont-Ferrand la nuit.