Deuxième volet de l'interview réalisée avec Hiba le 19 avril à Clermont-Ferrand, maintenant investie avec « Blouses blanches pour Gaza » aux côtés de l'AFPS63. Nos remerciements pour sa disponibilité et sa confiance. Retrouvez le témoignage de sa mission MSF au Yémen sur Pédiatre, elle revient d'une mission de six mois au Yémen
Hiba précise raconte : Après ma mission MSF au Yémen, je suis rentrée en France et revenue à Clermont-Ferrand fin 2023 puisque je suis clermontoise, Depuis, pédiatre, je fais des remplacements dans différentes structures hospitalières. Je me suis engagé dans l'associatif en particulier avec l'Association France Palestine Solidarité et « Blouses blanches pour GAZA ».

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G-A : Ce collectif « blouses blanches pour GAZA » qui regroupe-t-il ?
Hiba : C'est un collectif de soignants solidaires avec la population palestinienne et particulièrement ses soignants. C'est un collectif qui est national sur le territoire français qui tend à s'étendre avec des antennes locales notamment à Clermont mais aussi à Nantes, Nancy et bientôt Toulouse. Le but est de sensibiliser la population en commençant par notre entourage professionnel sur la situation en Palestine (particulièrement Gaza dans cette période) en utilisant notre levier éthique, médical et déontologique qui répond à l'engagement dans ces métiers de la plupart des soignants par vocation, par besoin d'aider son prochain, les personnes vulnérables.
On a des textes forts qu'on nous demande d'appliquer et que la France est fière de prôner, comme bien sûr les Droits de l'Homme qui ne concernent pas que les soignants mais pour nous médecins, le serment d'Hippocrate. Quand j'ai passé ma thèse j'ai promis et juré d'être fidèle aux lois de l'honneur et de la probité. J'ai dit que je respecterai toutes les convictions, que je soignerai n'importe qui, quelle quue soit la couleur de peau, l'origine etc... J'ai fini par dire que les hommes m'accordent leur estime si je tiens mes promesses et que je sois déshonorée si j'y manque. Ma thèse fut accepté avoir dit « je le jure ».
Ces engagements forts sont appuyés par le code de déontologie tout simplement, le serment du médecin, plein d'autres textes, la Convention de Genève etc... On veut faire appliquer ces textes et serments pour tout le monde et l'appliquer point, que ce soit en France ou en Palestine.
Ce qui se passe en Palestine, notamment sur nos confrères à Gaza, par confraternité et simplement par humanité, nous choque énormément. Le « deux poids-deux mesures » est flagrant et impossible de le supporter. Nous voulons donc sensibiliser les soignants et amener le gouvernement à prendre des décisions géopolitiques, économiques qui amèneront un cessez le feu en le pressurisant, par des actions diverses et au nom de cette éthique soignante.
Nous sommes un collectif, pas une association loi 1901, structuré avec un bureau qui est un peu le comité exécutif et plusieurs pôles en particulier un pôle actions qui s'occupe donc des actions de terrain que ce soit des manifestations, leurs coordinations sur les différentes villes de France. IL s'occupe des discours, des théâtralisations diverses qu'on peut faire en manifestation dans le but de sensibiliser, de heurter un peu plus les consciences et amener à un militantisme et donc par ricochet à une pressurisation supplémentaire sur le gouvernement. Ce peut être des vidéos de sensibilisation qui tourne au sein de nos entourages professionnels, l'organisation de conférences sur le thème de l'expression du soutien à la Palestine chez les soignants comme nous l'avons organisé en mars dernier.
G-A : Les Blouses blanches pour GAZA regroupent-elles uniquement des soignants ?
Hiba : Elle regroupe majoritairement des soignants - médecins, psychologues, infirmiers etc...- mais également des personnes non soignantes qui adhèrent à la cause pour apporter leurs compétences particulières, par exemple des personnes qui ont des compétences en communication, qui vont gérer les réseaux sociaux, qui ont des compétences sur le montage vidéo. On a aussi des juristes qui travaillent dans un pôle juridique pour cadrer nos actions et être sûrs qu'elles sont dans le cadre légal et ne le dépassent pas.
Oon a fait cette conférence dans le but de délier un peu la parole des soignants, faire en sorte que cette pression augmente parce qu'on constate un malheureux « muselage » comme partout sur le thème du soutien à la Palestine. On nous oppose le devoir de neutralité ou le devoir de réserve et soi-disant sous couvert de devoir de neutralité, on n'a pas à exprimer notre confraternité. Dans le devoir de neutralité c'est clairement écrit : pas d'expression politique......
G-A : C'est qui « on » ?
Hiba : Le « on » c'est le milieu professionnel, en commençant par les administrations. Une certaine peur s'installe à exprimer ses opinions tout simplement quand bien même elles sont en adéquation avec le devoir de déontologie qui est d' exprimer sa confraternité, de vouloir soigner quiconque malgré ses convictions politiques ou religieuses etc...
Nous, ce qu'on veut faire comprendre à nos collègues soignants c'est qu'ils ont le droit et même le devoir de s'exprimer contre les bombardements des infrastructures hospitalières, contre les emprisonnements anarchiques et les tortures chez les soignants, et pour le respect du droit international tout simplement.
Toutes ces actions visent à sensibiliser. Notre action est complémentaire à celle des ONG. Nous n'avons pas vocation à remplacer les ONG qui font du très bon travail sur place, Par contre pour que les ONG puissent très bien travailler, il leur faut trois choses :
des ressources humaines pour qu'ils puissent aller sur place
des ressources financières donc des ressources humaines qui puissent aussi donner
des conditions géopolitiques qui permettent de travailler de façon « sécure » en fait sur place.
Il est bien nécessaire que les gens soient sensibilisés aux deux premières conditions pour avoir des ressources humaines et des ressources financières. Nécessaire que les gens sachent pourquoi il faut qu'ils donnent de leur personne, pourquoi il faut qu'ils donnent de l'argent...et à qui le donner.
C'est là notre rôle, on se situe en amont, pour sensibiliser. La troisième condition, celle des conditions géopolitiques c'est là aussi qu'on essaie d'agir en pressurisant le gouvernement, pour des conditions d'intervention « sécure », une aide humanitaire digne etc...
Les objectifs de ce collectif résumés dans une tribune publiée d'ailleurs sur Mediapart, sont un cessez-le-feu permanent, la levée du blocus de Gaza, l'entrée d'une aide humanitaire digne, la libération des prisonniers emprisonnés arbitrairement en Israël dont beaucoup de nos confrères et consœurs soignantes, qui sont torturés et l'application de sanctions contre Israël. Ce sont nos principaux objectifs.
Au delà du pôle actions-mobilisations, le pôle relations-publiques va gérer les relations entre le collectif et les personnalités publiques en commençant par le gouvernement, le Président de la République, son Premier Ministre, le ministre des affaires étrangères, le ministre de la Santé, en leur disant : « Voilà , nous on est soignants, on a quand même une place privilégiée (entre guillemets), en France, on nous fait confiance pour prendre soin de la santé des français, faire tourner le hôpitaux etc... Donc, notre parole est quand même importante. Du coup, vous ne pouvez pas nous faire confiance pour prendre en charge les français sur la chose la plus importante à leur yeux qui est la sacralité de la vie, Vous ne pouvez vous asseoir sur nos revendications quand il s'agit de défendre la déontologie qui est celle qui vous soigne au quotidien, la même par continuité que nous défendons pour les palestiniens, vous ne pouvez pas vous asseoir dessus, Soyez logiques, écoutez-nous, prenez des mesures concrètes pour les soignants palestiniens et la population civile palestinienne.
G-A : Tu as peu parlé pour Gaza ?

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Hiba : Notre logo c'est le drapeau de la Palestine avec une blouse blanche. Clairement, il faut avoir des convictions pro-palestiniennes, On a écrit à tous les sénateurs, tous les députés. On a rencontré le Député Thomas Porte. A Clermont, on a rencontré le Directeur du cabinet du préfet pour faire remonter nos revendications. Les revendications c'est toujours les mêmes. Elles concernent en premier lieu effectivement nos collègues soignants parce qu'on veut les aider à faire leur métier correctement et qu'ils soient traités avec justice mais bien sûr toute la population civile palestinienne de façon générale et en particulier à Gaza.
On a interpellé encore les présidents de région, les présidents des conseils départementaux et aussi nos Ordres, les ordres des médecins, les ordres des kiné, parce qu'on a aussi des kinés avec nous, des dentistes etc... Les ordres sont censés être les garants d'une déontologie médicale sans faille, c'est eux qui font attention à l'éthique soignante... Après plus de 35 000 morts, les ordres ne se sont toujours pas prononcés alors qu'ils se sont prononcés sur le conflit Russie–Ukraine, à très juste titre, en se prononçant comme garants de cette déontologie, en s'indignant contre les bombardements sur les infrastructures hospitalières dans ce pays. Bien sûr, ce ne sont pas les ordres qui vont arriver à un cessez-le-feu à Gaza. Par contre si les ordres se prononcent contre ces exactions, les langues pourront se délier au sein de nos contextes professionnels. La pression va augmenter.
Il y a un silence voulu de ces ordres et ce silence est complice. Surtout les Ordres nationaux, on les a contacté à trois reprises par courrier, par téléphone et en tout cas le Conseil National de l'Ordre des Médecins a, pour l'instant, refusé de nous recevoir. C'est quelque chose de honteux parce qu'on voit bien le « deux poids-deux mesures » ; on voit bien cette volonté de museler les voix pro-palestiniennes. On le voit dans tous les contextes, il y a eu la conférence avec Jean- Luc et Mélenchon qui a été annulée à Paris ; pleins d'autres annulations de conférences, de manifestations. Nous à Clermont, avons été empêché de monter au Puy de Dôme pour y planter le drapeau palestinien. De façon générale, il y a une volonté de nous museler. Nous ne nous tairons pas, cela ne fait que nous conforter dans le fait qu'on résiste tout simplement.
Pour terminer sur nos activités, existe aussi une unité d'écoute psychologique avec une équipe de psychologues pour s'occuper des réfugiés palestiniens, en essayant de se former à la prise en charge des victimes du colonialisme puisqu'il y a toute une particularité à ce traumatisme psychologique. Il faut avoir les bons mots, dire clairement qu'on reconnaît le colonialisme comme étant une arme particulièrement grave qui a créé des séquelles particulières et uniques dans le psychisme des ces victimes. C'est toute une particularité dans l'approche avec ces victimes que l'unité d'écoute psychologique essaie d'apprendre aux professionnels qui vont les prendre en charge.
On communique beaucoup sur les réseaux sociaux. On anime un groupe de discussion sur les réseaux pour avoir un espace de partage entre militants. Certains militants dans cette lutte se sentent un peu seuls, un peu muselés dans leur parole. Cet espace pour discuter entre militants est réconfortant. Une certaine solidarité 's'y exprime. De là émergent quelques idées d'actions.
Le climat général ambiant n'aide pas quand on écoute à la télé que tel soutien pro-palestinien a été taxé d'apologie du terrorisme ou d'antisémite. Quand on n'est pas ancré dans ses convictions et une certaine expérience, ça peut faire peur.
Il y a encore un collectif national d'avocats. Plusieurs collectifs de professionnels sont regroupés , au sein du PSP (professions solidaires avec la Palestine) : avocats, enseignants...
A Clermont on est un peu plus d'une quarantaine dans les blouses blanches pour Gaza, il y a une branche, un noyau qui est entrain de se former à Aurillac, on essaie de les accompagner. De plus en plus de monde est intéressé pour nous rejoindre avec des professions diverses, que ce soit des kinés, des pharmaciens, des médecins, des infirmiers... Tout le monde a envie de mettre la main à la pâte que ce soit dans les manifestations ou dans les actions autres de sensibilisation, préparer des conférences etc... Pour l'instant c'est beaucoup de choses quand même au niveau national même si on est entrain de s'étendre au niveau local Ici, nous travailloons avec l'AFPS63.
G-A : Quel espoir pour Gaza ?
Hiba : Je garde espoir, même si c'est très difficile. Je suis persuadée même si je ne sais dans quel délai, on va arriver à libérer la Palestine.
G-A : Ce qui veut dire ?
Hiba : On aura enfin un cessez-le-feu durable, peut-être avec une trêve d'abord. Ensuite, on pourra avoir la reconnaissance d'un état palestinien, laisser la parole au peuple palestinien pour décider. On finira par reconnaître les droits des palestiniens à l'autodétermination, leur redonner la parole qu'on leur a ôtée quand le partage a été fait des terres. C'est à eux de décider de leur avenir. Mais dans un premier temps, il faut qu'on leur donne la parole . Là ils sont totalement déshumanisés.
On se rend compte qu'il aura fallu ces événements si malheureux pour faire connaître l'histoire de la Palestine, parce qu'une des armes d'Israël c'est aussi et toujours, de changer l'histoire depuis 1948.
Les palestiniens ont le droit d'exister. Israël n'a aucun droit de bombarder les palestiniens, de les expulser, de grignoter leur territoire. Après, chacun se fait son idée et « Blouse blanche » ne s'exprime pas là-dessus avec un ou deux états, surtout on demande aux palestiniens. C'est aux palestiniens de décider s'ils veulent partager leur état ou pas.