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25 Avril 1974 ! Comme le jaillissement de l'espoir devenu réalité. Après 41 ans de dictature de Salazar puis de Caetano, enfin, enfin, au-delà de tous les schémas idéologiques, une partie de l'armée portugaise emmenée par des capitaines conscients et courageux renversait la dictature et mettait fin aux sales guerres coloniales en Guinée -Bissau, Angola et Mozambique. Ce fut la Révolution des oeillets voilà 50 ans.
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1972 : en vertu de la loi en vigueur alors, je devenais majeur cette année là et dans le cadre d'un séjour « Horizon » préparé en amont, je quittais pour la première fois notre hexagone pour ce pays du bout de terre muni de maints adresses où me rendre du nord au sud de ce pays que j'avais une envie pressante de connaître avec ses habitants de Porto à Lisbonne en passant par Leiria, Coïmbra et d'abord par de petites bourgades du Beira-Baixa pour découvrir, discuter et comprendre même en ne parlant pas un mot de portugais.
Lire sur MDP "Portugal : Les valeurs de la Révolution n’ont pas été promues par les partis politiques"
Joe Dassin chantait « le Portugais dans son ciré tout rouge... ce n’est plus dans son village, qu’on peut gagner son pain... ». avant que Linda Da Souza débarque avec sa valise en carton.
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Cette première fois, nous sommes partis à trois en voiture pour traverser l'Espagne de Franco d'une traite dans ce pays meurtri par sa guerre civile et la retirada et nous rendre à Casegas, pas loin de Covilhà, ce petit bourg au pied de la magnifique et si chaude Serra da Estrella où nous avons été reçu avec une chaleur humaine avec une simplicité et une générosité que je ne soupçonnais pas, ne l'ayant jamais reçu dans mon pays natal. Très vite, nous avons été invité à un hébergement dans une maison d'un portugais du Québec revenu pour l'été sur les hauteurs de son village natal, des discussions avec tant de jeunes hommes et femmes revenu·es au village pour l'été, à nous baigner dans la rivière avec tous les gamins tandis que des femmes en blouses noires lavaient le linge un peu plus bas tandis qu'en France les différentes versions de "Les lavandières du Portugal" se succédaient depuis 1955 (73 au total). Un cliché bien loin de la réalité !
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Bon je m'arrête : je vais quand même pas raconter ce voyage même si mes jeunes années courent dans la montagne mais simplement dire combien j'ai reçu tant de chaleur humaine, tant de sollicitude gratuite, tant de générosité du cœur, à moi l'inconnu, l'étranger, que ces portugais·es me sont resté·es au cœur quand bien même celui-ci flanche parfois. C'est pas pour rien que tout migrant m'est frère ou sœur en humanité. Une pierre supplémentaire sur le mur des algériens pourchassés, matraqués, tués à Paris dix ans auparavant par ce préfet-collabo.
- Dans le centre du pays, à ma grande surprise, j'ai pu parlé très librement avec de jeunes soldats sur les guerres coloniales d'alors. Ils avaient tous la hantise d'y aller pour des prunes et recevoir des pruneaux meurtriers quand pour eux le destin de ces pays n'était pas avec ce Portugal colonial.
Une nécessité pas un luxe Agrandissement : Illustration 5
- J'ai appris de plusieurs bouches que partout, dans le plus petit village, des informateurs de la PIDE (la police politique du dictateur) écoutaient pour vite dénoncer ou calomnier. Je fis la connaissance de travailleurs partis en France dans le Jura, au Québec, pour éviter de partir à la guerre. Ce fut ce film « O Salto » qui avant mon départ me fit comprendre cette émigration massive dans des conditions bien difficiles, difficiles comme toujours pour les migrants qui ne peuvent plus rester et, malgré la souffrance de la séparation et l'angoisse de l'inconnu et du danger, ne peuvent que partir pour tenter de vivre seul ou avec leur famille. Tant s'en sont allés vers ces pays européens qui alors les prenaient comme main d'oeuvre corvéables, en France chez Peugeot ou Renault, dans le bâtiment ou à Arbois chez Henri Maire, en Allemagne ou au Québec. Le Portugal saignait sa jeunesse en Afrique ou en exil pour de vieilles chimères héritées d'un passé « glorieux » de plusieurs siècles.
Lire : « Mort d’Otelo Saraiva de Carvalho, père de la « révolution des œillets » au Portugal »
et : « Le « crime » d’Otelo de Carvalho » Le Monde diplomatique, novembre 1986
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Ce fut mon premier séjour au Portugal. Dès lors j'épousais tout de ce pays qui m'avait ouvert les portes d'une humanité possible malgré cette dictature. J'ai lu des bouquins. J'ai connu des portugais comme ce José de Grenoble que je revoyais chaque fois que j'y revenais pour responsabilités syndicales dans cette cité. Nous savions ces réseaux en lutte, ceux pour le dictateur, ceux pour la fin de cette dictature et entre eux c'était à couteaux tirés sur la ville et ses communes périphériques. J'y suis retourné l'année suivante en 1973 pour y rencontrer les mêmes et d'autres et tissé des liens.
Et il eut ce matin unique, si joyeux, matin radieux dynamisant du 25 avril 1974 où tout a basculé. José de Grenoble m'a dit alors combien certains, dans la nuit, ont fui en vitesse sentant que le pouvoir avait changé de main au Portugal, craignant pour eux-même la revanche de ceux qui se réjouissaient enfin.
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Moi, hélas, je n'ai pu me rendre au Portugal cette année-là pour cause d'incorporation après mon sursis militaire. Rage et désespoir ! Il fallut donc s'incorporer quand mon esprit était ailleurs, place du Rossio, à Salir do Porto, O Porto, à la Republica dos cagados de Coimbra... Rosa Coutinho, Otelo de Carvalho, le MFA héritier direct du mouvement des Capitaines, le sectarisme du PCP inféodé à Moscou, Soarès revenu dare-dare de son exil en France, la vigueur des forces populaires qui voulaient un autre monde, pas celui d'avant ni de celui qui est venu après.
J'avais vécu mai 68 à 17 ans dans ma petite ville ardéchoise en lutte quotidienne que je suivais avec constance et ardeur. Ici c'était tout un pays qui se dressait malgré les dissensions des appareils politiques pour accoucher d'un monde simplement humain au service des peuples et des plus humbles.
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J'ai pu y revenir enfin dans un chantier de jeunes du côté d'Alvaïazere en juillet 1977. La journée c'était la construction de murs de pierres pour élargir le chemin tracé afin que passent les charrettes ou encore creuser la tranchée pour laisser passer le tuyau d'eau. Il y eut tant à faire dans ce pays qui était resté à un âge bien ancien. La chaleur imposait l'arrêt vers 14h, Le soir c'était autour du repas, des chants avec l'inévitable « Grandola Vila Morena » chanté par José Afonso qui par sa diffusion le 24 avril à 22h55 donna le signal aux militaires de renverser le pouvoir, ce qui fut fait.
Lire Le Monde "Au Portugal, cinquante ans après la « révolution des œillets », le récit d’une nuit miraculeuse"
Tous ces chants dans un œcuménisme politique total tenaient une place d'honneur dans ces soirées qui parlaient de solidarité, de fraternité et d'un monde plus joyeux. Nous sentions la révolution en marche, nous en étions. Nous n'en sommes pas descendus ; la Révolution s'est arrêtée pour rejoindre le commun du marché et sa logique du seul profit qui nous conduit à l'abîme.
Français certes par naissance mais ma seconde patrie, c'est bien le Portugal où je n'ai cessé de revenir tant de fois, où je reviendrai encore. Là-bas, je suis ailleurs dans cet autre chez moi. J'ai tant aimé cette musique de la langue, tant aimé cette générosité de services proposé ou rendu si simplement comme une sorte de normalité entre humains proches, même pour un temps seulement.
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25 avril : 50 ans ! La distance d'une vie d'adulte. Que reste-t-il de l'utopie d'alors, de l'espoir levé si haut, de la proximité d'un pays debout ? Le souvenir d'un possible alors, d'une dynamique qui malgré son relatif échec a instruit et inspiré tant de combats à venir, tant de luttes qui ont succédé à d'autres luttes. Ce 25 avril est bien encore une exception heureuse pour n'avoir pas conduit à un régime militaire. MFA-Povo fut le slogan de cette union de la seule organisation réellement structurée, l'armée, qui se mettait au service du peuple portugais après tant de décennies de dictatures.
Merci à vous Rui, Lourdes, José, Izilda, Antonio, Zinha, Ana, Erlindo, Abel... Au printemps de quoi rêvais-tu ?
Aujourd'hui intégré dans le marché ultra-libéral comme nous le sommes, le Portugal connaît aussi la renaissance d'un parti d'extrême-droite, « Chega » comme nous l'avons en France avec ces deux organisations qui sèment la haine et l'envie de régler des comptes par la force si nécessaire pour abattre la démocratie, le syndicalisme, les libertés publiques et les droits sociaux.
Haut et fort, 25 de abril em Portugal pelo mundo e a luta continua. Quand abattrons-nous la dictature du seul profit comme horizon ?
J'ai pris ces photos le 25 avril 2018 à Lisbonne pour le 44ème anniversaire de la Révolution des oeillets