En ce début d'année, elle a voulu quitter la scène par un dernier concert, dans cette salle de Marquette-Les-Lille au cœur des Flandres françaises où elle a grandi, là même où elle a commencé une carrière d'interprète – et quelle interprète, celle qui s'est hissée et reste au firmament des grandes dames de la chanson française – une carrière ou plutôt un chemin qui n'était peut-être même pas alors envisageable sauf en ses rêves les plus secrets. Quel chemin ! Soixante-deux ans à défricher avec intelligence et humanité des univers qui offrent du sens, s'adressent aux sens et à la sensibilité, appellent à l'espérance par delà les épreuves individuelles, les vertiges et dérives de nos sociétés-malades.

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J'étais là pour cet ultime-concert, pour ce dernier rendez-vous du 19 mars 2023. Isabelle AUBRET, au faîte de son art, de son métier, de sa générosité, a offert à son public trente-cinq chansons magistralement enchaînées et interprétées (avec une deuxième partie qui valait un spectacle complet) un tour de force pour tous les âges quand elle le réalise dans sa 84ème année ! Visiblement elle veut et peut donner ce plaisir à ceux et celles qu'elle a réuni pour cette ultime rencontre, parmi lesquels ses soeurs (elle est la cinquième de onze enfants), ses amies d'enfance mais aussi notamment Claude Lemesle qui lui a donné tant de textes inspirants et Gérard Meys, ce producteur qui a su si bien sur la durée offrir ce renouvellement qui assure une carrière longue, riche et variée où la poésie est au coeur du chemin.
Tout aussi visiblement, elle s'est donnée là du plaisir avec cet engagement sans compter pour son public et sa dernière scène : un public populaire, qui la suit, l'accompagne depuis ses débuts, proche tout simplement. Trente-cinq chansons qui ont raisonné dans les coeurs de ce public fidèle et depuis longtemps touché par tant de beautés rayonnantes au travers de ses interprétations lumineuses qui magnifient musiques et textes dans une création comparable à de la haute couture. Trente-cinq chansons qui ont revisité tant de chemins avec Jacques Brel, Jean Ferrat, Louis Aragon mais aussi Georges Chelon, Claude Lemesle, Jacques Debronckart et tant d'autres, un parcours de plus de deux heures emmenant chacun et chacune à un bonheur partagé qui est bien le maître-mot de ce parcours d'exception. Joie de chanter et joie d'entendre se répondaient à merveille dans une osmose rare et précieuse, moment d'échanges denses, de coeur à coeur qui donne espérance et courage dans un monde qui en a tant besoin.
Isabelle chantait en 1962 « Un premier amour" (qui, avec cette chanson a remporté le concours eurovision de la chanson) et a terminé son « dernier rendez-vous » - de bout en bout rayonnante - avec « Nuit et brouillard » indiquant avec quelques mots l'inquiétude partagée du retour de la bête immonde, mais aussi cette « Fanette » qui l'a comblé au cours d'une tournée avec Jacques Brel, chanson dont il lui laissa les droits d'auteur.
Ce qu'elle dit à l'issue de son spectacle à ses ami.es rassemblé.es, vous n'en saurez que l'amour de cette grande dame pour cet échange, cette ressource qui soutient dans les moments difficiles et donne la poussée qui fait avancer sans jamais renoncer à l'espérance de jours et d'un monde meilleur, proche ou lointain. Vous penserez peut-être que c'est un moment de vérité habituel de tout dernier spectacle ? C'est bien plus large que cela. Isabelle Aubret est d'une sincérité rare et permanente, désarmante dans un monde qui n'est plus qu'affichage, « désarmante » si vous aviez besoin d'être désarmé. Alors vous écouterez, vous entendrez, vous serez touché.e : ce n'est plus seulement du plaisir mais du bonheur, du vrai. Instants suspendus qui nourrissent dans la durée comme repères éclairants.
A l'issue de la représentation, la séance de dédicace a été un long moment où chacun.e a échangé quelques mots ou davantage avec une Isabelle Aubret toujours vive et attentive malgré ce long spectacle où elle a tout donné, entourée par une équipe aux petits soins. Acceptant toutes les photos, selfies abondants, interviews de la presse locale et régionale, elle a tout assumé avec une gentillesse, une simplicité qui n'a plus court, un visage éclairé d'un large sourire à la reconnaissance de visages reconnus. Il est peu dire qu'elle est d'une générosité chaleureuse.
Poursuivie avec un apéritif offert à plus de quarante personnes, cette soirée prolongée a été l'occasion de partager quelques conversations avec elle mais aussi avec d'autres, pour ma part, avec une de ses soeurs (reconnue par ses traits familiaux) qui m'a précisé son début de carrière et son goût précoce pour le chant. Devant un grand bouquet vert, une photo l'attendait : celle d'une petite classe de primaire à Marquette où personne, sauf sa famille et elle-même, n'était capable de la repérer enfant.
Une soirée exceptionnelle, à l'image de cette carrière, de cette grande dame qui ne l'est pas seulement par son chant mais tout autant par sa personnalité et ses qualités humaines.
Jeunesse pressée, âge « actif » toujours pressé, peut-être pourriez-vous la (re)découvrir pour votre plaisir ou votre bonheur pour y puiser cette espérance, renforcer cette joie de vivre sans qui le monde peut-être désespérant à trop le regarder avec les yeux du présent : utopie rafraîchissante et mobilisatrice, poésie qui ne cesse d'exprimer la beauté des jours et du monde malgré ses laideurs quand partout il n'est plus question que de dystopie quand, vérité oubliée par beaucoup, il ne peut pas être transformé profondément sans ces qualités humaines ou tout sera vain et à recommencer au bout de changements qui ne seraient qu'apparences.
Lire cet article du journal des femmes du 27/07/2022