
c'est fini,
On se sera bien battue.
Mon métier, tu m'auras tellement plu.
Je quitte l'hôpital, j'ai pris ma décision et elle me coûte un sacré paquet de larmes.
Pourquoi j'en pleure, pourquoi cette sensation d'échec énorme ?
Je pleure, car je laisse 10 ans d'espoir de service hospitalier derrière moi, je laisse un morceau de ce qui m'a construit, et aujourd'hui, je le fuis.
Je pleure les restes d'un amour immense,
Un amour pour nos gestes,
Un amour pour les gens,
Un amour pour les rires de mes collègues en parlant
De toutes les anecdotes, qui font que l'on aime autant,
Ce métier.
On ne naît pas soignant, on le devient,
Et les mots pour remercier ceux dont j'ai suivi les exemples n'existent pas !
Etre impassible face aux odeurs, face aux plaies,
Etre clairvoyante dans la panique, au milieu de la douleur, pour aider,
On me l'a appris,
Mille mercis...
Les restructurations on en a déjà vu passer,
Aller manifester, crier notre colère,
Combattre les directions, leurs décisions qui amenuisent toujours un peu plus,
La qualité dans nos mains,
On aura essayé.
Et en un été notre spécialité est fermée, 28 lits, Terminé !
La tarification à l'acte, a gagné.
On perd nos collègues, parfois les meilleures, celles sur lesquelles on comptait,
On a restructuré, ENCORE
Se battre contre le montre, prioriser les soins, toujours plus serrés,
Revenir sur les repos, changer d'horaires trois fois par semaine,
Baisser les yeux de peur de changer de service au pied levé,
Combler les manques, le jour, la nuit,
On l'a fait.
Le début de la fin, c'était il y a des années,
Cette polyvalence oppressante :
« Vous êtes titulaire d'une fonction, pas d'un poste » ;
« Vous êtes infirmière non ?! Donc c'est 24/24 et 7js/7 » ;
« Ecoutez, vous ferez bien ce que vous pourrez »
Ce management de l'absurde qui donne mal au bide avant d'aller bosser.
On a forcé.
Forcé l'évidence,
La brèche, la dissonance,
Alors le doute s'installe, sournois ;
Vais-je mal ? On ne sait plus, on s'écoute si peu,
Y a-t-il encore du sens ? Quelle infirmière suis-je devenue ?
Qui suis-je ? Si je ne peux pas préserver votre pudeur, aller trop vite, c'est aller sans cœur ;
Qui suis-je ? Si je ne peux pas vous expliquer votre ordonnance de sortie, vous laisser partir convaincu, averti ;
Qui suis-je ? Si je ne peux pas vous servir une tisane « exceptionnellement oui » parce que vous réalisez là, maintenant, que vous allez devoir « vivre avec « effectivement « ça « ne se guérit pas ;
Qui suis-je ? Si je ne peux pas vous laisser cet instant d'intimité, je reviendrais plus tard pour vous laisser prier ;
Qui suis-je ? Si je ne prends pas ces minutes précieuses en m'asseyant au bord d'un lit car vous le sentez c'est peut-être pour ce soir « votre grand départ ».
Je refuse de travailler ainsi, mon corps entier me le crie, ces maux,
J'ai simplement besoin que cela cesse, maintenant.
Des paroles, du mépris, un encadrement qui a abîmé ce pour quoi j'étais formée.
Nous ne sommes plus des compétences, seulement des variables face à l'absence,
De celles qui ont jeté l'éponge en premier !

C'est fini
Je me serais bien battue
Mon métier tu m'auras tellement plu.