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Billet de blog 30 avril 2025

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Vieilles, vieux, vieillesse

Il fut un temps où les vieux avaient par leur expérience longue une valeur due à leur âge. Aujourd'hui, l'âgisme largement répandue stigmatise la vieillesse et veut faire porter sur les aîné·es le poids de déficits à éponger. Enfin vieux, je peux dire quelque chose de cette condition de sel et d'épreuves et de sa construction sociale. Chacun·e pourrait s'y retrouver. A vous de le dire et l'écrire.

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Il fut un temps où les vieux, pas les vieilles, avaient une valeur due à leur âge nourrie de leurs expériences de leur longue vie baptisée « sagesse » pour exprimer finalement que les passions de jeunesse et de l'âge adulte sont largement assagies à cet âge. Bien sûr c'était une image mais elle donnait à ces vieux un sens et une utilité sociale, voire un pouvoir renforcé bien au-delà du souhaitable quand il le fut y compris dans la gérontocratie loin d'être terminée.

« Doit-on parler de " vieillesse, de «vieux » de " personnes âgées ", de « retraités», de « 3e et de 4e âge »? Les mots ne sont pas neutres. Ils traduisent et construisent des processus sociaux. Les typologies imaginées par le Cabinet de marketing reprennent un éventail stigmatisant. Il en existe de toutes sortes. Certaines se fondent sur l'âge, d'autres s'élaborent sur l'attitude plus ou moins optimiste face à la vie. Aux métaphores traditionnelles faisant de la vieillesse l'automne de la vie, le couchant ou le soir, se substituent des images plus qu'inquiétantes, comme « le bout du rouleau », « la fin du parcours » qui montrent que le temps de la vie est majoritairement pensé de manière linéaire.

Cette question de vocabulaire est l'expression de conflits, d'enjeux sociaux. Elle indique la nécessité d'aborder la vieillesse comme une construction sociale. » La vieillesse : une construction sociale, Jean Foucart, 2003

Il en était à peu près ainsi dans la tête du « petit » que j'étais alors au tournant des années 50/60. Mon père réclamait que ces vieux lâchent la grappe aux jeunes et leur fasse enfin de la place. Il avait moins de quarante balais. Il lui fut plus difficile de concrétiser ce désir, ce vœu, quand le temps fut venu d'une vieillesse active.
Ce changement de pied est bien souvent le cas qui, de résolution de jeunesse évolue en volte-face avec la maturité la mal nommée et la carrière qui veut pousser plus loin en s'accrochant. Pour une part certes, on peut considérer que c'est péché de jeunesse de croire « naïvement » à tel ou tel mantra, telle ou telle ferme résolution. C'est pourtant l'intérêt majeur de la jeunesse pour toute la société de ne pas accepter tout ce qui existe au présent pour changer l'ordre social qui apparaît souvent comme quasiment naturel pour inventer ou réinventer d'autres dispositions, vouloir réorganiser les pouvoirs dans des révoltes ou des mouvements critiques qui font peur aux « adultes  responsables » surtout en situation de pouvoir. Tout n'est pas à prendre mais pas beaucoup à jeter qui se dissout souvent bien vite ou se fossilise dans une rigidité désastreuse au fil de l'âge qui avance et de la carrière à poursuivre. Ce qui paraissait souhaitable ou indispensable s'avère hors d'atteinte ou plus souhaitable du tout : les illusions s'envolent dit-on, les utopies aussi ? S'il n'y en a plus, on s'installe dans la passivité pour profiter. Le vide alors remplit son espace intime vite occupé par du dérisoire. Qui peut dire « illusion » avant que n'advienne ce qui n'est ? Qui peut dire « impossible » sans rester fixé sur l'existant ? A coup sûr ceux et celles qui profitent de l'ordre actuel. Les autres peut-être ont-ils trop écouté les anesthésistes de la pensée et autres enfumeurs, ce qui, en fin de compte, n'est pas sans intérêt pour une conscience superficielle tranquille qui permet de se permettre de temps à autre quelques saillies critiques sans conséquence.

La vieillesse, une charge ?

Aujourd'hui, ce n'est plus vrai : la gérontocratie perdure même réduite mais l'âgisme est très largement répandue. La vieillesse est entendue comme une charge qui coûte bien trop à la Nation, à nos impôts, aux actifs, creuse les déficits et pour longtemps. Il FAUT faire des économies - pas d'alternative - sur les vieux et les vieilles, quitte à oublier que ceux-ci, anciens salarié·es, artisans ou libéraux ont cotisé pour ce salaire différé qu'est la pension et continue à participer aux recettes du budget par leurs cotisations, leurs impôts et bien trop souvent en aidant les enfants et petits-enfants dans la gêne comme de s'occuper de leurs très vieux parents plus invalides, histoire de combler un service public défaillant. Cette question de la pension n'épuise pas du tout la relégation de la vieillesse aux années sombres de la vie, comme si l'enfance et la jeunesse par essence étaient toujours les meilleures années de la vie. Pour s'en convaincre, faut-il minimiser les viols, agressions en tous genres, maltraitance, errance, stigmatisations qui jalonnent tant de jeunes existences qui les marquent à jamais ? Qui dira le prix que paye notre société à cette effroyable systémique de la violence faite aux enfants et à la jeunesse ? Le florès du mot « résilience » n'est pas si efficient dans ces têtes et ces corps marqués à vie !

« Notre société repousse les vieux et les condamne à la solitude et au désespoir. Le vieillard est considéré comme un autre, et non un semblable, et l’on comprendra les mots de S. de Beauvoir (in Pellissier, 2003, pp. 9-10) : « leur malheureux sort dénonce l’échec de toute notre civilisation » organisant ainsi ce qu’elle nomme l’« atomisation de la société ». Les personnes âgées se voient soumises par notre société à une triple forme de rejet : « la condamnation à vivre dans un statut qui dépossède l’individu de ses caractéristiques propres pour les remplacer par des stéréotypes » ; le fait de « reléguer matériellement le vieux pour pouvoir plus aisément l’oublier et oublier ce qu’il représente à nos yeux » ; et, enfin, « en la présence même du vieux, ne pas reconnaître cette expérience de la vieillesse qu’il est en train de vivre » (Pellissier, 2003, p. 74). » Regards sur la vieillesse, Marie Marchand, 2008.

L'indifférence et l'inattention à l'autre

Dans les transports bien peu d'entre eux laissent la place aux manifestement plus vieux qui ont besoin de s’asseoir : les seuls·es qui le font encore ont la peau basanée et les cheveux crépus pourtant stigmatisé·es. Dérisoire ? mineur ? Attendez donc votre heure à nier l'indifférence croissante qui nous entoure y compris parmi les personnes qui se disent, se croient solidaires mais ne font aucune « attention » à l'autre, voisin, tout à côté, comme si « faire attention à l'autre » était suranné, naïf, quelque peu infantile et franchement perdre son temps avec ces vieux trop lents, trop mous, trop distraits … trop vieux en fin de compte. En plus, ils et elles ne voient pas bien, n'entendent pas bien, faut parler plus lentement avec eux : galère ! Vaut mieux les mettre ensemble dans des maisons spécifiques « pour elles et pour eux », peu importe comment ils sont traités et comment les personnels de ces établissements le vivent.

Que sait-on quand on n'est pas à cette période de la vieillesse qui fait si peur aux périodes antérieures ?

Enfin être vieux

Vieux enfin ! Enfin fini de passer pour vieux dès trente ans passés pour tout un tas de jeunots pas encore sortis du nid plus prompts à voir « vieux » tous ceux ou celles qui ont plus que leur âge. Bof, c'est classique mais quand même un tantinet culotté et inconscient ; privilège de la jeunesse...

Pendant longtemps, dès la trentaine révolue qui clignote comme un signal orange, chacun·e (avec plus ou moins de vigueur) se sent vieillir comme devoir prendre sur ses épaules une part de responsabilité, parfois de respectabilité. Bref, en quelques années vite passées, sans conteste et à ses propres yeux, nous devenons vieux ou vieilles. Je le suis, enfin. En conséquence, il en est fini du sentiment de devenir vieux sans l'être, tout en approchant avec réticence de cette longue fin de vie cabossée... pas pour tous très longue pourtant, pour toutes un peu plus longue mais souvent bien seules.

Bien sûr la vieillesse est aussi un âge aux multiples degrés entre la prime vieillesse juste à la retraite (si on y arrive et en bonne santé). Dix ans puis vingt ans de plus, font une bien grande différence, celle qui amène de la vieillesse à la dépendance, cette horreur de la fin de vie qui guette les plus vieux, pas toujours les très vieux.

Être vieux ne manque ni de sel fin ni d'épreuves

Être vieux c'est remodeler sa vie dans son quotidien et ses fulgurances devenus plus rares et plus limitées, son espace plus réduit à repousser chaque jour pour ne pas se laisser enfermer et assigner, son temps plus lent à faire, à dire, à mobiliser son corps à l'évolution de ses possibilités physiques, mentales, cognitives, culturelles quand bien des clichés de celles et ceux qui ne vivent pas encore cet âge ne sauraient le comprendre avant d'y parvenir. C'est dire une révolution/adaptation qui réclame beaucoup d'inventivité et de détours sauf à vainement s'embourber dans l'enfermement à soi ; une évolution/adaptation qui n'est plus à craindre mais nous concerne tous les jours et à chaque instant pour être encore là, vivant et non survivant mais aussi actif et présent que possible - sans négliger des moments de repos et de béatitude - pour ce qui peut l'être, à son rythme - sans cette course à la vitesse omniprésente si stressante et stérile tout au long de sa vie - et à ses possibilités changeantes qui laissent las où plein d'énergie à proportion de cet âge de découvertes d'un soi plus profond et des autres plus sensibles pour aller de l'avant en faisant place aux moments de contemplation et de joies comme quand on marche, des arrêts à contempler avec étonnement, parfois émerveillement, la beauté du monde qui se révèle à nos yeux comme celle du quotidien.

C'est dire que la vieillesse est un âge à part entière où se battre pour plus d'humanité autour de soi et plus loin, parfois au bout du monde, se frotter aux difficultés n'est jamais absent de nos jours, possiblement plus qu'en d'autres temps de vie quelque peu frénétique et suroccupée...

La vie n'est pas faite que de flamboyante jeunesse qui devrait être éternelle, de maturité satisfaite et surplombante aux allures de savoir satisfait. Elle peut être ce temps où la joie s'insinue dans maintes petites choses, celles qui négligées en d'autres temps, prennent un relief bien mérité. Elle peut être ce temps où s'abandonner révèle bien des coins lumineux d'un quotidien banal, d'un destin qui fut ce qu'il fut en laissant derrière soi ses regrets, ses espoirs, ses projets trop pensés pour enfin ouvrir ses yeux pour entendre et ses oreilles pour voir, son coeur peut-être. Les mains ont toujours quelque chose à dire si ce n'est à vous conter tant elles s'agitent pour révéler ce que nos paroles ont retenu quand nos silences travestissaient les mots que nous prenions pour des actes.

S'avancer dans la vieillesse est aussi le possible deuil d'un soi idéal, de beaucoup de ses espoirs qui laissent pourtant un goût d'utopie à réaliser, le deuil possible de ce que nous n'aurons pas fait faute d'utiliser son temps pour autre chose que le futile et le dérisoire : temps que nous croyions avoir à la retraite, qui fut si souvent gaspillé en vaines occupations malgré le soin à ne pas le remplir mais l'aérer d'une légèreté qui fit défaut faute d'avoir vécu. On ne peut être et avoir été ! Quant à réaliser tout ce que nous voulions faire en ce temps sans obligations professionnelles, ce peut être un autre deuil pour une illusion bien partagée ! La dégradation de nos corps vieillie, la contrainte économique, les activités chronophages et le temps plus limité en forme en sont les causes premières. Ce peut être au contraire le vide d'une vie qui fut exclusivement professionnelle et qui ne put être réinventée à la retraite.

Deuils bien nombreux, si indispensables sauf à se gâcher ce reste de vie à vivre (non pas survivre avant la mort pour issue) avec ces défauts de mémoire qui surviennent n'importe quand, même pour des mots tant de fois répétés ; ces idées qui s'envolent aussitôt parvenues à la conscience dès qu'une parole proche vous distrait innocemment. Ne pas être compris par de plus jeunes semble inévitable avec cette lenteur du temps à trouver ses mots, à exprimer une idée, un souvenir, évoquer un récit, une réflexion et se faire bousculer pour cette attente et pour des propos déjà entendus. Comment comprendre quand on n'y est pas encore, qu'on ne peut soupçonner dans sa vie agitée et contrainte ce que ce temps accepté peut nous être précieux. Est-ce le pire de se sentir inutile et de trop ou accepter ce qui peut être inacceptable en devenant une simple main d’œuvre disponible comme si disponible était évident et permanent malgré cette fatigue plus fréquente qui appelle le repos. Evidemment ce n'est plus « être rentable ».
Qui peut le comprendre et l'accepter avec bienveillance sans l'avoir éprouvé autrement qu'après un exercice physique de longue durée et d'intensité élevée ? Mais plus jeune, la récupération est aussi plus rapide quand le sommeil ne réveille pas encore les fantômes de l'ombre...et des souvenirs qui, diurnes ou nocturnes, reviennent infailliblement en mémoire sur un lieu, un objet, un visage, un fumet, un plat, un air de musique, une saison, un prénom... une madeleine nichée dans la mémoire pas si vive, quitte à presque s'y noyer par moments dans des reconstructions labiles quand ils ne se calent pas sur une version toujours la même, inévitablement édulcorée qui prend valeur de vérité. Qu'importe ! Si le réconfort remplace l'amertume, c'est toujours çà.
Les visages hors famille proche, la plupart du temps ne se reconnaissent plus, parfois, quelquefois encore, par moments. C'est comme si nous nous rencontrions pour la première fois ou une simple impression de déjà vu sans savoir d'où nous nous connaissions. Certain·es peuvent penser que nous les snobons ou sommes bien trop fier·e à ne pas les saluer quand ce n'est que la mémoire qui fait cruellement défaut alors même que nous aimerions les reconnaître comme avant et les saluer. A l'inverse, l'inimitié pour tel ou telle peut se voiler d'inconnu qui ne rappelle rien nous laissant incertain.
Pratique-t-on une activité physique importante à l'occasion de randonnée, de construction ou de bricolage bref une activité qui ne ménage guère l'effort à proportion de son énergie, on ne sait si bis repetita sera possible dans quelques temps, même dans un délai court quand ce temps file si vite enchaînant jours et semaines, mois et années comme autrefois nous ne le voyions pas.

Vieux certes mais toujours réticent à dire ses tracas quotidiens sinon exceptionnels à cet âge avancé : d'autres, plus jeunes ou plus âgé·es, ont certainement plus de difficultés que soi et plus invalidé·es que soi alors comment dire sans donner l'impression d'une plainte ? Comment ne pas se sentir soudain chanceux même avec bien des bémols en étant lucides sur tant de malheurs autour de soi et sur nos écrans ? Ce qui reste en dernier c'est la dignité que personne ne peut jauger ou juger tant cette notion est totalement relative à chaque personne dans sa fin de vie.

Des moments magiques

S'il est un moment magique c'est bien recevoir ses petits-enfants avec ou sans ses enfants. « Avec », c'est une fête de famille avec ses bons plats – si toutefois le vieil organisme permet encore de digérer certaines nourritures prisées - comme nous en connaissions autrefois, fête que nous n'apprécions qu'à demi, occasion de comprendre mieux ce qu'alors nous ne comprenions qu'à moitié. « Sans », c'est encore du bonheur de les recevoir avec cette confiance qui nous dit que nous sommes encore assez responsables pour nous faire confiance dans la protection de leurs progénitures. Je connais pourtant quelques personnes âgées qui ne reçoivent plus personne, ni enfants ni petits-enfants. Pour elles, c'est la pire des punitions quand en plus, la mère ne sait pas lâcher ses petits chéris qu'elle couve, même une seule nuit quand ils habitent si loin. Vivront-ils en leur temps la même situation qui détruit ces dernières années avant qu'il ne soit trop tard ?

Isolement et solitude

Oui, la vieillesse peut être isolement et partant de solitude, même à deux, sans ces relations familiales, sociales, amicales qui font le sel de nos rencontres même mêlées à l'amer mais surtout le doux. Certes la solitude, l'isolement ne sont pas l'apanage de la vieillesse : à tous les âges, elle peut être une compagne douloureuse en particulier au cours de la jeunesse quand ce n'est pas l'enfance que ne comblent pas – bien au contraire - les réseaux sociaux faute de relations et de contacts bien réels. La prolifération des chats et chiens en tous lieux n'est-elle pas un symptôme de cette absence ?

La solitude des vieux peut être cette extrême solitude qui n'est plus celle de la foule sentimentale, qui fait encore parfois sortir de chez soi pour parler un peu au commerçant du coin pour le prétexte d'un petit achat ou rester chez soi pour n'attendre que le soleil sur le balcon pour entendre à nouveau des chants d'oiseaux si encore ils sont audibles aux oreilles peu sensibles. Et si vous allez à la grande surface du coin, mieux vaut éviter les vendredi et samedi pour ne venir que durant la pleine après-midi ou le matin en semaine pour ne pas entendre que « vous avez le temps » et que là c'est râlant d' « attendre ces vieux qui peuvent venir quand çà leur chante. Ils ont le temps ».

L'empathie, on peut en connaître une définition mais n'en avoir à peu près aucune dans ses relations. Finalement qui peut comprendre la vieillesse sans la vivre ? Qui peut la comprendre avant le temps et les épreuves qui la dégradent ? Alors vers la fin, il faudra savoir tirer le rideau avec un minimum de dignité pour soi et pour les autres sinon avec un reste d'élégance pour ne pas déranger inutilement ceux et celles qui restent trop occupés, qui devront un jour eux aussi affronter ce dernier acte de volonté, poser son dernier acte d'être humain fragile et sensible au terme d'une vieillesse reléguée aux objets trouvés et cassés, moches.

L'avenir de la vieillesse ?

Que restera-t-il de la vieillesse, des vieilles et des vieux quand tous les garde-fous sociaux, humains, économiques, culturels seront détruits ? Que la dépendance ne sera plus que l'horizon de solitude sans réelle prise en charge ? Quels revenus seront amputés pour retrouver ces situations des retraités tardifs où il fallait encore travailler pour une misère quand il ne fallait pas en plus remercier son patron pour ce coup de pouce ? Au-delà de sa retraite à 65 ans, mon grand-père a travaillé jusqu'à 69 ans dans une fabrique de chaussures à temps partiel faute d'une pension suffisante.

Il ne faut pas être grand clerc pour s'attendre à une baisse de l'espérance de vie à voir le système de santé voulue par les politiques qui eux, ont le fric pour leur clinique privée hors du commun que nous sommes. Les déficits seront moindres osent-ils annoncer. La propagande servie par tous les réseaux dits sociaux (qui ne le sont vraiment pas) amènera à refuser aux vieux de prolonger leurs vies par des dispositifs vitaux. Peu importe que les canicules, les inondations, les sécheresses, les incendies, la malbouffe et le reste fassent périr les vieux en nombre, ce sera officiellement regrettable (« désolé » est le maître-mot-valise en la matière) mais réellement une bonne chose surtout si 15 000 vieux et vieilles mort·es supplémentaires dégagent comme autant de confettis à l'exemple de la canicule de 2003 pour si peu de remous.
A force de trimer durant l'activité en reculant l'âge de la retraite, de réduire les services d'Education, de santé, les prestations sociales et tout ce qui se réfère aux services proches de la population, le temps pourrait bien venir d'une vieillesse raccourcie. On pourra toujours retrouver ses « amis » sur les réseaux pour se la raconter.

La vieillesse, une question toujours reportée

La jeunesse voit toujours l'âge de la vieillesse comme si lointaine qu'elle n'y arrivera que dans très très longtemps, histoire de repousser l'enjeu de s'y retrouver un jour même lointain. « Normal » pense-t-on mais pas sûr qu'il en fut ainsi à toutes les générations. Plus tard durant la période dite « active » on y pense mais c'est encore loin et très occupés, très stressés. « Y aura-t-il encore des retraites ?» ai-je entendu comme si c'était bien la seule question sociale et politique que pose l'allongement de la durée de vie et de validité, déjà bien bien différenciée suivant vos emplois. Alors finalement, bien peu se sentent engagés pour leur propre compte à un autre âge par les choix sociaux et politiques opérés sur les vieux, les vieilles et cette période incertaine et changeante qu'est la vieillesse.

Les « invisibles » dans nos sociétés productivistes ne se limitent pas aux femmes ou d'autres catégories d'invisibles (handicapés, LGBTQIA+...) encore qu'elles le soient de moins en moins grâce à leur combat permanent mené contre la patriarcat depuis des lustres, encore que gays et lesbiennes aient conquis de hautes luttes, une visibilité réelle. Le combat des vieilles et des vieux, est des plus invisibles parce qu'ils et elles dérangent par leur état, leur demandes, leurs besoins spécifiques, le « fric de dingue » qu'il faudrait... et peut attendre même si maltraitance il y a et c'est pas qu'à ORPEA, même si le livre de Victor Castanet « Les fossoyeurs » a marqué les esprits et fait bouger beaucoup mais la loi du marché est toujours en vigueur pour abuser de nos états de vulnérabilité quand nous devenons de trop, décidément trop âgé·es pour servir à quelque chose comme si vivre n'était rien quand on n'est pas productif. Il est pourtant des enfants ou des adolescents très affectés par la mort de leurs grands-parents. Les souffrances invisibles de l'enfance ne sont pas moins des souffrances qui cabossent ou brisent des vies.

Face aux chaos de l'actualité, ses menaces planétaires actuelles et pour l'avenir, face à la déferlante de l'idéologie des extrêmes-droites de tous pays qui menace directement notre démocratie bien malade, la question de la vieillesse, du sort des vieilles et des vieux a toutes les malchances de n'occuper que bien peu de place sur la scène politique, dans la presse (hors « scandales » déclanchant des vagues d'émotions) comme le dernier des soucis des bien-portants non-vieux et vieilles quand elle est au cœur d'une société plus juste et égalitaire qui prendrait en compte les plus fragiles et les plus vulnérables comme le sont les porteurs de handicaps (vu comme tel), les personnes âgées dépendantes, les migrants fuyant les guerres et les meurtres, les mineurs si mal protégés des prédations et maltraitements, les personnes qui subissent toutes les agressions pour cause de genre, origine, croyances...

« La société ne se soucie de l’individu que dans la mesure où il rapporte. Les jeunes le savent. Leur anxiété au moment où ils abordent la vie sociale est symétrique de l’angoisse des vieux au moment où ils en sont exclus. Entre-temps, la routine masque les problèmes. Le jeune redoute cette machine qui va le happer, il essaie parfois de se défendre à coups de pavé ; le vieux, rejeté par elle, épuisé, nu, n’a plus que ses yeux pour pleurer. Entre les deux la machine tourne, broyeuse d’hommes qui se laissent broyer parce qu’ils n’imaginent pas même de pouvoir y échapper. Quand on a compris ce qu’est la condition des vieillards, on ne saurait se contenter de réclamer une « politique de la vieillesse » plus généreuse, un relèvement des pensions, des logements sains, des loisirs organisés. C’est tout le système qui est en jeu et la revendication ne peut être que radicale : changer la vie. » Simone de Beauvoir, La Vieillesse (1970), Gallimard, Paris, 2020, Conclusion, p. 755-761.

Lire : « L’esprit CNaV » Le Cnav a été créé en Décembre 2021 à l'initiative de Véronique Fournier, Nicolas Foureur, Eric Favereau et Francis Carrier. Chacun d'eux est aussi porteur d'un projet associatif : La Vie Vieille, Vieux et chez Soi, Vif, GreyPRIDE.

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