C'est la rentrée : avant les scolaires, celle des politiques, chacun·e les yeux rivés sur la prochaine élection présidentielle qui hérite du contexte sanitaire, ses restrictions et ses mensonges, d'une exacerbation des divisions et des divergences, d'une incertitude de première grandeur sur tous les plans d'abord politique, social et sanitaire.
Il fut un temps où la recherche du rassemblement l'emportait sur les divergences, où la nécessité dictée d'un deuxième tour à deux candidats conduisait à une candidature commune, unique sans quoi la gauche se retrouvait exclue de ce tour décisif prouvant que l'Union est une condition nécessaire à la victoire. L'union l'emportait alors contre les divisions. Il fut un temps, lointain, où la gauche fut portée par le peuple, que le peuple se savait, se croyait représenté par les partis de gouvernement de gauche, assez différents pour rassembler des projets, des idéologies, des ambitions, des forces sociales et citoyennes malgré leurs divergences. Alors tout était possible. De vraies avancées sociales suivirent ...
Depuis si longtemps maintenant, ces conquis-acquis furent et sont défendus dos au mur des trahisons, des renoncements, des scandales financiers et sanitaires qui ont minés au fil des ans une confiance dans la parole des politiques et singulièrement de ceux qui prétendent agir pour le peuple. Peu à peu en effet, la méfiance a succédé à la confiance :
De la confiance à la défiance
Les enrichissements illégaux, les magouilles et mensonges à gauche et à droite (Cahuzac, Sarkozy, ministres...), les scandales financiers innombrables, les scandales sanitaires répétés avec l'appui des instances de contrôle grâce aux conflits d'intérêts (médiator, sang contaminé, hormones de croissance, amiante, prothèse PIP...), le constat que les politiques et les firmes, les corrompu·es et ténors de mafias, sur l'ensemble de l'éventail politique s'en mettent plein les poches dès que la possibilité se présente, pour eux-mêmes ou financer ceci ou cela. Pour enrichir plus encore les plus riches et poursuivre cette course de mort, ils ont camouflé les alertes, étouffé les lanceurs d'alerte devenu·es les héros tragiques et salvateurs du théâtre contemporain quitte à empoisonner au sens propre tout ou partie de la population (chlordécone, perturbateurs endocriniens et autres pesticides...), tissent en permanence des romans, des justifications éhontées et mensongères pour poursuivre leurs politiques désastreuses pour les populations et tout le vivant, l'écosystème global.
Enfin ils ont abîmé et miné de l'intérieur la démocratie en la réduisant à quelques votes où les « propositions » du candidat-président valent référendum pour tout acte au cours du quinquennat depuis Macron. Après les lois liberticides, l'état d'exception qui devient la règle, l'accélération depuis son élection en 2017, de l'avalanche incessante de lois et moyens de la surveillance de masse comme ciblée, justifiés par toute cause opportuniste des chocs (terrorisme, pandémie...) sans garantir la sécurité réduite à la lutte contre le terrorisme quand l'emploi, la santé, le vivant, la qualité de l'eau, la qualité des moyens de subsistance et leur accès sont les premières sécurités d'une population. Novation du quinquennat : même l'assemblée nationale aux ordres ne fait plus affaire que comme chambre d'enregistrement, des comités et conseils en tout genre conseillent le monarque élyséen pour ses décisions souveraines pour son bon peuple ! Une façon royale de gouverner qui rappelle les Louis. Sommes-nous encore en République ? Cette pratique en fait douter. Le droit est souple et sa pratique flexible quand le conseil constitutionnel épouse cette façon de gouverner pour n'en gommer que des aspects les plus outranciers ou marginaux.
Nous savons bien désormais qu'un gouvernement fut-il de gauche, peut sacrifier l'existence et la vie-même d'une partie de sa population pour raison d'état. La démonstration n'est plus à faire.
Ce président reconnaît des responsabilités de la France dans la guerre d'Algérie et les essais nucléaires en Polynésie bien des décennies après les faits mais accouche d'une loi climat et d'une transition écologique des plus minces, largement insuffisante quand l'urgence et là, rappelée par les événements météorologiques, les catastrophes ici et là (méga-incendies, inondations, sécheresse …) et les rapports toujours plus précis, documentés et alarmants du GIEC. Bref la solution pour ce président, c'est le tout-technologique (capture du CO2, voiture électrique...) tout en désignant chaque citoyen·ne comme responsable individuel·le du dérèglement et responsable individuel·le des solutions de transition supportées par le porte-monnaie de la ménagère. Globalement, elle exonère les entreprises et les financements qui s'autoréguleront sur le long terme. « Autorégulation » ? On sait ce qu'il en est face à la recherche du profit maximum dans le plus court délai, quoi qu'il en coûte pour population et vivant !
De la droite, le peuple de gauche n'attendait rien de bon. Si bon il y eut, ce fut crédité en bénéfice. De la gauche de gouvernement, nous attendions des avancées sociales et la probité. La trahison de la gauche au gouvernement à son zénith avec la mandature Hollande-le-fier-à-bras a fait basculer de la défiance à la méfiance, une perte immense ; par le décalage de son discours, ses décisions et sa rectitude méprisante, Macron a fait basculer une part de la population dans une défiance systématique largement accompagnée par des médias complaisants et complices aux mains des puissances financières (Bolloré...) malgré des médias qui ne le sont pas. Le « tous pourris » marqueur de toujours de l'extrême-droite a progressé comme tâche d'huile, comme simplification outrancière qui éjecte la République.
Un double prix que nous payons
Les croyances complotistes
Nous payons aujourd'hui le prix de ces décennies de déni et de politiques pour les plus riches : un double prix qui plombe l'avenir : avec le temps elle s'est renforcée année après année, scandale après scandale, mensonge après mensonge, trahison après trahison : une défiance colossale par une proportion croissante et bruyante de la population d'abord à l'égard des organisations politiques, des faits scientifiques, de la presse et des médias... qui confine au rejet systématique pour accoucher d'une nouvelle confiance, celle des réseaux sociaux où chacun·e, enfermé·e dans sa bulle et son réseau, de mêmes croyants convaincus qui renforcent la foi dans ces torrents de contre-vérités, de fausses évidences, de questions oiseuses où tout est suspect d'une parole hors-champ des croyances.
La perte d'influence des religions chrétiennes a laissé le champ libre à bien des sectes et pratiques sectaires qui ont pu s'insinuer dans les fragilités psychiques des personnes de tout niveau social et de revenu confondus. Comme le refoulé, le religieux et la croyance ont fait retour dans un éventail de croyances syncrétiques ou animistes, chacun la sienne. La croyance est bien une caractéristique de la psyché humaine. Ainsi en va-t-il de la défiance devenue systématique : la critique nécessaire et fondée des médias, des politiques, des faits, des connaissances scientifiques (non de ces dogmes) a conduit à jeter le bébé avec l'eau du bain en déplaçant la confiance dans de nouveaux discours diffusés sans aucun filtre de faits ou d'arguments, celui des réseaux sociaux où chacun·e est confortée à croire, à gober sans aucune distance critique tout discours fut-il le plus outrancier ou faux qui révèle, sans l'ombre d'un doute, une vérité forcément cachée par un complot mondial ou national ou local. On jette la télé pour se jeter sur son téléphone et son réseau social, lieu d'une nouvelle confiance absolue et intransigeante.Trente ans et plus pour en arriver là ! Les vérités complotistes ont de beaux jours devant elles quand ces complotistes se battent avec la conviction des croyants pour imposer comme une vérité universelle. Ce n'est pas la moindre des menaces qui pèse sur la démocratie et les défis climatiques et la bio-diversité. Elle se poursuivra au-delà du contexte pandémique et sanitaire marginalisant une fraction importante de la population.
La division des candidatures, second tour sans la gauche
En cette rentrée, loin de recherche des convergences, même sans les traditionnelles candidatures dites d'extrême-gauche (L.O...), quatre partis de gouvernement vont présenter un candidat. Quatre candidats dont plusieurs font le pari d'accéder au second tour : un record ! Parti communiste, La France Insoumise, Europe-écologie-les Verts et le Parti socialiste se lancent qui, dans une primaire pléthorique à quatre ou cinq candidats, qui dans la candidature unique tradition des organisations au garde-à-vous d'un chef charismatique (deux hommes !). Nulle injure pour JLM qui bien évidemment, étouffe par son historicité, comme Mitterrand avant lui, toute autre candidature qui seraient candidatures.
Ce faisant chacun·e tente de se compter et, pour deux au moins, d'accéder au second tour pour espérer rassembler et l'emporter. Un pari qui en dit long sur la division au sein d'une gauche qui a déserté le terrain idéologique, l'a fossilisé ou perverti, d'une extrême-gauche à une presque-gauche. Ce pari est un pari que nous pouvons penser perdu d'avance. Certes chacun dans la dynamique d'une campagne s'évertue à diffuser l'idée d'un possible victoire qui passe par l'accès au second tour mais n'étant groupie de quiconque, je peux en douter aujourd'hui au plus haut point. Bien entendu, les militant·es de ces organisations sont embarqué·es dans une mobilisation qui occulte au moins partiellement cette absence au second tour mais peut illusionner sur l'accès au second tour. A moins d'un événement-choc imprévisible, d'un raz-de-marée improbable, les jeux sont faits.
Il semble bien plus que ces partis, enfermés dans une logique voulue par la Vème République et ses modifications successives qui n'ont fait que renforcer le caractère présidentiel-coup d'état permanent de cette Vème, pensent davantage à l'après-présidentielle qu'à l'élection présidentielle : qui sera le leader des gauches (si un émerge?) et donc de l'opposition de gauche future ? Qui pèsera assez pour être un partenaire incontournable au sein de cette famille divorcée ? Pour cette raison qui avive la concurrence entre partis, sauter à pied joint sur le résultat de la présidentielle semble bien être le choix réel qui est fait. En quelque sorte, un « avec nous mais sans nous » ! Avec nous séparément, sans peser face aux extrémistes Macron et LePen (un outsider de cette engeance peut perturber ce jeu à deux), sans nous, pour le second tour donc le tour final qui décide du ou de la présidente.
Ces décisions sont lourdes de conséquences : avec l'un ou avec l'autre au nom près, la catastrophe sociale et démocratique est annoncée : retraites, droit du travail, hôpitaux, Education, chômage et précarité, liberté de la presse, surveillance des citoyens et lois, pratiques plus encore liberticides… la voie d'une contre-réaction majeure est tracée comme un boulevard. Certes des révoltes peuvent éclater mais de prise du pouvoir par la force point, illusion d'autrefois. Quel serait d'ailleurs ce pouvoir issu de cette force ? Le remède pire que le mal dans un état des croyances et des divisions d'aujourd'hui. Mai 68 a bien montré qu'un mouvement de masse qui ne s'articule pas avec une alternative politique, s'il obtient des avancées (provisoires souvent) malgré sa puissance du moment ne débouche pas politiquement. Les Gilets Jaunes également. Quant à une élection après un mouvement social d'envergure c'est la chambre introuvable assurée, bleu horizon ou brun.
Décidément l'élection présidentielle est l'enjeu crucial. Après, les luttes sociales, écologiques, citoyennes auront le dos au mur pour éviter les reculs mais pas réellement pour des avancées sinon très partielles. Nous pourrions même assister faute de débouchés politiques à des alliances contre-nature entre certains groupes écologiques ou féministes, tous bien divisés, pour grapiller quelques avancées supposées et dans l'immédiat une caution bienvenue… le pouvoir fascine toujours avec ses ors et ses paillettes, mérite bien quelques incongruités et distorsions quand tout va à vau-l'eau et que route est barrée.
Avec cette victoire des forces réactionnaires, version libérales ou souverainiste, nous serions plongés durablement dans une longue nuit de souffrances dont je sais que je ne verrai pas l'aube. La démocratie française a pris le chemin de l'autoritarisme, la contrainte, la surveillance, l'injonction. Qu'en restera-t-il encore dans quelques années hors d'un discours fallacieux et des faits qui pourraient ne pas être ou peu révélés et documentés ? Cette division, cette impossible candidature unique et commune scelle la fin de l'espoir, non de lendemains qui chantent mais de lendemains un peu plus heureux, de redressement social et démocratique. Dans quel état sera alors la France et ce peuple ? Si nous regardons notre Histoire, deux périodes viennent en mémoire : entre la décrépitude des années post-36 et la libération ce fut le prix d'une guerre et ses atrocités nouvelles pour le programme du C.N.R et ses avancées sociales ; une autre guerre encore celle d'Algérie avec la SFIO et son Guy Mollet qui l'impose en 1956. Il faudra 25 ans, un quart de siècle, pour vivre enfin la gauche au pouvoir en 1981, perdue ensuite dans le fric-roi et le mensonge... La sixième République, nécessité vitale pour la démocratie et la plus grande partie de sa population, est un horizon qui recule.
Les luttes pour se défendre et préparer d'autres lendemains
S'arrêter à ce lourd constat déprimant donnerait à croire que tout le pouvoir est aux politiques qui l'exercent. Ce serait une grossière erreur : certes, des luttes dos au mur et tout autant face aux murs de l'argent, de l'intolérance et de la haine mais l'histoire des luttes ne s'arrête pas et le pouvoir est plus partagé qu'il peut y paraître en période électorale. L'Histoire ne s'arrête pas. Elle peut s'ouvrir à terme sur un autre scénario. Rien n'est définitivement perdu dans l'Histoire d'un pays et de son peuple et pour l'individu, tant que dure sa vie.
Au-delà d'une période d'élection présidentielle de tous les dangers et de son résultat, la mobilisation intelligente et créative est à l'ordre du jour pour des luttes sociales, écologiques, citoyennes, qui seront peut-être bientôt la seule défense de ce peuple ; non pas chacun·e intransigeant·e dans sa petite boutique de certitudes prosélytes qui exacerbent les antagonismes mais enfin dans la recherche et la construction patiente et tenace d'une unité de combat et de projets qui aujourd'hui fait largement défaut, condition pourtant essentielle à une défense efficace.
Le pouvoir du citoyen et de toute organisation ou association qui veut un autre avenir est dans la construction d'alternatives face à la « seule solution » toujours imposée, de circulation d'une information fiable face aux mensonges de tous les pouvoirs et des crédules intoxiqués, de rappeler sans cesse les exigences d'une société plus juste et solidaire, d'organiser et défendre les plus fragiles, précaires, marginaux, appauvris, de proclamer sans cesse la responsabilité du politique dans les difficultés et le malheur qui frappe et non le destin, la nature ou le hasard, de montrer et démontrer la nécessité et les bénéfices d'une démocratie plus forte, plus consistante, plus inclusive et collaborative où le citoyen a son mot à dire, l'élu·e a rendre des comptes, de refuser la seule solution technologique comme la seule responsabilité individuelle pour résoudre les défis de notre temps ... Liste sans fin, raisons et responsabilités de lutter quand bien même ces partis, par leurs divisions, lâchent le peuple pour exister. Qui supportera les conséquences désastreuses de ce boulevard ouvert aux forces réactionnaires et autoritaires ? C'est le peuple des petites gens anonymes, celui des classes moyennes mais d'abord des plus défavorisées par un système politique qui exploite et détruit peuples et planète pour une minorité qui rêve d'îles ou de mars pour y recréer un monde de parvenus quand celui-ci sera invivable.
Il n'est pas temps de désespérer, sauf un instant, mais de ressentir, d'entendre, de participer à cette mutation de nos sociétés et du monde, de ses combats, de ses moyens, de ses mobilisations qui se vérifient tout aussi bien localement que dans un espace plus large, aux quatre coins de la planète qui n'en compte même pas un seul puisqu'à y bien regarder : « La Terre est bleue comme une orange ».