La Présidentielle de tous les dangers, qui ne se limitent pas au danger d'extrême-droite, est en vue dans des conditions inédites pour un résultat des plus incertain. Elle est déjà pour une large partie du peuple de gauche (si cette expression a encore une sens) un déchirement qui oppose bien plus qu'il ne rassemble, provoque des débats picrocoliens qui disent davantage le désarroi et l'affolement que l'attitude politique (1)
Est-elle une impasse, une bataille à mener, à fuir ou, au contraire, "la" mobilisation essentielle sur la seule VIème République, une Assemblée Constituante pour sortir de l'impasse de la Vème qui nous conduit à l'affrontement, à l'arbitraire maquillé en état de droit, à l'extrémisme d'où qu'il vienne ?
L'élection Présidentielle de 2017 se présente comme jamais
- La candidate du FN est attendue au second tour voire en tête au premier tour ; la perspective de son élection au deuxième tour est dans l'éventail des possibles,
- Le gauche (du rouge au rose bonbon) risque fort de ne pas se retrouver au second tour
- Le taux d'abstention risque d'être très élevé chez les «déçus » du vote Hollande de 2012, au premier et au second tour,
Quel chemin à l'envers parcouru depuis … par exemple 2002 !
- Pour le moment, les gagnants des deux primaires ne sont pas connus. A droite Juppé est en tête mais on sait que les sondages sont des machines à biais de tous ordres, les dynamiques électorales incertaines ; pour la gauche, on ne connaît pas tous les candidats (2). Hors primaire, Mélenchon et Jadot sont candidats (3).
Finalement (sans prétendre lire l'avenir ni pronostiquer) le scénario du second tour qui serait le plus clivant et à coup sûr le plus risqué, c'est certainement le duel MLP / Mélenchon. En ce cas, l'abstention a toutes les chances de battre un record et le vainqueur d'être celui qui mobilise davantage son camp et au-delà. En dehors de ces deux radicalités, le duel risque d'être fort un choix du « moins pire », le « moins pire » étant affaire subjective de chacun.
Depuis la première élection du Président de la république au suffrage universel en 1965 (modification de 1962) jusqu'à la réduction à cinq ans du mandat présidentiel (2000) et surtout de l'inversion du calendrier électoral (2001) où les législatives suivent immédiatement la présidentielle, la Vème République n'a cessé de devenir plus présidentielle avec un pouvoir exécutif qui étouffe, ridiculise, contourne (4) les pouvoirs législatif et judiciaire, rendant de plus en plus caduque la séparation des trois pouvoirs, fondement premier, irréductible de la République.
Une seule élection compte : la Présidentielle
Il n'y a plus qu'une seule élection qui compte : la Présidentielle. Les législatives assurent la majorité au président dans la foulée. Les députés de la majorité doivent leur élection au Président davantage qu'à leurs électeurs. Les primaires, censées être une procédure plus démocratique, ajoutent des circonvolutions aux tractations et aux guerres internes aux partis. Faut-il en être ou se présenter directement ? Les parrainages ne sont pas garantis pour les candidats peu en vue et hors appareil. Enfin il existe plus que jamais la possibilité qu'un outsider rafle la mise dans ou hors la primaire. Macron est dans cette posture. Hollande l'a fait en 2012 faute de DSK. Trump aux USA. C'est l'élection de l'homme providentiel qui surgit et coiffe sur le poteau grâce à un électorat réduit (forte abstention) et désormais changeant.
La présidentielle s'est installée comme un piège institutionnel qui verrouille toute évolution, toute alternance, toute alternative : Une fois élu, le président ou la présidente dispose d'immenses pouvoirs, multipliés par la loi Renseignement, par l'état d'urgence permanent, par le fichier TES etc
Quel président, une fois élu, lâchera du pouvoir ? pas un seul ! Pas plus Mélenchon que tous les autres : Mitterrand a beau avoir critiqué et combattu la Constitution de 58, il l'a bien endossé. Le Pouvoir du Président est tel, de l'exécutif est tel, qu'un candidat élu ne lâchera rien en justifiant ce renoncement par l'urgence, la nécessité d'avoir tous les moyens pour lutter contre ou pour … (5). Tous les pouvoirs cherchent à accaparer davantage de pouvoir, jamais le contraire. Notre système constitutionnel et la pratique de gouvernement a dépassé le point de non-retour en matière de concentration des pouvoirs de l'exécutif. Cette concentration et l'assujettissement progressif des pouvoirs judiciaire et législatif excluent un reflux, une redistribution responsable et plus démocratique des pouvoirs. Le pouvoir autoritaire est en vue avec les moyens d'un fichage de masse, d'une surveillance généralisée hors de contrôle. Il est l'aboutissement de cette Constitution, trajectoire inscrite dans ses modifications successives comme dans ce costume taillé par et pour le Général à une autre époque difficile.
C'est bien la Présidentielle et les institutions de la cinquième République - République confisquée et verrouillée - qui est le problème, qui est à changer. Hors de ce changement, la Présidentielle française rejoindra celle des USA : un vote pour le pire à défaut du meilleur pour au moins virer ceux en qui la confiance n'existe plus (Trump à défaut de Sanders).
D'une nouvelle Constitution, nous attendons :
- La garantie de l'indépendance de la Justice,
- Le rôle central donné aux représentants de la Nation,
- La fin des 49-3, ordonnances, lois et état d'urgence permanent
- La garantie de la pluralité du quatrième pouvoir - la Presse – retirée des mains des puissances financières, de ces patrons arrogants, sans scrupules et dictateurs,
- La mise en place des contre-pouvoirs et des organismes de contrôle réellement indépendants pour entraver la corruption (conflits d'intérêt généralisés, fraudes, enrichissements illégaux, placements dans les paradis fiscaux...).
- La règle du non-cumul complet des mandats et la rotation de ceux-ci.
A défaut, à continuer dans cette vampirisation du pouvoir par l'exécutif, c'est le pire qui nous attend, tôt ou tard : l'extrême-droite/droite extrême à la tête de notre pays avec tous les moyens de contrôle des opposants, des déviants. Face au mépris, au mensonge, à l'exploitation, au déclassement, aux insécurités vraies et fantasmées bien orchestrés par les politiques de la peur, le peuple se vengera pour se jeter dans la gueule du loup. Nous sommes bien au bout du bout d'un processus qui conduit à la révolte dans un sens ou dans l'autre, sinon à la révolution incertaine au résultat imprévisible, révolution positive non comme un processus violent idéalisé qui rase tout mais celui d'une transformation majeure en profondeur pour mettre enfin la liberté, l'égalité et la fraternité au cœur des institutions et des pratiques où la morale politique ne sera plus l'immoralité permanente aussi évidente que déniée.
Il faudra bien en passer par là ou s'engouffrer pour longtemps dans un tunnel sombre de notre histoire, que notre pays a connu et qu'il peut vivre à nouveau, même si les formes et les circonstances sont différentes, un tunnel sombre que le monde pourrait connaître dans la violence et la haine, le chacun pour soi porté au paroxysme.
Une Assemblée constituante ?
Certains nous proposent une assemblée constituante en remplacement de la Présidentielle. Signer la pétition « Présidentielle NON - Constituante OUI » c'est possible mais ne règle rien pour y parvenir (6). Elle propose de ne pas tenir la Présidentielle et appelle à une Constituante.
Ne pas tenir la Présidentielle ? Au mieux un vœu pieux ! Ce serait sortir de la légalité, de l'état de droit, de la Constitution : impossible sauf un coup de force. Donc on aura la Présidentielle en 2017 quoiqu'il nous en coûte.
Qui a le pouvoir de réunir une telle assemblée ? Rien, dans l'actuelle Constitution, ne le permet. Ce n'est pas prévu. Même si un nombre considérable de signatures sont recueillies, il n'y aura pas de constituante, simplement (ce qui serait déjà beaucoup) la demande d'un grand nombre pour cette perspective.
Depuis des années, le passage à une sixième république est régulièrement et avec raison, revendiqué : de la C6R jusqu'à cette pétition toute récente pour une Constituante. La question n'est pas sur l'objectif d'une autre Constitution (encore qu'elle puisse avoir différentes versions bien différentes…) mais surtout, comment y parvenir ?
Comment amener les conditions d'une autre République ? Là est la vraie question, cruciale. Certes, populariser cet objectif, le faire partager par le plus grand nombre est nécessaire. Pourtant c'est la panne du côté de la stratégie pour y parvenir, une panne franche et massive. Se préparer, rassembler le maximum de personnes sur cette idée, rester prêt c'est à peu près tout.
Dans notre pays, comment a-t-on changé de République ? En 1940 la IIIème république a fini dans les pleins pouvoirs à Pétain et l'Etat français. En 1958, la IVème République s'est terminée dans la décolonisation, la déconsidération, le «coup d'état permanent » du Général de Gaulle. A chaque fois, il a fallu des circonstances historiques dramatiques pour basculer d'une République à une autre. Rien dans nos Constitutions ne permet ces évolutions. C'est toujours une rupture historique, dans l'inconnu d'une carence ou suite à un traumatisme national.
Alors aujourd'hui la Constituante et la 6ème république ? Il serait vain d'attendre d'un processus légal non prévu (a fortiori d'une pétition) le passage à cette Assemblée. Si Hollande avait proposé une 6ème République, vous auriez eu confiance ? Vous pensez que la 6ème aurait été alors meilleure que la 5ème ou plus présidentielle encore ? Et son successeur ? Croyez-vous que dans un contexte de virage à l'extrême, la Constituante ne serait pas enterrement de la République ?
Nous sommes véritablement dans une impasse côté constituante même s'il est indispensable de promouvoir cet objectif car la Vème est une impasse dramatique pour la France et son peuple. Ce qui n'est pas à l'ordre du jour peut le devenir.
Par contre, je ne vois qu'un événement fort, historique, surprenant, peut-être brutal pour embrayer sur ce passage difficile et incertain, pour l'instant hypothétique. Peut-être un futur plus ou moins proche. Ce qui est improbable peut aussi advenir. L'accouchement peut être inopiné mais l'enfant sera-t-il reconnaissable ?
Oui, les dès sont largement pipés pour la présidentielle. Elle est une impasse qui amplifie le vote utile, qui rend quasi-utopique une alternance réelle de gauche pour longtemps (la gauche est en miettes), qui rend possible une présidence d'extréme-droite ou de droite-extrême, verrouille un changement de Constitution. Mais elle aura lieu. Son résultat est, pour l'heure, des plus incertain, des plus indéterminé. Nous ne pouvons malgré tout, nous en désintéresser tout en portant le regard bien au-delà du temps actuel, bien au-delà de cette élection de tous les dangers sur laquelle néanmoins, nous ne pouvons tirer un trait. Responsabilité oblige.
(1) Exemple : voter Juppé à la primaire de la Droite pour éliminer Sarkozy !
(2) Hollande se représentera-t-il ? dans le cas négatif Valls prendra-t-il la relève ? C'est du pareil au même. Compléter la liste au fur et à mesure de l'actualité si vous voulez.
(3) Pour Yannick Jadot, nous verrons déjà s'il obtient les signatures nécessaires ou non.
(4) « étouffe » : pression permanente sur les députés de la majorité pour soutenir aveuglément l'exécutif et taire leurs désaccords sous menace de sanctions.
« ridiculise » : la Justice, une « institution de lâcheté... tous ces procureurs, tous ces hauts magistrats, on se planque, on joue les vertueux... » (Hollande dans le livre de Lhomme et davet) ; Sarkozy durant sa présidence qui a traité les juges de « petits pois ».
« contourne » : par toutes les procédures administratives de l'état d'urgence qui écartent le contrôle judiciaire, par la loi sur le Renseignement, par les fichiers qui échappent au contrôle judiciaire (ex : TES)...
(5) au choix et à compléter à votre guise : le chômage, l'emploi, le terrorisme, la sécurité, les fraudeurs, les immigrés, le bonheur du peuple et de la France …
(6) https://www.change.org/p/citoyennes-et-citoyens-de-france-pr%C3%A9sidentielle-non-constituante-oui
https://blogs.mediapart.fr/andre-bellon/blog/121116/le-monde-apres-trump