" Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve"
Hölderlin
Si j'osais, je vous dirais …
Qu'en France aujourd'hui
- Arrêtez de dire que le FN monte, monte toujours et encore, envers et contre tous (enfin presque!), qu'il est plus qu'une menace pour la démocratie, pour les gens du peuple qui voteront pour lui, que nous défilions pour un Le Pen au second tour des présidentielles à 17% en 2002. Aujourd'hui à 25% de vote frontiste la « gauche » au pouvoir trouve qu'elle a bien limité les dégâts, bien contenu la menace, validé la campagne et la ligne, qu'elle peut continuer cette politique de droite, jusqu'en 2017 pour se trouver avec M.Le Pen au second tour et serrer les rangs quand la droite votera à l'unisson pour elle, la ralliera pour des portefeuilles ministériels. Je le sais et j'ai peur.
- Arrêtez de dire qu'Hollande - élu par la gauche unie - et Valls - à 5% des primaires socialistes ! - vont laisser un champ de ruines à gauche déjà largement entamé, liquider la "gauche" qui n'est pas la leur pour manœuvrer à droite, que les frondeurs n'iront pas plus loin, ne rompront pas pour reconstruire une gauche plus vraie, aujourd'hui déconfite, terrassée, que la gauche dite extrême ou la « gauche de la gauche » est en miette ou en marge ou en cale-sèche, empêtrée dans ses querelles, ses vérités toutes faites, ses sectarismes et ses ego qu' EELV est déchirée entre ceux qui lorgnent un maroquin ministériel et les autres, je le sais et j'ai peur.
- Arrêtez de dire, de constater que ceux du peuple, ces soldats du quotidien, malmenés, désorientés, déboussolés, écœurés sont aujourd'hui, prêt à se jeter dans la gueule du loup comme autrefois d'autres ont cru au national-socialisme avant de vivre la barbarie nazie. Je le sais et j'ai peur.
- Arrêtez ! Je sais que le FN ne fait plus vraiment peur à beaucoup. Il engrange le rejet de ces politiques qui trahissent leurs électeurs, leurs engagements, leurs valeurs, de cette politique des renoncements déguisée en seul-choix-possible, de ces affaires de corruptions, d'enrichissements illégaux, de dissimulation en paradis fiscaux, au regard d'une injustice fiscale exorbitante où les plus riches - particuliers comme sociétés - bénéficient d'une évasion fiscale performante autant que juteuse, si ce n'est de fraude bien orchestrée avec complicités des puissants tandis que les contribuables des classes moyennes payent pour les plus fortunés. Arrêtez ! Combien de casseroles judiciaires qui n'aboutissent jamais, au terme de marathons judiciaires dans des procédures aussi complexes qu’absconses au commun des mortels pour que ces corrompus d'un bord et de l'autre s'en tirent de toute façon, accréditant l'idée que l'impunité vaut pour les friqués et gens de pouvoir.
- Arrêter de dire que les politiques antiterroristes menacent nos libertés, minent la démocratie, effet politique majeur voulu par le terrorisme, sauvagerie de notre époque qui ramène la civilisation à la barbarie. Des « Patriot Act » passé et à venir en loi sur le renseignement, d'objets connectés en drones à tout faire (pour bientôt), de contrôle des échanges et conversations par smartphones et ordinateurs à l'arbitraire des contrôles administratifs, surveiller et contrôler les populations devient possible à une échelle jamais atteinte grâce à nos merveilles technologiques et informatiques, voilà réalisable ce vieux rêve totalitaire, avec déjà le pied dans la porte. Je le sais et j'ai peur.
Et en Grèce
- Arrêtez de dire que le gouvernement grec, porté au pouvoir par son peuple, est mis en demeure de plier face aux injonctions et diktats de la BCE, la troïka et les banques européennes. Arrêtez de dire que si son peuple ne sort pas de la misère avec Syriza alors il pourrait bien se jeter dans les bras d'une Aube dorée violente et totalitaire. Le fascisme et le chaos par aveuglement idéologique. Je le sais et j'ai peur.
Et sur terre
- Arrêtez de dire que le dérèglement climatique va précipiter sur les routes des millions (dizaines, centaines …) de migrants. Arrêtez de dire qu'il va bouleverser l'économie mondiale et les équilibres sociaux, promouvoir des "démocraties-autoritaires", provoquer des submersions catastrophiques par la montée des eaux, va ceci va cela. Je le sais et j'ai peur.
- Arrêtez de dire qu'en attendant on nous raconte des histoires en affirmant pouvoir limiter à 2 degrés cet échauffement, que rien n'est trop tard, qu'on peut y croire, qu'il faut y croire et se battre chacun dans le dérisoire du quotidien, que tous ensemble nous pourrions, que ci que çà. Je le sais et j'ai peur.
Je le sais
- Oui je le sais. Pas tout non, mais un peu quand même et assez pour penser : Est-ce bien utile de savoir quand tout fout le camp que, tout fout le camp ?
Peur ....
- Oui j'ai peur. Presque pas pour moi, après tout, ma vie est faite, mes illusions perdues et ce qui est devant est encore du combat.
- J'ai peur, vraiment peur, de quitter cette vie en laissant mes enfants et mes petits-enfants dans l'avènement d'une barbarie qui coupe ce monde étouffé et violent ; un monde coupé en deux barbaries, celle des Barbares (les autres), celle des Civilisés (nous), deux mondes en guerre permanente et sans fin où la technologie maniée par des états démocratiques-totalitaires ne cherchera qu'à contenir la haine et la violence des barbares pour ne surtout jamais la vaincre (qui demande autre chose que la guerre) tant les Barbares sont nécessaires à cette démocratie-là pour poursuivre la guerre, sa politique de liberté surveillée et d'étouffement des alternatives, du consensus imposé. Démocratie-totalitaire ? Une élection manipulée (par l'argent des sociétés et riches fortunes, par les connivences des politiques et les conflits d'intérêt, par la presse complaisante etc...), une alternance pour la même gouvernance, dans le même cadre légal pour surveiller et punir toute contestation au sein de la société au nom du terrorisme, dans un délire logorrhéique compassionnel et sécuritaire anesthésiant.
- Oui peur de ce monde toujours plus violent par ses inégalités entre très riches et les autres qui se regardent en se jalousant, par ses violences institutionnelles et au travail, par la violence individuelle qui frappe les esprits et fait oublier les racines de ces violences pour appeler à toujours plus de surveillance et de répression, par la surveillance généralisée consentie à travers l'utilisation des réseaux sociaux et la connectivité permanente, par des symptômes et syndromes psychiatriques toujours plus étendus pour cacher les dysfonctionnements de nos systèmes-fous en renvoyant tout à l'individu (bientôt le bonheur obligatoire comme ultra-performance). Violences qui s'emparent de nos sociétés « développées », toujours à la recherche d'un nouvel étranger, d'un nouveau sauvage comme bouc émissaire pour le livrer comme toujours au rejet, à la haine, à la violence imbécile et criminelle et conjurer sa peur à défaut de sa bêtise.
- Si j'osais, je vous dirais bien d'arrêter de me dire, me donner à comprendre quand je me sens si impuissant face à ces combats, ces défis, ces futurs angoissants. Je vous dirais bien d'arrêter de dire ce qui va mal. Vous dire de me raconter des histoires gaies ou polissonnes, à l'extrême rigueur des histoires à dormir debout – si je pouvais encore - de ces histoires qui anesthésient comme TF1 sait le faire entre deux publicités. Si j'osais, j'aimerais que vous m'assuriez que le pire n'est jamais sûr, que je cherche aussi à me faire peur. Que le présent n'est pas l'(ir)résistible ascension d'un nouvel Arturo Ui sur fond de ruines de nos espoirs de paix, d'un monde un peu meilleur, d'une vie un peu plus légère, d'une France un peu plus rayonnante, de politiques qui se moquent un peu moins du peuple, qui soient un peu moins corrompus, portés un peu moins vers le seul Pouvoir et l'horizon de leur prochaine (ré)élection, un peu plus vers l'intérêt général et le courage politique. Si j'osais...
Allons voilà bien !
Toutes mes illusions ne seraient pas perdues ?
Bon courage, (pour un bon moment) les temps sont durs ! La journée commence. C'est quel jour demain ?
"..... croît aussi ce qui sauve " ??
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« Je » c'est nous, c'est vous, cette génération que d'aucuns disent déprimée par cette évolution que nous voulions toute autre et que nous n'imaginions pas. Nous nous sommes cotoyés de si nombreuses fois dans des combats incertains et divers, pour avoir parlé avec vous de si nombreuses fois, j'ai voulu vous le dire et vous rendre cet hommage dans sa forme directe. Je le sais, nous le savons, vous le savez, se battre est encore le meilleur moyen de vivre malgré tout même si la vie est aussi joie simple tout autant qu'éphémère.