La question de l’intérêt à agir soulève dans le dossier Tapie des réactions qui montrent ..l’intérêt de la question, mais aussi une nécessité de réflexion.
Toute personne qui considère une décision critiquable, qui se sent lésée par un acte, a tendance à considérer qu’elle a un droit à recourir à la justice, qui ne correspond pas d’ailleurs à la place qui est en France généralement faite au droit. Il en est ainsi en particulier en ce qui concerne les décisions de toutes celles qui peuvent être prises à l’échelon gouvernemental ou municipal, de celles prises dans les sociétés, les copropriétés, les associations.
Les codes de procédure, administrative ou de procédure civile, et la jurisprudence conditionnent l’accès au tribunal à une condition dite de recevabilité qui est celle de l’intérêt à agir.
Cette condition restrictive est facilement ressentie comme un refus de justice, alors qu’elle répond à la nécessité d’assurer un équilibre résultant de différentes considérations.
La première considération résulte du rôle de la justice dans un état démocratique et de droit. Le droit d’accès à la justice est lié à l’intervention du juge pour soit annuler une décision, soit ordonner réparation d’un acte considéré comme fautif. L’exercice de ce pouvoir entraine une remise en cause des décisions publiques et privées, et la définition des personnes qui peuvent déclencher une action en justice est indissociable de l’étendue du pouvoir d’intervention du juge. Face au droit de critique individuel du demandeur, il faut tenir compte des règles quant au pouvoir de la majorité, des règles d’équilibre des pouvoirs et des exigences quant à la stabilité et à la sécurité des relations juridiques. Il est évident en particulier que ceci pose le problème fondamental de la contestation par voie judiciaire des décisions de l’exécutif, ce qui suscite facilement des relents de méfiance quant à l’équité des parlements, des protestations quant à l’absence de légitimité des juges parce qu’ils ne sont pas élus, du rôle comme contre-pouvoir ce qui en France n’est qu’une « autorité judiciaire », de l’intervention des juges dans les décisions de gestion, avec ce que l’on a appelé la judiciarisation de l’économie.
Il est par ailleurs évident que la justice ne pourrait faire face à une possibilité de recours ouverte sans limite. Il est tout aussi évident qu’une telle ouverture exposerait toute personne physique ou morale, privée ou publique, à un harcèlement permanent, qui ne ferait que favoriser ceux qui ont la puissance économique tout en paralysant potentiellement le fonctionnement des acteurs économiques et politiques.
Pour assurer cet équilibre l’exigence d’un intérêt à agir est liée à la notion d’intérêt protégé. L’intérêt à agir va être déterminé en fonction de la nature de la décision ou de l’acte, de ses effets et par ailleurs de la nature du demandeur. Des règles jurisprudentielles, développées dans le cadre de leur compétence par les tribunaux judiciaires et administratifs, définissent ainsi les conditions tenant à la nature du demandeur (contribuable, habitant d’une commune, voisin, actionnaire, client, copropriétaire, etc. ), à la nature du recours (excès de pouvoir, plein contentieux, action en responsabilité, action en nullité, etc. ) , à la nature de la critique (abus de pouvoir, abus de majorité, erreur manifeste d’appréciation, présentation de faux bilan, délit d’initié, abus de biens sociaux, etc. ) aura intérêt à agir.
Pour ouvrir les recours mais en les limitant, l’intérêt à agir va être reconnu à des associations, des syndicats.
Il faut souligner que dans cette reconnaissance de l’intérêt à agir , l’efficacité du droit reconnu est souvent limité par le montant de l’intérêt en question par rapport aux frais d’une action en justice. C’est le problème des petits litiges, des actions de masse. En droit français il est évident que l’absence d’action de groupe prive en fait d’un exercice effectif de leurs droits ceux à qui le droit de la procédure reconnaît un intérêt à agir. La solution privilégiée en droit français , qui est celle de l’association, ne se prête pas une véritable défense des intérêts en cause et elle favorise tous les dévoiements.
La question de l’intérêt à agir est donc une question qui a un intérêt fondamental dans la définition d’un état de droit, elle ne doit pas être abordée avec simplisme.