L'analyse faite par l'Avocat Général Nadal de l'attitude de la Ministre de l'Economie et des Finances comme constituant des manoeuvres "d'échec à la loi" concernant la défaisance du Crédit Lyonnais laisse rêveur . L'Avocat Général parle de la soumission à l'arbitrage et de l'absence de recours contre la sentence arbitrale comme constituant un détournement de la loi.
La première interrogation que sucite cette analyse concerne la compréhension que peut avoir l'Avocat Général de la nature même d'une défaisance. Les opérations de défaisance, telles qu'elles sont apparues à l'origine, aux Etats Unis concernant les comptes d'Exxon (on parle d'opération de defeasance , en France concernant les comptes de Peugeot (le terme de défaisance apparait alors). Elles sont des opérations relevant de la gestion de bilan, qui sont un exemple de ce qui pouvait en France soit dans une vue critique être qualifié de présentation de faux bilan, soit dans une vision plus tolérante des pratiques comptables, être analysé comme un exemple de "comptabilité créative". Elles ont été admises avec réserves par le Conseil National de la Comptabilité compte tenu en particulier de la pratique internationale, et parce qu'elles concernaient en fait les comptes consolidés.
La technique comptable de la défaisance a ensuite été dévoyée par les établissements publics et par les banques du secteur public, en raison de la crise immobilière et ensuite de la crise des banques . Il s'agissait d'atténuer les conséquences de ces crises sur les bilans des établissements publics et des banques du secteur public dans le cadre d'une gestion "créative" des bilans, en cherchant à masquer au maximum les provisions devant être faites. Cette gestion des bilans se faisait avec un traitement comptable masquant la réalité des pertes , et dans le secteur privé s'était traduite en fin de compte par la faillite de Pallas Stern. Dans le cadre du secteur public ce fut les faux bilans qui ont été établis pour le Crédit Lyonnais.
C'est dans ce contexte que la loi sur la défaisance a en fait organisé un détournement de la loi comptable, pour masquer les pertes du Crédit Lyonnais, parer au problème des incertitudes quant au passif du Crédit Lyonnais et transférer à la charge des deniers publics les pertes que l'on voulait masquer et éponger. La loi sur la défaisance a par ailleurs organisé un système de disposition des actifs "pourris" transférés . On a souligné que ce transfert manquait totalement de transparence, qu'en isolant les actifs qualifiés de "pourris" on les dévalorisait immédiatement et que par ailleurs la procédure se faisait forcément avec des profits anormaux des acheteurs au dépens des deniers publics. Le "dossier ADIDAS" n'était pas transféré parce qu'il n'était pas considéré comme un actif "pourri", ce qui traduisait le fait que le Crédit Lyonnais s'était enrichi grâce à ce dossier.
Parler de détournement d'une loi qui est une loi de détournement choque la logique juridique et ne peut résulter que d'une ignorance totale de cette loi , ce qui peut facilement s'expliquer s'agissant d'un dossier de droit économique, comptable et financier complexe.
Cependant, s'agissant d'un dossier qui s'inscrit dans un contexte de traitement d'une crise financière qui était nationale, mais où les problèmes se situent maintenant dans un contexte de crise financière internationale, on peut considérer que la critique de l'attitude de la Ministre (et de ses prédécesseurs et collaborateurs) devrait être conduite avec suffisamment de sérieux juridique et de responsabilité.
La loi de défaisance peut être critiquée , surtout d'ailleurs dans le processus de liquidation des actifs. Critiquer le recours à l'arbitrage est totalement irresponsable : indépendamment de toute question d'analyse du droit français pour en tirer une extension aberrante juridiquement de l'interdiction de l'arbitrage, il convient de rappeler d'une part que le Conseil d'Etat pronait le développement de l'arbitrage et d'autre part qu'il s'agissait d'un arbitrage international. A l'heure où l'on s'efforce de maintenir le rôle de Paris en tant que place internationale d'arbitrage, les attaques contre l'arbitrage , avec le postulat de départ que le consentement à un arbitrage est en soi condamnable, sont irresponsables.
Par ailleurs considérer qu'il y a un abus de pouvoir en acceptant l'arbitrage, sur la base d'objections soulignant qu'un arbitrage serait plus teinté d'équité que de droit, est déshonorant car il indique que l'on considère que l'Etat doit résister à toute condamnation justifiée par des considérations d'équité. Pour un Avocat Général qui se prétend le défenseur de la justice, il y a la une indication que pour lui la justice excluerait la morale et l'équité, qui avaient été manifestement violées par le Crédit Lyonnais, comme le Procureur de la République et les magistrats de la Cour d'appel l'avait souligné, en stigmatisant le refus du Crédit Lyonnais de reconnaitre sa responsabilité.
Prétendre que la créance de préjudice moral ne pouvait être couverte parce qu'imprécise est un contresens manifeste, quant aux objectifs de la loi sur la défaisance. Il est par ailleurs bien évident que la garantie de passif ne pouvait être arbitrairement divisée, au mépris de la bonne foi que doit avoir l'Etat.
Enfin il est évident que l'argumentation quant au formalisme que l'Avocat Général prétend devoir guider l'action du Ministère de l'Economie et des Finances implique une remise en cause totale du traitement des crises financières, le rendant quasiment impossible.
L'argumentation développée ne semble donc traduire qu'une seule vision , une vision purement politicienne. On peut avoir de la sympathie pour les discours d'un Avocat Général qui avant de prendre sa retraite veut laisser une image de défenseur de la magistrature, il est regrettable qu'il discrédite la magistrature dans les domaines économique et financier , comme dans les modalités de règlement des différends.