L’un des grands mérites de la réforme de l’école en cours a été de redéfinir les différents cycles et notamment, de rétablir l’unité pédagogique de l’école maternelle que la réforme de 1989 initiée par Lionel Jospin avait amputée de sa dernière année. Le deuxième cycle de l’école primaire devait alors comprendre la grande section de l’école maternelle, le cours préparatoire et le cours élémentaire première année.
La culture propre à ces deux niveaux de l’enseignement primaire ne facilitait pas les rencontres et les échanges. S’ajoutaient parfois quelques obstacles matériels comme l’éloignement des locaux dans de nombreuses villes.
Ce rattachement de la grande section maternelle à l’école élémentaire avait surtout eu une conséquence fâcheuse : celle de ne plus considérer ces écoles dans leur spécificité originelle, mais comme des structures « d’enseignement pré scolaire ».
C’était oublier que l’école maternelle est une création spécifiquement française. Elle doit son existence à une femme d’exception, Pauline Kergomard, qui n’avait accepté le terme d’école qu’à la condition expresse qu’il soit accompagné de l’adjectif maternelle. L’encadrement y était totalement féminin ; dans chaque département, les écoles maternelles étaient administrées et surtout animées par des inspectrices des écoles maternelles (souvent d’anciennes institutrices « maternelles » qui avaient obtenu le certificat d’aptitude à l’inspection des écoles maternelles – CAIEMS – différent du CAIP des inspecteurs primaires).
Le corps des inspectrices de l’école maternelle a été supprimé en 1972, sous le prétexte de « rapprocher l’école maternelle de l’école élémentaire » ; en réalité, pour répondre à la demande des inspecteurs primaires qui avaient vu leur domaine de compétence réduit par la création des collèges d’enseignement secondaire, et qui voyaient là un moyen pour restaurer leur statut (et donc leurs « pouvoirs ») en devenant « inspecteurs départementaux » de l’éducation nationale (IDEN) ; leur autorité s’étendrait désormais sur l’ensemble des enseignants du niveau primaire de leur circonscription.
Or ces inspectrices avaient jusque-là animé en particulier l’association générale des institutrices d’école maternelle dont l’objectif était « d’étudier toutes questions d’ordre pédagogique en vue du progrès et du perfectionnement de l’éducation dans les écoles et classes maternelles publiques ». Activité qui n’avait pas été reprise par les IDEN, de plus en plus absorbés par des tâches administratives. Cette association défendait et promouvait les droits et intérêts généraux des enfants des écoles et classes maternelles, en même temps que ceux de l’équipe éducative. L’AGIEM était reconnue comme chantier prioritaire à l’éducation environnementale et menait une réflexion permanente à ce sujet.
L’objectif premier de l’école maternelle était social et éducatif. Intégrée au ministère de « l’Instruction publique » dès la loi du 16 juin 1881, son objectif n’était cependant pas « d’enseigner », mais bien d’éduquer les jeunes enfants.
On l’a dite « Montessorienne » dès le début du XXe siècle.
Maria Montessori, première Italienne diplômée en médecine à la fin du XIXe siècle, était aussi diplômée en philosophie, psychologie et biologie. Avec deux autres médecins-psychologues, le Belge Ovide Decroly et le Genevois Édouard Claparède, elle avait fondé le mouvement de l’école nouvelle dès le début du XXe siècle.
L’éducation devait être comprise comme une « aide à la vie » et l’école devait contribuer au développement du potentiel humain des enfants. Pour cela, elle devait considérer l’enfant et donc l’Homme dans ses unités physique et psychique et cette union des deux versants de la personnalité devait être maintenue pour aider l’humanité à construire un monde meilleur.
On trouve donc dès le départ ce double objectif assigné au système éducatif : prendre en compte les connaissances du développement des enfants apportées par l’observation quotidienne et les recherches de la psychologie, pour mieux répondre à leurs besoins dans tous les domaines ; et, en même temps, orienter l’éducation pour faire émerger un monde de paix et de justice.
L’activité première des jeunes enfants est le jeu (cf. Henri Wallon). L’aménagement matériel des classes maternelles revêt une grande importance : il doit permettre aux enfants de multiplier ensemble leurs expériences, par le jeu.
Édouard Claparède, dans le cadre de l’institut Jean-Jacques Rousseau qu’il avait fondé à Genève, avait ouvert une « maison des petits » qui allait lui permettre de faire mettre en pratique les principes pédagogiques de l’éducation nouvelle. C’est dans ce cadre que celui qui deviendra l’un des plus grands psychologues de l’enfance, Jean Piaget, conduira ses recherches sur le développement des jeunes enfants.
L’école maternelle française a été largement marquée par ses apports à la fois théoriques et pratiques. Le développement du langage, l’enrichissement de la langue maternelle, comme l’ensemble des activités d’expression (gestuelle, corporelle, picturale, musicale…) s’insèrent naturellement dans ce contexte éducatif qui englobe également la socialisation du jeune enfant.
Si l’école maternelle n’enseigne aucune discipline en particulier, elle est cependant le lieu où les jeunes enfants ont de multiples contacts avec la langue écrite : par les livres qui sont mis à leur disposition, par ceux qui leur sont lus par les adultes qui les encadrent ; le fait qu’il n’y ait pas d’enseignement systématique et structuré de la lecture n’interdit pas aux institutrices de répondre à la curiosité de certains jeunes enfants. Il n’est pas rare que des enfants aient appris à lire (et pas seulement à déchiffrer) avant leur entrée au cours préparatoire. Ce qui d’ailleurs peut dérouter certains enseignants de ces classes.
L’école maternelle n’apprend pas à calculer : par contre, par le jeu et notamment par la manipulation de matériels structurés, les jeunes enfants construisent les concepts sur lesquels s’appuieront les bases de la numération au cours préparatoire.
Structure d’éducation pré scolaire, l’école maternelle, dès ses origines a répondu à un besoin social : dès la fin du 18e siècle et tout au long du 19e,les salles d’asile (nom des écoles maternelles jusqu’en 1881) ont recueilli les jeunes enfants dont les mères travaillaient dans les ateliers industriels.
Au cours de la première moitié du XXe siècle, les écoles maternelles ont été ouvertes prioritairement dans les agglomérations urbaines. C’est surtout après la Seconde Guerre mondiale qu’elles se sont implantées dans des localités de moyenne importance.
Aujourd’hui, avec la multiplication des familles monoparentales, la croissance de la précarité pour nombre d’entre elles, ce rôle social de l’école maternelle est encore plus impératif.
On ne peut donc être qu’indigné devant les attaques dont elle a été l’objet il y a quelques années. Si les déclarations de certain ministre de l’Éducation nationale qui reprochait aux institutrices des maternelles d’accorder une grande place à l’expression des jeunes enfants par la peinture, leur demandant si elles voulaient en faire des artistes peintres, témoignent surtout de son inculture, d’autres déclarations auraient pu avoir des conséquences beaucoup plus graves.
Ainsi, quand Xavier Darcos, devant le Sénat, se demandait s’il était normal de payer une enseignante ayant fait des études universitaires pendant cinq années après le baccalauréat pour qu’elle fasse faire la sieste à de jeunes enfants.
Après la publication de deux rapports parlementaires, Nadine Morano, alors secrétaire d’État à la famille, avait projeté la création de « jardins d’éveil » pour accueillir les enfants de deux et trois ans. Ces structures, payantes, étaient en fait de simples garderies. Outre le recul social qu’ils constituaient, ces jardins d’éveil apparaissaient comme une première étape conduisant à la fermeture pure et simple des écoles maternelles.
On lira l’analyse critique qu’en avait faite à l’époque le professeur Hubert Montagner, sur http://assoreveil.org/montagner_jardins-d'eveil.html
Ce projet a été abandonné rapidement. Il reste cependant que la question de la scolarisation des enfants de 2 ans dépasse très largement le cadre de l’école maternelle : elle est liée au statut de la femme dans nos sociétés occidentales, à leurs conditions de travail, aux nécessités de leurs carrières professionnelles, à la prise de conscience collective de l’importance de l’éducation première des très jeunes enfants (durant leurs trois premières années de vie) par leur mère.
L’école maternelle a donc retrouvé son unité : il reste à lui assurer les conditions nécessaires au développement de ses activités éducatives et au progrès des pédagogies qu’elle met en œuvre.
Jusque dans les années 60, les normes administratives fixaient à 45 enfants par classe l’effectif maximum autorisé. Ce qui témoignait de façon criante de la méconnaissance complète de ce que sont les jeunes enfants. Actuellement, cette norme a été ramenée à 35. Ce qui est encore beaucoup trop élevé : a-t-on conscience de ce que ressent un jeune enfant plongé dans un groupe aussi important ? Quand on sait par exemple que l’une des conditions pour que des adultes puissent réellement s’exprimer est que le groupe dont ils font partie ne dépasse pas 15 personnes.
La logique comptable qui s’impose de plus en plus fréquemment dans tous les domaines détruit progressivement les conditions mêmes de la vie du plus grand nombre dans nos sociétés. Peut-on alors s’étonner de la montée de toutes les formes de violences ?
La fonction d’inspectrice départementale des écoles maternelles a été supprimée. Ne rêvons pas : elle ne sera pas rétablie.
Par contre, dans certaines académies au moins, des commissions départementales spécialisées ont été mises en place, avec des conseillères pédagogiques (que le langage administratif met évidemment au masculin !) spécialisées pour assister les « professeurs d’école » des classes maternelles dans leur formation continue.
Il reste à repenser la formation initiale théorique et professionnelle de tous les professeurs d’école…