On n’y pense pas toujours mais les enseignants de la conduite automobile, qu’ils soient salariés ou patrons, le ressentent bien : le modèle économique de l’auto-école est merdique. On pourrait citer ici moult ouvrages et auteurs (par exemple, les différents livres blancs ou rapports qui concernent l’auto-école) qui ont dénoncé le misérabilisme perpétuel de la profession et sa tendance récurrente à la paupérisation. Mais si la littérature dénonce, elle ne remet pas en question fondamentalement le modèle économique, se contentant de regretter une concurrence déplorable entre les exploitants.
Il paraît certain que cette explication ne tient pas la route. Une bonne raison à cela : la concurrence existe dans tous les secteurs de métier et nombreux sont ceux qui s’en sortent bien. Les médecins, les avocats, les notaires, les experts comptables, les garagistes, les experts automobiles, etc. Et l’argument qui prétendrait que c’est leur niveau d’étude global qui fait la différence n’est pas recevable. La concurrence est un pilier de l’économie de marché, ce qui n’empêche pas qu’elle soit par ailleurs contestable, mais c’est un autre problème. Les centres de formation continue de conducteurs d’engins (CACES®) et de conducteurs routiers (FIMO) ne sont pas tenus par des patrons sortant de HEC et se portent bien quand même.
L’explication de la paupérisation des auto-écoles par le phénomène de concurrence est inacceptable comme le serait le diagnostic d’un médecin qui prétendrait que son patient a la grippe parce qu’il tousse. C’est bon sans doute pour faire passer la pilule mais ça n’explique pas. De la même façon, on peut dire d’un macchabée qu’il ne respire plus parce qu’il est mort mais ça n’explique pas pourquoi il est mort. Par contre, si on dit qu’il est mort, non pas parce qu’il ne respire plus, mais parce qu’il a eu un accident de voiture, là on explique. Notre accident de voiture à nous, auto-écoles, c’est l’inspecteur du permis de conduire.
Attention, ce qui suit n’est en aucune façon une attaque de plus contre les inspecteurs. Personnellement, je respecte leur profession et je crois profondément qu’ils ont beaucoup de mérite. La question n’est pas leur mérite. Elle est économique. En effet, il est économiquement absurde et incohérent de faire collaborer autour d’un même produit deux professions dont l’une relève du secteur commercial privé et l’autre du secteur public. C’est évident. Un tel système économique ne peut être que bancal. Là encore, il n’est pas question ici de dire que le secteur public est mauvais. C’est la collaboration commerciale directe et forcée public - privé qui est mauvaise parce qu’elle est incohérente.
On ne peut pas dire que le secteur public n’a rien à gagner, économiquement, dans la transaction qui a lieu entre le bon, la brute et le truand, pardon, entre l’inspecteur, l’élève et le moniteur. Quand on analyse, le gain attendu c’est la sécurité, c’est la certitude que le candidat au permis de conduire est au niveau : c’est donc là aussi une perspective économique même si cela relève plutôt de la macro-économie. Mais le problème est que ce gain – si c’en est un - est possible pour l’Etat sans un gros investissement humain, du moins, sans un investissement à la hauteur des exigences de l’efficacité économique. De toute façon, l’Etat français ne peut pas se permettre de doubler le nombre d’inspecteurs, ce n’est pas à la mode. Or, ce doublement est économiquement nécessaire pour tenir compte du taux d’échec récurrent de 50% à l’examen du permis B et aussi de la fatigue des agents sur le terrain. Il faut rendre ici hommage au syndicat UNIC qui a bien compris cette problématique en soutenant un projet de privatisation du corps des inspecteurs. En la matière, il existe deux alternatives cohérentes : ou bien on privatise le contrôle (les IPCSR), ou bien on fonctionnarise l’enseignement.
Il n’existe pas d’opposition réglementaire au fait que le contrôle des candidats relève du secteur privé. La règle européenne dit que la personne qui enseigne ne doit pas être la même qui évalue mais elle n’impose pas, à ma connaissance, qu’il y ait un partage de l’élève entre le privé et le public. C’est même souvent plus qu’un partage, c’est un déchirement du candidat, quand celui-ci doit attendre plusieurs mois pour repasser un examen auquel il échoue statistiquement une fois sur deux. De même, il n’existe pas d’opposition déontologique à ce que ce soit le privé qui assure l’examen. Il y a bien des secteurs où le contrôle est passé du public au privé sans que ce soit un scandale permanent : le contrôle technique, par exemple. Ce n’est pas qu’il n’y a pas quelques scandales par ci par là mais pas plus que dans le dispositif actuel de l’examen : ainsi, il arrive aussi que des inspecteurs soient impliqués dans des scandales.
Quand on discute de cela avec les enseignants, ils rétorquent souvent que ce serait une bonne chose mais ils pensent que l’aspect commercial pervertirait le dispositif. C’est curieux. Chacun pense que son voisin ne serait pas capable de l’honnêteté dont lui serait capable. Mais si cela est vrai, logiquement le dispositif est viable car si chacun est honnête, cela ne change pas la réalité de croire que son collègue ne l’est pas. Et on connaît cette propension de la profession des moniteurs auto-école à se déconsidérer, conséquence d’un discours entretenu et intéressé. Quand certains esclaves disaient que les esclaves méritaient leur sort, c’est parce qu’ils avaient, sans s’en rendre compte, intégré un discours dominant.
On rappellera donc que d’autres modèles économiques sont possibles. On citera les centres de formation « CACES® » de la CNAMTS qui se passent fort bien des inspecteurs ainsi que les centres de formation FIMO et FCO. Ces centres sont souvent des auto-écoles reconverties qui ont pu s’échapper du modèle économique initial, bien conscients qu’en se préservant du concours des inspecteurs, ils préservent ainsi leur santé financière. En l’occurrence, n’ayant pas à attendre le bon vouloir de l’administration pour organiser les évaluations, ces centres mettent en œuvre des formations avec un début et une fin. Ceci n’est pas possible en auto-école où l’on vend, non pas des formations, mais des leçons de conduite. On n’a jamais vu un centre de formation CACES vendre une leçon de CACES ou un centre FIMO vendre une leçon de FIMO. Une succession de leçons dispersées dans le temps n’est pas une formation, c’est de l’entretien dont on ne connaît ni le début, ni la fin. Et ce n’est pas l’obligation de fixer une durée de formation par une évaluation initiale qui fera disparaître le problème.
Georges HOAREAU