Je discutais récemment avec un inspecteur du permis de conduire et la conversation est venue sur un de ses anciens collègues qui a sévi chez nous dans la décennie 1990. Cet inspecteur a tellement été odieux avec les candidats qu’il a fini par se voir proposer une mutation de choix, dans le sud de la France, sa région d’origine. Depuis, il aurait démissionné, sans doute un peu poussé vers la porte.
Puisqu’on en parle encore des années après, on peut dire que c’est un inspecteur qui a marqué son territoire. Mais il n’est pas parti en odeur de sainteté, non, il laissa plutôt une odeur de pourriture, ce qui permet de dire que, sur un territoire donné, l’homme est sans doute le seul animal capable d’excréments psychologiques.
Je le disais pervers. En tous les cas, il terrorisait les candidats. Mais sa méchanceté était organisée pour mieux faire accepter que ses insanités passent pour des pointes d’humour. Ainsi, avait-il souvent des remarques pédagogiques un peu étranges à l’égard des candidates. Des allusions sexuelles empreintes de bonté, quand les candidates étaient belles, puisqu’elles ne visaient selon lui qu’à aider la pauvre candidate à se détendre, à ne pas être stressée et surtout à mieux conduire pour mériter son permis.
Si l’accompagnant du candidat – le moniteur – n’était pas suffisamment compétent pour apprécier son jeu, la colère le submergeait parfois et, de plus, les candidates n’étaient pas toujours jolies. « Madame, vous feriez mieux d’ouvrir vos cuisses ailleurs que sur une moto ! » a-t-il ainsi dit un jour en examen moto à ma candidate dont la morphologie un peu rondelette handicapait un peu en la matière. Il est vrai que tout le monde sait qu’il faut faire corps avec la moto et bien serrer le réservoir avec les genoux !
Comment est perçu cet inspecteur par ses pairs ? On parle du « corps » des inspecteurs. Ce corps se veut pur par opposition aux auto-écoles salies par leur pratique commerciale. Il n’est donc pas possible dans ce corps d’envisager qu’un élément soit totalement impur puisqu’il est du service public et, surtout, il n’est pas moniteur auto-école. On parlait d’excrément tout à l’heure : c’est quelque chose que, par sa nature même, la pureté exclut.
Mais la mauvaise odeur se fait parfois insistante, y compris auprès de ceux qui se pincent le nez. Quand il s’agit du comportement odieux d’un collègue, les interpellations finissent par obliger les pairs à prendre position. Ceux qui la prennent ont une réponse toute trouvée et, semble-t-il, universelle. C’est donc sans surprise que j’entends mon interlocuteur me faire cette remarque : « certes il était un peu spécial mais attention, hein, techniquement, il était bon ! ».
La vieille recette des pervers qui veulent durer est donc un équilibre entre emmerder le peuple, d’un côté, et être techniquement irréprochables de l’autre. C’est sans doute valable dans tous les métiers, syndicats et partis politiques, c’est en cela que c’est universel.