Lors des diverses formations continues obligatoires des « animateurs », la bonne parole de l’INSERR, autorité pédagogique en la matière, est aujourd’hui portée par des formatrices, qu’elles soient enseignantes de la sécurité routière ou psychologues. En tous les cas, les « mâles blancs de plus de 50 ans », non seulement, n’ont plus le monopole de l’institution pédagogique mais, de plus, y sont quasiment exclus. Mais, de mâles, on n’en voit pas de moins de 50 ans non plus… peut-être que l’INSERR prend son mâle en patience. Quoi qu’il en soit, si la féminisation d’une autorité est en général plutôt à souhaiter pour son équilibre, peut-être consiste-t-elle ici à reproduire les exclusions – à tout niveau – que l’on reproche habituellement au système patriarcal.
Même en n’étant pas insensibles à la force pédagogique de nos formatrices - qui tend à nous laisser sans voix –, il est difficile de croire à un enseignement qui fait fi de toutes les réalités de terrain et qui refuse de (re)mettre en questions des modèles théoriques manifestement décalés. Tout en appréciant la mansuétude avec laquelle on me fait comprendre, lors de ces formations, qu’une vision critique de la « pédagogie » en cours est aussi bienvenue que celle d’un opposant en pays communiste, je maintiens que ces paradigmes portés par l’INSERR sont rejetés en fait sur le terrain (et à rejeter !) malgré un faux semblant – parfois sincère - d’adhésion des animateurs lorsqu’ils sont en formation.
Il est possible qu’une assemblée d’animateurs en formation continue doive se vivre comme un synode ou bien comme un congrès de parti communiste où un questionnement sur le bienfondé du programme de stage provoque le même effet que de questionner sur la sainte trinité ou la politique anti-covid. En dehors, quand on interroge des collègues sur leur pratique, il n’y en a pas un (ou une) qui prétend vouloir imposer (voire proposer) un « changement » chez le stagiaire. Aussi, le refus de toute discussion des fondamentaux du programme pose la question du « sens » du stage qu’on ne saurait, semble-t-il, s’approprier par la discussion et la réflexion collective. Pour cela, mieux vaut, dit-on, faire confiance à la seule injonction de l’annexe 6 de l’arrêté du 26 juin 2012 fixant les conditions d’organisation des stages.
Le concept du changement d’attitude
Le paradigme du « changement d’attitude» (lequel paradigme est exclusif de tout autre) mérite d’être questionné car cet objectif de stage n’est pas ou plus pertinent aujourd’hui, si tant est qu’il l’ait été par le passé. En effet, entre le public de stagiaires des années 1992 à 2000, infracteurs réitérant peu souvent contrôlés et celui de 2022, petits infracteurs très souvent contrôlés, il y a un monde, et donc un écart considérable en matière socio-psychologique. Cet écart n’est pas du tout pris en compte par le programme des « stages permis à points » qui, encore aujourd’hui, est construit exclusivement pour s’adresser à des conducteurs qui, soi-disant, « réitèrent les comportements dangereux ». Or, si ce fut peut-être le cas avant les années 2000, on n’en est plus là aujourd’hui.
Il n’est pas permis de travailler autrement que dans la perspective d'un paradigme obsolète et absurde d’un programme pondu il y a quelques décennies par des psychologues de l’INSERR. Cette pensée – qui est d’ailleurs très peu pensée - est la suivante : tous les stagiaires qui veulent récupérer des points sont des automobilistes qui « réitèrent des comportements dangereux » et il faut tous les amener à un « changement ». On peut regretter que sa remise en question est religieusement combattue par une forme d’intégrisme de la sécurité routière et, pour le coup, il nous est intimé d’y avoir foi avec le même entrain que le prêtre qui s’interdit de s’interroger sur l’existence de Dieu.
Depuis 1990, c’est à Nevers que se dessinent dans l’erreur les modèles théoriques de la profession et aussi un dispositif d’abrutissement collectif qui interdit à la profession tout questionnement sur le contenu du programme et sur son déroulé béhavioriste, lequel entend que la succession de 13 activités ordonnées aboutira au changement prévu d’un stagiaire par ailleurs nécessairement dangereux. Il y a un problème qui est fondamental, les autres en découlent : c’est l’écart entre le réel de l’activité et ce que le dogme prescrit. Rappelons. Le stage vise « à éviter la réitération des comportements dangereux » et « à impulser un processus de changement d'attitudes et de comportements chez le conducteur, en cohérence avec l'objectif des programmes de réhabilitation pour les conducteurs : modifier les comportements pour prévenir la réitération d'infractions, ce qui entraînera une amélioration de la sécurité ».
Le concept d’attitude n’est pas opérant pour une majorité de stagiaires
Il ressort que, selon le programme, ce qui caractérise notre stagiaire type, ce sont ses « comportements dangereux ». C’est là une version erronée de la réalité. Pour en être certain, insistons un peu sur le concept d’attitude car alors même que les animateurs doivent chercher à « impulser un processus de changement d’attitude », ce, absolument pour tous les stagiaires, il s’avère que la majorité de ceux-ci commettent des infractions sans que leur attitude soit « négative ». L’attitude, nous dit-on, serait une prédisposition mentale qui oriente et explique le comportement, par conséquent qui oriente et explique la réitération des infractions. Or, sur le terrain, un stage est constitué d’une majorité d’automobilistes qui n’ont aucun problème d’attitude. Même un stagiaire alcoolo-dépendant ne conduit pas poussé par une attitude négative à la sécurité mais, plutôt, par la fatalité de sa maladie.
En sécurité routière, le concept d’attitude pour expliquer les infractions relève d’un phantasme de psychologues qui n’arrivent pas à penser plus loin que leurs études des années 1970, c’est un concept intellectuellement confortable et fourre-tout pour esprits paresseux. Or, s’il est vrai que l’attitude oriente le comportement, en revanche, celui-ci n’est pas exclusivement orienté par l’attitude. L’infraction (ou le comportement) est tributaire de bien plus de déterminants que la seule attitude : la connaissance, l’ignorance, l’expérience, la compétence, les contraintes diverses sont, en la matière, bien plus explicatifs.
Notre travail d’animateurs est prescrit pour faire de ce stagiaire un conducteur qui sera alors « réhabilité » grâce à des « outils » qui lui seront proposés pour changer d’attitudes et de comportements. Il faut déjà dire que dans un stage de vingt conducteurs, tous viennent « récupérer » des points, aucun ne vient se « sensibiliser » . Il n’empêche. Nous sommes là pour cela, on n’en est pas à une chinoiserie près. Des stagiaires sont là pour rendre compte d’infractions qui n’ont rien à voir avec l’attitude. Ainsi, l’oubli des règles, leur ignorance ou, même, l’incompétence, sont plus souvent à l’origine d’infractions que l’attitude par elle-même. Par exemple, le non-respect des distances de sécurité, comportement dangereux peu souvent verbalisé, est une infraction qui, la plupart du temps, n’est pas la conséquence d’une attitude mais, plutôt, d’une ignorance. Il en est ainsi de beaucoup d’infraction.
On peut glisser un stop à une allure « escargot » tout en étant persuadé avoir marqué un temps d’arrêt, fort alors d’une attitude positive. Des stagiaires sont là aussi pour remonter leur nombre de points à son maximum tant il leur est insupportable de ne pas être exemplaires dans leur citoyenneté. Quand notre travail vise règlementairement à leur faire changer d’attitudes, est-ce bien raisonnable de vouloir changer celle qui consiste à vouloir être irréprochable ? Peu importe. Le programme de stage est fondé – et il n’y a pas d’autre fondement - sur l’impulsion d’un programme de rééducation (ou de réhabilitation si l’on préfère) de ces automobilistes « aux comportements dangereux » et les animateurs doivent s’y conformer. Au regard du principe de réalité - de celle de la psychologie des conducteurs -, on ne comprend pas bien pourquoi le concept de changement d’attitudes est imposé aux animateurs comme un paradigme incontournable et, surtout, irréfutable.
On peut supposer que les têtes pensantes de notre profession, tant au niveau réglementaire qu’au niveau didactique, ne pensent pas dans le présent et le réel mais, plutôt, dans un passé de comportementalistes (ou behavioristes) pour les didacticiens… et de répression de la délinquance pour les administratifs. Il se renforcent réciproquement dans l’idée farfelue que puisque toute infraction est un comportement, toute infraction résulterait d’une attitude négative qu’il convient de changer. Or, non. Il est aussi stérile d’expliquer le mauvais comportement du conducteur par l’attitude que celle d’expliquer religieusement le mauvais comportement de l’homme par le péché originel d’Adam et Ève. Ainsi, l’attitude - et son corollaire le comportement - est un concept « attracteur » devenu réglementaire qui cherche à expliquer à la va-vite la réitération des infractions : il est manifestement faux et c’est sur cette fausseté que l’on demande aux animateurs de fonder leur pratique.
L’animateur de stage permis à points et son attitude
C’est comme si l’on voulait vendre un médicament à quelqu’un qui n’est pas malade. Si le travail d’animation peut être plaisant, par contre, il n’y a pas de satisfaction à jouer au docteur Knock durant ces deux jours de stage. On est amené, malgré soi, d’abord à s’auto-persuader puis à persuader des automobilistes en stage de la nécessité d’un changement d’attitude et de leur proposer un certain nombre de solutions de la même façon que notre docteur vendait des médicaments et de la maladie à des gens en bonne santé. Pour nous animateurs, le changement à « impulser » chez l’automobiliste est censé être une évidence et ne saurait être un objet de discussion, de réflexion ou de questionnement : c’est un allant-de-soi, un médicament universel quel que soit le stagiaire. C’est dire la misère !
Par cette contrainte au changement d’attitude que l’on impose à des automobilistes qui n’en ont absolument pas besoin d’un point de vue de la (et de leur) psychologie, l’animateur participe à une imposture dont il neutralise les effets psychologiques sur lui, mais aussi sur les conducteurs, de plusieurs façons : en refusant d’en discuter, en se réfugiant derrière un point de vue légaliste pour ne pas y réfléchir (ça vient d’en haut, donc, c’est déjà réfléchi). Le « changement » est d’ailleurs bétonné en haut par une légitimation forcée : celle « d’études qui montrent que …» et dont les auteurs sont nécessairement sérieux car ils sont canadiens ou norvégiens - et non pas malgaches ou africains -. Mais quelles études scientifiques ont été menées en France sur le sujet ? Ce recours aux études étrangères – d’un nord honorable versus un sud déplorable - pour légitimer les pratiques françaises, sans les confronter à de sérieuses études portant sur la psychologie des conducteurs français et sur l’impact réel des stages de sensibilisation, est nécessairement suspect.
On ne peut se baser chez nous que sur des études étrangères pour penser car, ces études, on ne les mène pas. Aucune institution, hors INSERR, n’est censée mener une étude scientifique sur le sujet. On peut, sans ironie aucune, d’abord supposer que l’INSERR ne dispose pas d’un budget conséquent pour cela. Et, s’il faut lui reconnaître une très grande compétence en matière de formation professionnelle, de toute façon, comme il a été dit, des fondamentaux théoriques et idéologiques défaillants et peu consistants qui prévalent en son sein constituent un biais à toute étude qui se voudrait sérieuse. Bref, quand on voit la misère intellectuelle qui préside aux destinées de la didactique de la sécurité routière en France, didactique cantonnée depuis les années 1990 à la notion de changement d’attitudes, on en viendrait à se dire que ladite didactique serait une chose trop sérieuse pour la laisser à l’INSERR.
En conclusion, comme animateur, remettre en question le paradigme du changement d’attitude est une question de conscience professionnelle. À l’inverse, vouloir changer des personnes qui, non seulement, ne le demandent pas, mais en plus, n’en ont absolument pas besoin car leur attitude par rapport à la sécurité routière, très souvent, est déjà positive, est une tâche qui en appelle à l’inconscience professionnelle… inconscience, à savoir ne pas être conscient que ce concept de changement est illusoire. Disons-le encore une fois, cette inconscience instituée est facilité par le bétonnage des pratiques d’animation faites de formations initiales et continues, de contrôles du bon déroulé des phases et séquences, si possible jusqu’à la treizième fiche et cette croyance : une fois qu’on aura fait succéder les fiches de 1 à 13, alors un changement sera impulsé. En un mot, ce programme de stage PAP est une ineptie.
Georges HOAREAU