Des jeunes se convertissent à l’islam. Pas pour l’islam, qui mérite mieux. Mais l’islam est le passeport indispensable au djihad en Syrie. Pour les idéologues du djihad, convertir ces jeunes à la Syrie est sans doute une étape pour conquérir Rome. Si Rome est conquis, l’occident suivra. Certes, la Syrie est souvent la dernière demeure de ces jeunes convertis. Mais il y a ces demeurés et il y a les autres : les demeurés dans leur coin, attendant le moment propice pour aller se faire sauter en Syrie, les filles par les futurs martyrs, et les martyrs par les armes. Face à ces clicqueteurs d’internet pas encore servis, tout neufs, la société, les parents aussi, ne savent pas trop quel comportement adopter. Des claques ou de l’empathie ?
Du point de vue de l’histoire, on ne répète pas. En effet, les convertis de maintenant espèrent en la terreur, ceux d’avant espéraient en le sacrifice. La France, fille ainée de l’Eglise, en sait quelque chose en la matière. Mais si on se fie au passé justement, l’avenir est inquiétant. On connaît ce papa gallo-romain mécontent de voir son fils faire le signe de croix tous les matins et avant chaque repas. Plus encore, il s’agenouille pour prier un dieu unique. Et deux fois par semaine, ce fils se réunit avec quelques congénères pour casser un morceau de pain et boire du vin en prétendant revivre le sacrifice du fils. Il n’est pas facile à comprendre ce fils qui sacrifie le fils pour manger son corps. Aux yeux de ce père, c’est un impair. Il lui met une claque : « petit con, tu n’as pas fini de faire ton théâtre ! (à l’époque, il n’y avait pas de cinéma) ».
Mais plus le père n’est pas content, plus le fils pense avoir eu raison. En effet, selon cette religion, le paradis appartient à ceux qui prennent des claques contrairement à l’enfer qui est pavé de mécréants. Les chemins du paradis sont en effet épineux. Le papa est inquiet parce qu’il se murmure que ces nouveaux chrétiens pratiquent l’inceste et le cannibalisme. Comment cet enfant si doux, si souriant, si ouvert en est arrivé à se fermer à sa famille, à son entourage, et parle maintenant de se retirer du monde, de brûler les idoles et de donner sa vie à Jésus ? C’était une autre époque ? Ne connaissons-nous pas aujourd’hui un tel enfant si doux qui se ferme, aspiré par l’esprit d’internet, brûlant aujourd’hui ce que ses parents ont adoré hier et appelant au djihad ? C’est étrange. Ces néo-convertis nous angoissent. Pourtant, nous avons appris à être fiers de notre histoire de France quand Clovis s’était converti. Et, parce que c’était le prix à payer d’une nouvelle civilisation, nous avons compati au malheur des convertis qui, dans les arènes, sont devenus des martyrs.
Alors, si l’on veut éviter que le phénomène des convertis au djihad ne débouche sur une civilisation nouvelle et qu’après Rome, Paris se voit djihadiser, il faudrait peut-être ne pas reproduire les erreurs commises par les contemporains des débuts de la chrétienté. Parce que face au problème que représentaient ces convertis, ces contemporains avaient complètement raté leur coup si on en juge par l’histoire qui s’en est suivie. Ce n’est pas la civilisation gallo-romaine, en effet, qui a vaincu ! Ainsi, il ne faudrait pas donner les néo-convertis à bouffer à des lions affamés dans une arène… Espérons dans ce cas que Guantanamo n’est pas une arène à lions. Face aux clics d’internet, pas de claques car le faible d’esprit qui est pris dans le piège du message djihadiste se verrait alors renforcer dans sa faiblesse : toute violence agit comme un fumier qui fait pousser davantage le message. Il ne sert à rien non plus de s’adresser à son intelligence car l’illuminé ici est éteint et obscur. Certains disent que dans ce cas, seul l’amour peut éclairer. Encore faut-il que cet amour ne soit pas aveugle car aimer un allumé cognitivement consumé nécessite beaucoup de discernement et de travail sur soi.
Ce travail sur soi ne devrait pas seulement être le fait de l’entourage mais aussi et surtout celui de la société française. Face aux nouveaux convertis, celle-ci doit travailler sur elle-même car la tâche à accomplir est immense et complexe. Pour régler des problèmes, la France est sans doute douée pour les règlements de compte ou toute sorte de règlements. Mais ici, un règlement de type militaire ne règlera pas le fond du problème, il l’alimentera. Le seul fait que la France n’arrive pas à empêcher le développement considérable de l’injustice et des inégalités sur son territoire - et leurs conséquences inverses en terme de développement scolaire et familial - n’explique que partiellement que la société française est un terreau propice à l’envol de l’esprit djihadiste. Ceci se combine en effet à un effet collatéral de l’essor des réseaux sociaux, des jeux vidéo et d’internet. Dans ce contexte de société défaillante et en dehors même des sites militantistes religieux, cette modernité numérique agit sur les jeunes cerveaux comme un aspirateur d’émotions si ce n’est d’intelligence.
Ce qui explique ce contexte français défavorable à l’intelligence, ce n’est pas tant le contexte néo-libéral que l’absence de régulation politique voire, en la matière, un emballement politique pro libéral : la république n’est pas à la hauteur. Si on raisonne en terme de psychologie des foules, on a le sentiment que la France aurait plein de raisons d’être près de l’explosion sociale. Mais il se peut qu’il n’y ait jamais d’explosion parce que pour qu’il y en ait une, il faudrait plus qu’une étincelle. En effet, la politique de la république qui est menée en France depuis plusieurs décennies est une politique de pare-feu et de contre-feu, un peu comme l’entretien d’une chape de béton qui tenterait d’empêcher les fuites radioactives d’une centrale nucléaire. On maintient un seuil à peine respirable mais on contient l’explosion. Au prix d’un gaspillage et de dégâts considérables !
Alors, de même que l’on ne saurait régler le problème des centrales nucléaires par une chape de béton, de même pour régler les problèmes récurrents d’injustice sociale et par là rendre les français globalement plus heureux et les convertis moins aspirés, il faudrait une révolution dans la façon de concevoir la politique de la république en France… aller directement à une septième république sans passer par la sixième tellement la situation est grave et le problème complexe.
Georges HOAREAU