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Billet de blog 23 juin 2015

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Pédagogie : la désolation

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans l’air du temps il est vrai – nous sommes en 2015, époque historiquement déprimée et déprimante -, le dispositif d’éducation routière de la France est en mode désolation.  L’étrange est que cette désolation pédagogique s’inscrit paradoxalement dans un contexte de relatif succès de la sécurité routière. Même si 2015 ne sera sans doute pas une bonne année en la matière car le chiffre des tués sur les routes ne baisse plus, la sécurité routière, moins de 4 000 tués sur les routes aujourd’hui, s’est nettement améliorée si on se réfère à l’année 1972 avec ses 17 000 tués et 400 000 blessés.

I Relations froides, relations chaudes

Moins de 4 000 tués sur les routes aujourd’hui, 17 000 tués et 400 000 blessés en 1972. Ce succès de la sécurité routière est notamment dû aux limitations de vitesse et à l’obligation du port de la ceinture de sécurité, mesures qui s’inscrivaient et s’inscrivent encore dans un contexte d’amélioration des routes, des voitures et du système de contrôle. L’éducation routière s’est elle inscrite dans cette dynamique avec un sifflotement faussement impliqué, en se faisant tirer - sans doute - par les cheveux, d’abord en imposant une PPO (pédagogie par objectifs) mort-née pour ce qui concerne sa pratique par les enseignants, puis en régressant avec le REMC (Référentiel d’éducation à la mobilité citoyenne). Pourtant, l’éducation routière aurait son mot à dire. Elle ne fait que le siffloter.

Ce fiasco pédagogique est à mettre au discrédit d’une tutelle qui n’a jamais su, mais vraiment jamais, sortir d’un modèle organisationnel élitiste, hiérarchique et « règlementocratique »  quant au volet pédagogique de son action. Alors que la sécurité routière est le fait de l’ensemble des automobilistes, lequel ensemble est contraint par le dispositif de contrôle et est formé par les auto-écoles, une élite satellitaire au ministère se suffit financièrement à elle-même tout en faisant écran à la pensée pédagogique, qu’elle vienne des auto-écoles ou d’ailleurs, et surtout pas d’elle-même. Le ministère, noyauté par cette élite du fait de sa propre organisation, ne saurait attendre plus étant donné que la fonction essentielle de celle-ci est de servir un plat pédagogique autoritaire et réglementaire incompatible avec le terrain mais compatible avec la logique administrative et régalienne.

Soyons clair. Le ministère définit la pédagogie de la sécurité routière comme si elle devait être appliquée auprès d’instituteurs et d’élèves de la troisième République. Les « applicateurs », c’est à dire ceux qui sont chargés de concevoir et de diffuser la bonne parole vers le bas, sont les quelques psychologues et formateurs de moniteurs (BAFM) qui gravitent autour de la basse sphère ministérielle du côté de la DSCR (Direction de la sécurité et de la circulation routière) et peut-être d’autres que je ne connais pas. Le tandem psychologue – BAFM, à ce niveau, est néfaste à la pédagogie. Cela s’explique. Le ministère considère, en effet, qu’une bonne pédagogie est celle qui vient d’en haut. Mais une telle pédagogie ne fait que planer avec autorité sur un réel qui la rejette mais qui, néanmoins, en est affectée. C’est une pédagogie de malade qui, quelques fois, rend malade.

Ce qui compte, c’est qu’aucune tête ne dépasse. C’est chacun à sa place et que personne ne bouge. Ce qui illustre le mieux ce principe, c’est la relation entre inspecteurs et moniteurs. Ainsi cette relation doit être « froide », c’est à dire sans dialogue par peur d’un risque de corruption. J’appelle « dialogue » l’interaction verbale relative au métier de l’un et de l’autre protagoniste. Par exemple, il a été décidé que tout commentaire relatif à l’examen serait une atteinte au principe de neutralité. Attention, si la relation froide est prescrite, cela n’empêche pas des relations chaudes : des couples inspecteurs / monitrices se forment parfois. L’inverse étant un peu plus rare, mais cela existe. Mais on aura compris que ce qui me préoccupe n’est pas tant cette affinité « en plus » du métier (qu’il faudrait plutôt saluer) que l’inexistence d’une controverse sur la pratique et d’une pratique de la controverse.

Un inspecteur qui dirait à un moniteur que sa façon d’enseigner lui semble discutable et un moniteur qui dirait à un inspecteur que sa façon d’évaluer est contestable est un dialogue interdit. C’est dommage car cette absence de dialogue génère beaucoup d’effets collatéraux. Outre l’absentéisme pour maladie des inspecteurs (chose que les moniteurs ne peuvent pas se permettre sous peine de mettre la clé sous la porte), on voit par exemple l’inspecteur ajourner les candidats pour une erreur sans importance juste dans le but de faire comprendre au moniteur comment mieux former son candidat la prochaine fois. Ce qui ne se dit pas par la parole se dit et se vit nécessairement d’une autre façon, ici, par des décisions injustes qui font de l’inspecteur un salaud ordinaire.

J’appelle « salaud ordinaire » une personne qui, pour faire bien les choses ou pour faire son devoir, pense n’avoir d’autre choix que de faire du mal. Tout cela part donc d’un bon sentiment et n’est pas lié à la personne de l’inspecteur mais à son humanité, dans sa version basse toutefois. Je veux dire que si un moniteur était à la place de l’inspecteur, il ferait pareil. Puisqu’il est interdit de « controverser » sur le métier de chacun, comment faire comprendre à l’autre qu’on n’apprécie pas trop son travail autrement qu’en disqualifiant l’objet de son travail ? On perçoit ici la responsabilité du ministère de tutelle qui a manqué de confiance en ses inspecteurs au point de leur interdire toute discussion de métier avec les enseignants. Et quand le métier n’est ni discuté ni disputé, il reste seulement la face noire des relations humaines : on s’en veut, on ne s’aime pas.

Dans cette affaire, seuls les couples ci-dessus s’en tirent à bon compte, à très bon compte, en compensant l’absence de discussions de métier par des déclarations d’amour car, justement, s’il est interdit de parler métier, le reste s’impose à défaut d’être autorisé. C’est déjà ça. D’ailleurs, le fait qu’il soit indéniable que le taux de réussite de l’enseignant et de ses candidats augmente durant la phase de séduction est bien la preuve que ce dispositif manque d’humanité par ailleurs. Il est vrai qu’ici, pour les quelques élus, l’humanité s’exprime dans ce qu’elle a de mieux : l’amour. Mais l’amour au boulot n’est sans doute pas à sa place.

II BAFM et BEPECASER : les deux boulets de la profession

On n’oublie pas notre problématique. Elle est dans la contradiction étonnante entre le succès de la lutte contre l’insécurité routière et la misère de la pédagogie de la sécurité routière. Ce n’est pas que les autorités pédagogiques n’aient rien tenté. En même temps que d’un côté on révolutionnait le dispositif de régulation des comportements à risque sur la route, de l’autre, par la mise en œuvre de la « PPO » (pédagogie par objectifs), on proposait une « méthode » pédagogique censée être révolutionnaire. On avait pris soin de dire que la PPO n’était pas une méthode mais elle l’était de fait. La PPO est discutable et a été discutée mais au sein de l’Education Nationale, ou dans la formation professionnelle. Pas dans notre profession où, de toute façon, il faut obéir, pas discuter. La PPO présente quelques avantages pédagogiques. Mais de la façon dont on a demandé aux moniteurs de l’appliquer, elle était dévoyée dès son lancement.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que la profession des enseignants n’a pas été transportée par la PPO, du coup elle ne l’a pas transportée non plus vers ses élèves. Cela se comprend si on prend en compte les exigences d’efficacité à l’examen du permis de conduire. La PPO n’est pas efficiente lorsqu’elle est une injonction exclusive d’autres approches. Depuis peu, on voit que la PPO n’est plus en odeur de sainteté au sein du saint des saints, à savoir dans les bureaux du ministère. On en revient à une version désordonnée et chaotique du Programme National de Formation (PNF) transformé plutôt mal en Référentiel pour une mobilité citoyenne (REMC). A l’opposé de la PPO qui ne laissait aucun choix pédagogique - au point où chacun faisait ce qu’il voulait -, le REMC donne une liberté d’agir, le problème est de s’y retrouver dans le fouillis. Heureusement que sur le terrain les moniteurs savent faire leur boulot, souvent du bon boulot, avec le minimum de faux-semblant exigé par les circonstances.

Il existe donc deux pédagogies sur le terrain, une pour l’apparence, une pour le réel. L’apparence, c’est de vivre à la mode PPO et maintenant à la mode REMC. Le réel, c’est de former des candidats au permis de conduire pour qu’ils réussissent leur examen. On ne rappellera jamais assez qu’ils payent pour cela et non pas pour être éduqués car ils le sont déjà. Aucun client d’auto-école ne débarque en déclarant « je suis un malappris, je viens vous payer pour être rééduqué ». Car le fait même qu’ils s’adressent à une auto-école est le signe d’une éducation. Quelques moniteurs naïfs, et surtout quelques pontes qui pensent avoir une légitimité pour penser à la place des moniteurs, regrettent que les candidats au permis de conduire ne pensent qu’au permis. Comme si, pour ces dignitaires, l’examen du permis de conduire était contraire à la sécurité routière. Ils n’ont sans doute pas intégré que l’examen du permis de conduire était l’évaluation des compétences en la matière.

Si l’examen du permis de conduire est le réel de la formation, les examens du BEPECASER (pour être moniteur) et du BAFM (pour être formateur de moniteurs) sont ceux de l’apparence. Ce sont là deux examens qui sont les deux boulets de la profession, deux examens insensés. Pour cette raison, sans doute, les examinateurs - bien malgré eux (sauf exception), et en pensant bien faire « en toute conscience » – expriment le mieux l’ordinaire du déshonneur en notant d’une note éliminatoire les candidats qui, selon eux, n’ont pas la gueule de l’emploi. C’est là le pouvoir de l’examinateur qui se fait petit pour la circonstance : à lui seul, au milieu de tous les autres examinateurs et du coordinateur pédagogique et en dépit des critères du guide d’évaluation, il peut empêcher un candidat de devenir moniteur ou formateur de moniteurs. Ce n’est pas de sa faute, on peut le dire, c’est celle de l’autorité qui lui a donné ce pouvoir.

Ce sont là deux examens qui, sur le fond, sont des dysfonctionnements réifiés. Je veux dire que cette affaire ne s’arrête pas à quelques mauvais fonctionnements mais que de par leur structure, ils sont des dysfonctionnements pédagogiques, ce qui n’aide pas les examinateurs à faire du bon travail, sauf sur la forme. Sur la forme ces examens sont inattaquables. Pour mieux comprendre, on pourrait dire qu’ils sont à la pédagogie de la sécurité routière ce que la télé-réalité est à la réalité. Une espèce de réservoir de starlettes sans talents. Ce sont les examinatrices et examinateurs, insensibles au fond, qui croient que dans le candidat au titre de formateur qu’ils évaluent, formateur signifie « professionnel de la forme ». Incapables de s’intéresser au fond, ils prônent lors de ces examens une pédagogie du crétin.

Il est vrai que de temps en temps, comme dans la télé réalité, certains lauréats se révèlent talentueux. Mais pour ce qui concerne, par exemple, le traitement de la notation des candidats (entre autres), les fonctions de coordination pédagogique et de jury sont la plupart du temps dévoyées car on se contente en la matière d’exister en principe et d’avaliser sans discussion véritable les notes émises par les examinateurs. Les formateurs du BEPECASER eux-mêmes ne sont pas exempts de tout reproche quand ils demandent aux élèves-cobayes de faire exprès de commettre des fautes pour soi-disant faciliter le travail de leurs candidats. Là, on touche le fond… Lequel était pourtant déjà mal en point comme on est en train d’essayer de le dire.

III La pédagogie du crétin

Il faut dire un mot de la pédagogie du crétin. A chaque fois que j’ai passé cet examen du BAFM, mon binôme examinateur psychologue - BAFM m’a demandé si j’avais le sentiment que mon « enseignant-cobaye » avait compris ce que je voulais lui montrer. Si des examinateurs posent cette question c’est qu’ils n’en sont pas convaincus. Ceci me rend perplexe et casse un peu ma vision d’autrui. En effet, j’ai toujours enseigné en partant de l’idée que mon protagoniste était intelligent. Et là, systématiquement, mes examinateurs prétendent que mon interlocuteur n’avait pas compris mon argumentation pédagogique. C’est étonnant. D’ailleurs, une fois l’examen terminé, je revois ces personnes et elles me disent avoir très bien compris. Je n’en conclurai pas qu’au BAFM, les examinateurs sont eux-mêmes des crétins. Mais je crois que l’idée qu’ils se font de la pédagogie est erronée. Pour eux, la pédagogie se situe au niveau du poisson que l’on donne à celui qui a faim. Si on monte le niveau et que l’on montre à l’affamé comment pêcher son poisson, ce n’est plus de la pédagogie selon eux, c’est de la prétention. Pour ces examinateurs, les destinataires de la pédagogie de la sécurité routière sont des crétins qui ne peuvent pas trop réfléchir et à qui il faut enseigner des choses simples voire simplistes.

La chose arrive trop souvent pour que cela soit un hasard. Ce phénomène du sujet crétin est propre à la pédagogie de la sécurité routière. On ne retrouve pas cela dans le milieu de la formation professionnelle ou du cursus universitaire. Il faut dire que la pédagogie de la sécurité routière est pauvre de recherche car s’il existe une élite de réseau, les recherches en pédagogie – il y en a sans doute - ne traversent pas l’écran élitiste dont on parlait supra. Ce qui transparait alors, c’est un mélange de maïeutique et de pédagogie par objectifs. Mais on sait que la maïeutique est une question d’enfantement et que la PPO est skinérienne, c’est à dire a priori destinée aux pigeons. Notre élite pédagogique en a conclu que les moniteurs auto-école qui se font cobayes pour l’examen du BAFM doivent être traités comme des petits enfants naïfs avec un cerveau de pigeon. Bien entendu, on retrouve ce phénomène à l’examen du BEPECASER. C’est seulement au niveau de la formation au permis de conduire que les choses s’améliorent, quand face à la nécessité d’amener les candidats au niveau des exigences de l’examen, les moniteurs sont bien obligés de les considérer comme doués d’une intelligence tout simplement humaine.

Je finirai par une petite note personnelle. Une toute petite note, mais elle illustre à elle seule toutes les théories relatives au salaud ordinaire, je veux parler de ce citoyen ou cette citoyenne à qui on a confié une mission et qui a toutes sa conscience pour lui (ou elle) quand il (ou elle) s’inscrit dans une entreprise de destruction psychologique. Je parlais tout à l’heure de l’examinateur qui met à un candidat la note éliminatoire 6 sur 20. Là, c’est d’une autre note qu’il s’agit. C’est 2 sur 20. Ce n’est pas brillant direz-vous ? Tout est relatif. Car les autres années, au BAFM, j’obtenais 1 sur 20 en pédagogie. Cette année, j’ai donc doublé mes performances ! J’ai eu 2/20 ! Merci à mon tandem psychologue – BAFM de Nevers, INSERR.

Georges HOAREAU

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