Billet de blog 26 juin 2011
Tragédie kahnienne : regard sur un métier
Il est question ici de bonnes, d’instituteurs et de moniteurs, surtout de moniteurs. Mais on trouvera quand même un lien avec la tragédie de Jean François Kahn (dont, au demeurant, je suis un admirateur), c’est promis.
Généralement, on trouve plus ambitieux qu’un jeune veuille devenir médecin, pharmacien, professeur ou avocat plutôt que moniteur auto-école. A la rituelle question : « qu’est-ce que tu veux faire dans la vie », il est préférable de répondre « médecin » et non pas « moniteur auto-école ». Ou alors, on étonne. Aussi, si les hasards de la vie ont fait de vous un moniteur, il reste à espérer que vos enfants ne suivent pas votre parcours.
Il y a des signes qui ne trompent pas. Jamais on a voulu changer la dénomination des médecins en les appelant, par exemple, «réducteurs de maladies et acteurs de santé publique ». On n’a jamais dit aux « défenseurs de la veuve et des orphelins » de ne plus s’appeler « avocats ». On ne change pas une profession qui gagne. Mais on eût aimé changé le « moniteur auto-école » en « enseignant de la conduite automobile et de la sécurité routière ».
Il existe donc des métiers qui sont dévalorisés socialement et dont on change la dénomination dans l’espoir que cela change le regard social. Mais on n’ira pas jusqu’à dire, par exemple, que les instituteurs d’antan qui sont les professeurs des écoles d’aujourd’hui avaient vraiment besoin d’un changement de regard, même si on ne perçoit pas bien un changement dans la fonction.
Dans cet ordre d’idée, on ne parle plus aujourd’hui de « bonne », de « domestique » ou de « servante » mais on dit « femme de ménage » ou « technicienne de surface ». Il n’est pas sûr cependant que la société ait plus de considération aujourd’hui pour les personnes concernées même si tout cela relève plus de l’inconscient collectif que d’une franche déconsidération.
Mais il arrive que ce phénomène inconscient remonte malencontreusement à la conscience, comme à celle de Kahn Jean François quand il commentait l’affaire Kahn Strauss. On pourrait dire alors que c’est là une tragédie strictement kahnienne. Eh bien, non ! Le « troussage de domestique » est un trait d’humour qui ne fait pas que trahir la conscience de Jean François – et on sait qu’il en a -, il traduit et trahit surtout l’inconscient collectif. La puissance de cet inconscient est tel que personne n’en est à l’abri.
Un lien existe sans doute entre les bonnes, les instituteurs et les moniteurs et il existe probablement aussi une corrélation entre l’instabilité du titre professionnel et sa position dans la hiérarchie sociale et professionnelle. Mais le changement de dénomination quand la fonction en elle-même ne change pas est forcément suspect. Surtout si la multiplication des qualificatifs démultiplie la qualification du sujet. En un mot comme en cent, un mot vaut probablement mieux que six pour désigner une personne dans une activité.
On a sûrement le droit de ne pas avoir honte de son métier. Mais il est clair que l’opposition entre le moniteur, d’une part, et l’enseignant de la conduite automobile et à la sécurité routière, d’autre part, n’est pas innocent et vise à orienter les pratiques par une dévalorisation de la fonction. Le changement de dénomination professionnelle apparaît alors comme une maltraitance sociale, un coup de pieds au cul du genre de métier qui est facilité, me semble-t-il, par le regard négatif que la société pose sur le métier. Et il n’est pas rare – c’est même inévitable - que les professionnels adoptent ce regard sur eux-mêmes.
Mais il est possible aussi que les métiers reconnus et dont la dénomination n’est pas contestée ont déjà subi ce coup de pied au cul dans le passé. On peut penser, par exemple, que les pharmaciens étaient appelés « guérisseurs » ou « rebouteurs » avant de devenir pharmaciens. C’est alors une évolution positive. On peut envisager que les moniteurs en sont là et qu’en devenant « enseignants de la conduite automobile et de la sécurité routière » ils vont pouvoir devenir plus riches. Une enquête serait à mener pour savoir si les instituteurs et les bonnes d’avant sont plus riches sous leur nouvelle dénomination. Pour les moniteurs, je sais que ce n’est pas encore le cas et leur titre d’enseignant ne les met pas à l’abri des sarcasmes.
Depuis les années 1980, il est de bon ton de se moquer officiellement de la formation dispensée par les auto-écoles, accusées de ne penser qu’à bachoter l’examen du permis de conduire au détriment des véritables enjeux de sécurité routière. Malgré son caractère officiel, un tel discours est totalement imbécile, ceux qui le prononcent ne se rendent pas compte de son absurdité. Comment, en effet, prétendre que la formation à l’examen du permis n’est pas une formation de sécurité et, en même temps, exiger des auto-écoles qu’elles aient un meilleur taux de réussite à l’examen ? Comment concevoir que les inspecteurs du permis de conduire et de la sécurité routière (titre officiel) valident des formations qui ne prennent pas en compte les enjeux de sécurité ?
C’est donc pour disqualifier la formation préparant à l’examen du permis de conduire que l’on a voulu disqualifier le moniteur auto-école. Les quelques rares schizophrènes de notre profession sont d’ailleurs dus à cette injonction paradoxale : s’il « fait du permis » le moniteur est menacé d’infamie par ceux là même qui vont le punir par son taux de réussite à l’examen s’il ne le fait pas. Les moniteurs sont formés pour vendre de « l’éducation routière », ce qui ne manque pas de générer une grosse incompréhension avec leurs élèves. Personne n’a jamais vu un candidat au permis s’inscrire dans une auto-école en disant « je ne suis pas assez éduqué, je viens acheter des cours d’éducation ». Mais certains enseignants de la conduite et de la sécurité vont s’obstiner à lui en proposer. Jusqu’au jour où ils comprennent qu’ils sont moniteurs. Ce jour là, ils sont guéris de leur schizophrénie.
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