En mémoire de Kamal Nagchchband, Anupong Suebsamarn, Pascal Verdenne, Antonio Magalizzi, Bartosz Niedzielski.
En pensées fraternelles avec les blessés et les familles des victimes.
« Le tragique est survenu entre-temps,
avec sa part d’irrémédiable.
D’aucuns voudraient tout effacer.
Je crois au contraire que le propre de l’homme,
Ce qui le fait grand, est la mémoire,
Où l’on regarde le pire et le meilleur.
Mais le pire n’abolit pas le meilleur. Il le rend plus problématique.
A chacun, désormais, de faire usage de la mémoire. »
« Nous n’avons fait que fuir », Bertrand Cantat. Préface de Bernard Comment, Gallimard, collection Minimales/ Verticales, 2004.)
Daniel Pennac: " On imagine pas le nombre d'enfants qui ont été sauvés par l' Education Nationale, parfois de leurs propre famille".
Grandeur et faiblesses de l’humanisme strasbourgeois.
Les élus strasbourgeois aiment convoquer la tradition humaniste rhénane pour donner de l’éclat et de la noblesse à leurs actions et à leurs initiatives.
Le parallèle est certainement régulièrement approprié, même si on peut nuancer avec Stefan Zweig ( cité par Gabriel Braeuner dans la revue de l’ association Espoir) : « La cause de la rapide décadence et de la fin tragique de l’humanisme c’est que si ses idées étaient grandes, les hommes qui les proclamaient manquaient souvent d’envergure ».
Comment interpréter le commentaire de Roland Ries affirmant solennellement qu’il ne serait pas favorable à l’inhumation de Mr Cherif Chekatt à Strasbourg. ( Juste après le drame du marché de Noël de Strasbourg, le 11 décembre 2018)
Pour éviter le risque de faire de la tombe un lieu de pèlerinage.
Comme si la mort n’avait pas un caractère sacré, universellement.
Comme si la famille de cet homme n’était pas aussi victime psychique, indirecte mais réelle, de ce malheur collectif.
Comme si Mr Chekatt n’était pas un des fils de notre république française et de notre ville.
Selon quels critères pourrions-nous décider du caractère « convenable » d’une dépouille et qu’est-ce qui fonderait la décision de la sacraliser, par l’élection ou le déni ?
Pourquoi ne pas plutôt miser sur l’intelligence, le partage du savoir et des connaissances, le soutien aux familles les plus défavorisées ?
Je connais deux exemples tragiques d’escamotage de dépouilles de personnages criminels réalisées par les américains pour éviter les pèlerinages : celles d’ H. Himmler( 1945) et de O.ben Laden ( 2011).
Mr Chekatt n’a pas été jugé et quel que soit le caractère monstrueux et absurde des actes qu’on peut légitimement lui imputer, sa famille et ses proches ne peuvent pas être intégrés dans l’opprobre.
Et le dégoût, la douleur et le sentiment de gâchis que peuvent inspirer ses actes ne peuvent justifier d’avoir recours à une forme de pensée magique, dont les effets seraient « d’externaliser » le problème crucial que pose ce type de passage à l’acte radical où, chose étrange, l’auteur sacrifie aussi sa propre vie.
Cette proposition de « rejeter » la dépouille est un piège car si on avait dû en décider ainsi, la discussion aurait alors pu s’ouvrir au sujet de tous les auteurs de crimes ou même d’accident : où serait la limite ?
Les violeurs en série , les prêtres pédophiles en série, les tueurs , les escrocs , les auteurs d’accident de la route mortels alcoolisés ne pourraient plus être enterrés chez eux ?
Pourquoi le type de crimes commis par Mr Chekatt génère-t-il ce type d’ostracisme et de déni ?
En quoi sont-ils plus horribles et plus impensables ?
Quelle est l’échelle de l’horreur ?
Quels sont les arguments qui nous autoriseraient à exclure Mr Chekatt du champ symbolique de nos représentations collectives ?
Il est français.
Le « risque » du pèlerinage ne tient pas dans la mesure où les pèlerins seraient immédiatement identifiés
Ce qui fait la grandeur d’une société c’est d’essayer de comprendre. Ce qui ne veut pas dire qu’il s’agirait d’excuser.
Pourquoi ne serions-nous pas capables d’intégrer la problématique représentée par le fait qu’une partie des djihadistes est nos propres enfants.
Le nier serait déplacer fautivement un problème collectif et un défi que nous devons et pouvons relever ensemble.
Un peu comme on déplace géographiquement la criminalité en installant la vidéosurveillance.
Propositions pour une modalité des devoirs de mémoire et de connaissance en prenant la mémoire de la Shoah comme modèle et le rôle des médecins sous le nazisme.
( Il suffirait alors de remplacer médecin par politique).
Est-il pertinent d’essayer de s’identifier aux victimes, non pas pour se réapproprier leur expérience et leur témoignage sacrés et se substituer à eux, mais pour sensibiliser les générations futures à ce qu’ont pu être les « appels », les Sonderkommandos, les Musulmans(1) , le froid, la faim, la soif, la puanteur, le renoncement à la pudeur et à la solidarité... ?
Est-il pertinent de s’identifier aux bourreaux et notamment aux médecins à partir du principe que l’exercice de la médecine est universel et intemporel et à partir de la proposition de Primo Levi selon laquelle : « L’oppresseur reste tel, et la victime aussi : ils ne sont pas interchangeables, il faut punir et exécrer le premier (mais si possible, le comprendre), plaindre et aider la seconde, mais tous deux, devant le scandale du fait qui a été irrévocablement commis, ont besoin d’un refuge et d’une protection, et ils vont instinctivement à leur recherche. Pas tous, mais les plus nombreux, et souvent pendant toute leur vie » ?(2)
Qu’aurions-nous fait nous-mêmes si nous avions été médecins en 1933 en Allemagne ?
Notre mémoire d’Auschwitz doit rester vivante. Qui en sera dépositaire quand tous les rescapés auront disparu ? Comment la reconnaître, comment l’identifier, comment l’étudier, comment la transmettre ? Y a-t-il une pédagogie de la Shoah, y a-t-il une pédagogie du Samudaripen ?
Doit-on considérer cet emblématique drame comme un événement anachronique, ou en rechercher en permanence la modernité, en mettant de manière obsessionnelle la médecine au service des plus démunis et des traumatisés d’aujourd’hui ?
(1) Terme utilisé par les internés des camps d’extermination pour désigner leurs camarades d’infortune ayant renoncé à lutter pour survivre et s’offrant à la mort en position de prière mahométane.
(2) Primo Levi, Les Naufragés et les rescapés. Quarante ans après Auschwitz, Paris, Gallimard, 1989, p. 25.
Par ailleurs, j'aurais, personnellement, les "meilleures raisons" de différencier les uns des autres.
Qu'on punisse et exècre les bourreaux mais qu'on tente de (les) comprendre et qu'on ne renonce jamais à les nommer.
Ce serait un piège tragique dans lequel leurs crimes nous feraient tomber.
Georges Yoram Federmann
24 décembre 18