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Billet de blog 23 mai 2021

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Passer à la caisse. Traumatisme vicariant au service médical de la CPAM

Il s’agit de ma première rencontre avec les médecins conseils. Les relations professionnelles avec ces derniers ont toujours eu mauvaise presse et sont souvent vécues comme distantes. Cependant, elles m’ont toujours beaucoup aidé et inspiré, permettant de dénouer des situations compliquées.

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 Passer à la caisse

J’avais eu en début de carrière un sérieux conflit avec le médecin chef de la Caisse primaire d'Assurance maladie (CPAM) de Strasbourg, à propos d’une prescription hors autorisation (AMM) de mise sur le marché de Moscontin1.

C’était au début des années quatre-vingt-dix et j’étais alors, jeune installé, le seul psychiatre libéral du département (sur plus d’une centaine) à avoir demandé le fameux carnet à souches qui permettait de prescrire les stupéfiants, « en ville ».

J’avais donné une chronique au Forum de la revue Prescrire : « Je fais confiance à mes patients ».

Le médecin chef avait usé du droit de réponse pour affirmer que je mettais la vie de mes patients toxicomanes en danger en prescrivant hors AMM.

Prescrire m’avait autorisé à répliquer : « Je continue à faire confiance à mes patients »

La question de la qualité de mes relations confraternelles avec les collègues, médecins-conseils de la CPAM, a été réveillée par l’article rédigé sur cette histoire de prescription extraordinaire de Stilnox®2 (entre 14 et 28 comprimés… par jour), que j’ai réussi à préserver au fil des années (sur une dizaine d’années) au prix de la mise sur pied d’alliances thérapeutiques avec une association spécialisée dans la prise en charge des « toxicomanes », un pharmacien, une assistante sociale, une curatrice et un psychiatre, cothérapeute se consacrant à la psychothérapie.

Et c’est à cette occasion que je me suis souvenu de ma seule et unique visite au service médical.

J’avais, il y a environ trois ans, reçu une lettre de la Caisse m’invitant à une rencontre pour faire le point sur la prescription des arrêts de travail. Il faut dire que je suis « gros » prescripteur d’arrêts et de psychotropes. Je mets cela en lien avec la précarité et la vulnérabilité de la plupart de mes patients. C’est une manière de prendre soin d’eux et de les protéger, socialement. Ça « marche » pas trop mal. J’ai l’impression de les aider à rester « droits » et à rester intégrés, même si c’est à la marge, souvent.

J’appelle la collègue qui a signé la convocation et elle me propose, soit de passer elle-même au cabinet (où je serais en terre connue), soit de la retrouver au siège de la Caisse.

Curieux, je me rends compte que je ne suis jamais allé sur place malgré les dizaines d’échanges téléphoniques concernant les patients, à propos de question de légitimité d’arrêts, d’invalidité ou de choix d’experts en cas de litige.

J’ai souvent pris les devants et appelé les collègues « préventivement », avant la date de convocation de mes patients, pour « préparer le terrain » et échanger sur des considérations cliniques et sociales. Je m’en suis toujours félicité et j’ai rarement été déçu. L’oreille et l’intérêt de mes collègues de la CPAM ont été attentifs et généreux dans l’immense majorité des cas. Je décide donc d’aller à la rencontre de ma collègue.

Je l’attends un peu dans l’antichambre de l’étage des médecins. On y accède par un code… comme au commissariat. Elle m’accueille avec gentillesse, m’explique qu’elle me reçoit dans le cadre d’une action de sensibilisation des psychiatres à la bonne gestion des arrêts de travail et me dit qu’elle a apprécié Le divan du monde3 qu’elle a pu voir au Star4. La confiance instaurée me permet d’apprendre qu’elle est en mi-temps thérapeutique à la suite d’un cancer. À la fin de notre entretien, très cordial et agréable, je me félicite d’avoir accepté l’invitation, et demande à faire la connaissance des trois ou quatre collègues, connus par téléphone, dont j’ai lu le nom affiché à la porte des bureaux de l’étage. Et là, ma collègue, en me raccompagnant jusqu’à la sortie, m’apprend que l’un est bien en congé, mais que les deux autres sont en arrêt… pour burn-out. La nouvelle m’a rendu triste car j’ai ces collègues en estime pour le travail difficile qu’ils réalisent, le plus souvent, avec scrupule et conscience professionnelle.

C’est le constat de trente-cinq ans de relations étroites et cordiales. Mais qui donc prend soin des médecins-conseils de la CPAM ?

Notes

  1. J’ai encore un des patients soutenus à cette période, qui prend 660 mg/par jour de ce « remède ». Il a 55 ans et se (sup)porte assez bien.
  2. Voir Pratiques n° 92 « L’exception ne fait pas la règle » p. 88.
  3. Le Divan du monde: premier des deux documentaires tournés sur ma pratique. https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Divan_du_monde
  4. Un des deux derniers cinémas indépendants à Strasbourg.

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