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Billet de blog 26 juin 2021

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Les enjeux de l'expertise dans le champ de la santé mentale

En tant que psychiatres, nous avons tous été confrontés, dans nos pratiques quotidiennes à la peine et à la douleur morale de patients vulnérables, déjà fragilisés par nombre d’épreuves existentielles. Une vingtaine de psychiatres appellent à une revalorisation de l’acte d’expertise et à un meilleur accompagnement et formation.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le recours à l'expert dans le champ de la santé mentale : un enjeu de santé publique et de cohésion sociale.

 « Il n’y a qu’une douleur qu’il soit facile de supporter, c’est celle des autres ». René Leriche

Nous avons tous été confrontés, dans nos pratiques quotidiennes à la peine et à la douleur morale de patients vulnérables, déjà fragilisés par nombre d’épreuves existentielles.

À certains moments, ils ont dû, de surcroît, se soumettre à l’épreuve de l’expertise psychiatrique pour faire reconnaitre la chronicité d’une souffrance psychique et l’incapacité à exercer une activité professionnelle.

Cet examen est le plus souvent vécu comme une épreuve pénible car une proportion non négligeable d’expertises repose , à Strasbourg, sur 2 ou 3 médecins qui ont fait de cette pratique leur pré carré et dont les conclusions tombent sans appel de manière péremptoire, régulièrement, comme une condamnation, comme un désaveu du praticien-traitant, pourtant « expert du quotidien et sur la durée », et comme une condamnation du patient et une négation de sa plainte.

Chaque praticien local a, à quelques exceptions près, des cas édifiants de patients et patientes qui ont vécu leurs expertises comme de véritables violences.

Cette violence ressentie par les patient(e)s au cours de certaines expertises, découle aussi du poids considérable de la parole de l’expert, « sujet supposé savoir » en quelque sorte de droit, institué par une instance supérieure (l’assurance maladie, la justice, le comité médical des fonctionnaires, les assurances, …).

Quand s’y ajoute le fait que l’expert s’identifie à une figure d’autorité suspicieuse vis-à-vis du patient, l’effet douloureux est redoublé et inévitable.

Alors que l’expertise peut facilement être un acte thérapeutique !

Il ne s’agit pas de contester le bien-fondé de l’expertise mais d’appeler de nos vœux le renouvellement et le rajeunissement des experts, la nécessité de s’assurer de leur formation continue ( notamment en ce qui concerne le domaine des traumatismes psychiques), et de faire de l’expertise un véritable moment thérapeutique et un temps de débat contradictoire et dynamique, entre l’expert et le médecin-traitant, afin que les conclusions de l’expertise constituent, malgré un éventuel rejet de la demande, un temps réparateur et thérapeutique pour l’usager.

La clinique quotidienne nous montre bien combien l’expertise peut permettre de dénouer, par une attitude bienveillante, un grand nombre de situations délicates soit en favorisant une demande de CLM (Congé de longue maladie) ou de CLD (Congé de longue durée), soit en préconisant, avec tact et générosité, une reprise du travail, une inaptitude ou un licenciement concerté.

Soit en procédant à une juste évaluation du préjudice consécutif à un accident du travail, à un accident quelconque ou à une infraction.

La parole de l'expert, lorsqu'il est mandaté par une institution relevant de l'état ou d'une collectivité (la sécurité sociale, un ministère, l'éducation nationale, etc.) ou encore des assurances, a des effets qui dépassent de loin ceux qu'elle aurait dans une situation de consultation habituelle à l'hôpital ou à son cabinet.

Représentant une institution supérieure, sa parole est porteuse d'un message que le patient ne peut qu’attribuer à cette instance supérieure.

Si l'accueil est brutal, si l'entretien se réduit à un interrogatoire de style policier qui interdit au patient de s'exprimer véritablement, si le ton est méprisant, alors la violence du message reçu sera double : violence de la part de la personne du médecin expert, mais en outre sentiment d'une violence de la part de l'institution d'où il tire son autorité et sa légitimité.

Il n'est pas difficile dans ces conditions, avec des patients fragilisés par leur pathologie et les accidents de vie qui les ont amenés à la situation qui commande l'expertise, de leur faire éprouver un véritable sentiment d'exclusion et de rejet par l'institution elle-même à laquelle ils appartiennent où dont ils attendaient plutôt un accompagnement et une aide.

Loin d'apaiser la situation, de telles expertises l’aggravent, en raidissant les positions du patient et en ajoutant à la maladie pour laquelle il est soigné, un sentiment d'abandon qui l'entretient et favorise sa pérennisation.

Pour de nombreux patients en état de vulnérabilité, l'institution, que ce soit celle qui les embauche, celle qui les assure et les protège, prend la place dans leur inconscient de véritables parents imaginaires.

Le rejet par une telle instance mise en position de parents, renforce le sentiment d'incapacité et d'inutilité qui contribuait à empêcher le patient de reprendre le travail ou lui interdisait de faire le deuil des capacités perdues.

Il en résulte que ce type d'expertise est préjudiciable non seulement en raison des violences gratuites et inutiles qu’il produit sur les patients, mais aussi parce qu'il participe à la pérennisation des troubles. Certes on ne demande pas à l'expert d'être thérapeute au moment de l'expertise, mais on peut au moins attendre de lui qu'il n'aggrave pas la maladie de celui qui vient se prêter à cet exercice !

Une formation à l'expertise devrait d'ailleurs comporter, outre les aspects médico-légaux bien sûr indispensables, un volet spécifique dédié à la technique d'entretien et aux techniques de l'écoute de manière à faire prendre conscience à chaque praticien expert du pouvoir qui est le sien de soulager, de dédramatiser ou au contraire de radicaliser le rapport à la maladie et à l'institution du patient qu'il expertise.

En dehors de cas rarissimes de simulation véritable, l'énorme majorité des patients qui se retrouvent en expertise ont derrière eux un long parcours pathologique qui a comporté une souffrance indéniable. Il arrive évidemment que cette souffrance subjective ne corresponde pas aux critères, qui se veulent les plus objectifs possibles, qui vont permettre telle ou telle indemnisation ou tel ou tel congé de longue durée.

Quels que soient ces discordances, il n'en reste pas moins que la souffrance peut être entière, véritable et doit être reconnue comme telle.

C’est le point de départ de toute consultation médicale qui se respecte. On ne reçoit pas nos patients avec une posture à priori suspicieuse et en s’attendant à ce qu'ils nous mentent. C'est au contraire l'établissement d'un lien de confiance qui permet le développement d'une relation qui sera thérapeutique. L'expertise ne déroge pas à cette règle.

Pour qu'elle soit valable, y compris selon les critères de la plus stricte objectivité, il est nécessaire qu'un climat de confiance minimal s'établisse entre l'expert et le patient. Faute de quoi, non seulement le patient aura à subir une violence injustifiée, sa situation pathologique risque de se rigidifier, mais pire encore, l'expertise en elle-même sera biaisée et ses résultats faussés par ce climat suspicieux.

D'ailleurs, le mépris parfois affiché envers les psychiatres traitants des patients par certains experts et lui aussi source de difficultés inutiles et gratuites.

Discréditer le travail de fond effectué par le psychiatre traitant et la connaissance qu'il peut avoir de ces patients, lui qui les accompagne parfois pendant des dizaines d’années, risque de mettre à mal le suivi thérapeutique avec le psychiatre traitant tout en faisant perdre toute sa valeur à l'expertise aux yeux du patient.

C'est dire que l'expert se doit aussi de signifier au patient la reconnaissance qu'il a de l’expertise de terrain et de compagnonnage du psychiatre traitant, quels que soient par ailleurs les désaccords techniques en matière de diagnostic ou d'évaluation de la sévérité des troubles.

Mais tout ceci ne doit pas masquer le problème de fond qui se pose aux magistrats et autres «  missionnaires » qui n’ont plus beaucoup de choix devant la baisse du nombre d'experts disponibles. Il faudrait d’urgence en appeler à une revalorisation de l’ acte d’expertise, un meilleur accompagnement et formation de façon à ce que plus de praticiens aient envie de devenir experts et d’exercer avec lucidité et indépendance .

 Signataires

Georges Yoram Federmann
Bertrand Piret
Claire Lauffenburger
Frédéric Grabli
François Mennessier
Jean Doubovetzky
Dominique Schneider
Claire Meyer
Olivier Volpe
Pierre Gandelman
Ramona Popescu
Vincent Berthou
Bogdan Gionea
Stéphane Kaufmann
Fernando de Assis Pacheco
Aurore Fichter
Véronique Helmlinger
Cristi Emilian Carataga
Caroline Roeser
Remy Chaumont
Christina Tudor
Thiphaine Formentin
Romieux Pascal

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