Quelles propositions parlementaires portées pour un projet de loi sur la prévention des risques dits « psychosociaux » ?
Tel était le débat, auquel je participais, à la suite de la projection du film « Par la fenêtre et par la porte » au sein de l’Assemblée Nationale jeudi 14 décembre 2023 à l’initiative de plusieurs député.es signataires de l’appel intitulé « Pour une initiative parlementaire sur la santé au travail ».
Sur le fond, il faut d’abord souligner que vouloir prévenir véritablement les risques liés à l’organisation du travail, les risques psychosociaux dans le langage courant, nécessiterait bien plus qu’une modification du cadre réglementaire mais bien une rupture avec les organisations du travail actuelles et donc avec le système capitaliste ou à toute le moins un rééquilibrage du rapport de force dans les entreprises et administrations afin que les travailleur.euses puissent véritablement peser sur l’organisation du travail.
Sans avoir d’illusion sur les réelles capacités d’un projet de loi trans partisan, condition pour son adoption, à transformer les conditions de travail actuelles, il est nécessaire de s’interroger sur ce qu’il serait possible d’améliorer d’un point de vue réglementaire qui soit macron-compatible d’où ces quelques remarques et propositions pour alimenter la réflexion collective nécessaire.
Mettre la question du harcèlement moral au cœur du dispositif ?
Le jugement France Telecom, confirmé par la Cour d’Appel de Paris, reconnait le harcèlement moral institutionnel et permet de sortir d’une conception étroite, opposant deux individus, un harceleur et un harcelé.
S’il faut durcir les sanctions pénales en cas de harcèlement moral, comme le revendique les auteurs de l’appel, il semble nécessaire de réintroduire l’ensemble des articles relatifs au harcèlement moral et sexuel, actuellement situées dans la partie 1 du code du Travail relatives aux « relations individuelles de travail » pour les placer comme il se doit dans la partie 4 relative à la « santé et sécurité au travail » afin de les traiter comme un risque collectif lié à l’organisation du travail.
Cela permettrait sans doute d’inciter mieux le CSE à se saisir pleinement de ces questions, étant rappelé qu’il peut déjà « susciter toute initiative qu'il estime utile et proposer notamment des actions de prévention du harcèlement moral, du harcèlement sexuel et des agissements sexistes » (article L2312-9 du code du travail). Si le code du travail indique que « Le refus de l'employeur est motivé », il apparait nécessaire de prévoir une sanction spécifique automatique, en cas de non motivation, autre que le délit d’entrave qui ne donne jamais lieu à des poursuites de la part des parquets, très conciliant avec la délinquance en col blanc, et contraint à la citation directe en correctionnelle.
Concernant l’obligation d’évaluer les RPS / risques organisationnels
L’obligation d’évaluer les risques existe dans le code du travail depuis la loi de 1991 transcrivant une directive européenne de 1989. L’obligation de transcrire les résultats de cette évaluation dans le document unique (DUERP) date de 2002. L’évaluation et la transcription doivent inclure l’ensemble des risques pour la santé physique et mental.
Le patronat s’est toujours opposé à cette obligation à double tranchant pour les employeurs. En effet, en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle, il sera recherché, par les représentants du personnel, l’inspection du travail puis le juge éventuellement, si le risque avait été identifié. Soit le risque a été identifié, et l’employeur court le risque d’être mis en cause pour l’absence de mesures de prévention adéquat, soit le risque n’est pas identifié, ce qui lui sera reproché.
Toute démarche de prévention des RPS / risques organisationnels doit s’appuyer sur une évaluation des risques rigoureuse réalisée par du personnel compétent sur la base d’une méthodologie reconnue reposant sur les conditions du travail réel.
Sur les terrains, syndicalistes, inspecteurs du travail, préventeurs CARSAT ou médecins du travail, nous constatons que l’évaluation des RPS / risques organisationnels est soit totalement manquante, soit réalisée sans que les travailleur.euses y soit associés.
En terme de proposition, l’article R.4121-1 du code du travail pourrait être complété en indiquant que cette évaluation concernant les RPS / risques organisationnels soit réalisé selon un référentiel réglementaire.
Il ne s’agit pas là de défendre tel ou tel questionnaire qui ne peut jamais prendre en compte la réalité du travail et laisse seul le travailleur.euse face à une feuille ou un ordinateur mais une démarche faisant obligation de réunir les travailleur.euses par unité de travail pour échanger sur le travail réel, leurs expositions aux facteurs de risques et surtout leurs propositions pour améliorer concrètement les situations de travail.
Cette démarche, mise en œuvre au sein de la DIRECCTE / DREETS de Normandie depuis 2017 suite aux demandes répétés des syndicats CGT et Sud travail a au moins le mérite de contribuer à la traçabilité des expositions collectives aux risques et de mettre en évidence que les plans d’actions adoptés ne sont souvent pas mis en œuvre, permettant par la suite d’engager plus facilement la responsabilité de l’employeur.
Concernant le régime de sanction concernant l’évaluation des risques :
Alors que le manquement à une disposition technique du code du travail en matière de santé et sécurité (ex : absence de vestiaires, non-conformité de l’installation électrique….) est puni d’une amende de 10 000 € par travailleur.euse concerné (art L. 4741-1 du code du travail), de 30 000 € par travailleur.euse concerné et d’un an d’emprisonnement en cas de récidive, l’absence de transcription de l’évaluation des risques dans le DUERP n’est puni que d’une amende de 5ème classe (1500€ max) peu importe le nombre de salariés (art R.4741-1).
En terme de proposition, le code du travail doit être modifié pour que l’absence d’évaluation des risques, qui est la base de toute prévention, donne lieu à la sanction prévue à l’article L.4741-1 comme pour les autres infractions.
Cependant, le rehaussement de l’infraction pénale ne sera pas forcément dissuasif pour les employeurs (vu le taux de classement sans suite des procès-verbaux de l’inspection du travail), raison pour laquelle le code du travail devrait être modifié en prévoyant la possibilité pour les agents de contrôle de l’inspection du travail de mettre directement en demeure les employeurs de réaliser l’évaluation des RPS / risques organisationnels sur la base du référentiel sous un délai de 6 mois suivi d’une astreinte dissuasive en cas de non réalisation (1 000€ par travailleur.euse et par mois de retard). Une disposition similaire devrait être envisagée dans le code de la sécurité sociale sous l’angle des majorations de cotisations AT/MP par un système simplifié d’injonction à la main des contrôleurs de sécurité et ingénieurs de prévention des CARSAT.
Concernant la réparation des maladies professionnelle d’origine psychique, il faut, si une mission d’information parlementaire voit le jour, comme le souhaitent les signataires de l’appel, qu’elle intègre la question de la reconnaissance des accidents de service et des maladies professionnelles pour les agents publics car à ce jour la décision de reconnaissance reste la prérogative des employeurs publics, ce qui constitue un problème supplémentaire par rapport au privé.
Par ailleurs, en lien avec les débats sur l’article 39 du PLFSS, il apparait indispensable de défendre la revendication de réparation intégrale des préjudices subis par les victimes d’accidents ou de maladies professionnelles.
Si la création de tableaux de maladies professionnelles est indispensable, il faut aussi supprimer l’exigence du taux de 25% d’incapacité permanente pour pouvoir accéder à la voie complémentaire, taux minimal qui constitue une mesure discriminatoire interdite, considérant que les travailleurs.euses n’ont pas un état de santé assez dégradé pour obtenir réparation.
Sur la question des travailleurs.euses licenciés suite à constat d’inaptitude :
Enfin, il semble nécessaire de porter une attention particulière aux travailleurs.euses déclarés inaptes dont plus de 90% sont licenciés quand bien même l’aménagement des postes de travail serait possible mais souvent non mis en œuvre par les employeurs pour des motifs principalement financiers.
Sur la base des données publiées par la DREETS Normandie, on peut estimer qu’un.e travailleur.euse est déclaré inapte toutes les 2 à 3 minutes en France.
Si la revendication de la confédération CGT, à savoir l’interdiction des licenciements des travailleurs.euses inaptes en l’absence d’un reclassement effectif a peu de chance d’être reprise dans le code du travail, il apparait cependant nécessaire de revoir complètement la législation concernant la contestation des avis d’inaptitude qui a été transférée au conseil des prud’hommes avec un délai réduit à 15 jours, rendant les contestations quasi impossibles. Revenir au système précédent, à savoir une contestation devant l’inspecteur du travail sous deux mois qui doit prendre l’avis du médecin inspecteur du travail et peut se rendre dans l’entreprise pour voir le poste de travail, n’est pas une solution magique mais le retour à un droit plus protecteur des travailleurs.euses.
L’obligation de former les représentant.es du personnel aux RPS et à la méthodologie d’enquête :
Si nous souscrivons toutes et tous au retour des CHSCT, dans le privé comme le public, avec des pouvoirs renforcés, le rapport de force actuel laisse penser qu’il est peu probable qu’une majorité parlementaire se dégage sur ce point.
Sans abandonner cette bagarre, que nous portons notamment dans le cadre des assises de la santé et sécurité des travailleurs.euses portées notamment par la CGT, Solidaires, la FSU…. nous devrions insister sur l’importance de la formation pratique des représentant.es du personnel.
Nous constatons encore aujourd’hui que les représentant.es du personnel au CSE / CSSCT (CSA / FSSSCT pour la fonction publique) ne sont pas correctement formés sur la problématique des RPS / risques organisationnels et notamment sur la méthodologie d’enquête permettant de mettre en évidence les facteurs de risques liés à l’organisation du travail. Avec des formations se limitant réglementairement actuellement à 3 ou 5 jours selon la taille des établissements, il n’est pas possible de former correctement les représentants du personnel notamment à la pratique de l’enquête. L’expérience de terrain montre qu’il faudrait au moins une formation spécifique de 4 jours supplémentaires sur le sujet.
Sur les principes généraux de prévention :
Concernant la proposition de rajouter un dixième principe général de prévention, on ne peut que s’interroger sur la portée effective de la proposition d’inscrire à l’article « L.4121-2 du code du travail : écouter les travailleurs sur la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail et les relations sociales ».
Les principes généraux de prévention constituent aujourd’hui une obligation pour les employeurs sans régime de sanction. Dans les entreprises comme les administrations, l’obligation d’éviter les risques à la source et d’appliquer les huit autres principes de précaution n’est que rarement appliqué, que ce soit en matière de RPS / risques organisationnels ou encore en matière d’exposition à l’amiante ou aux autres produits dangereux où les employeurs adoptent une politique de gestion du risque en violation de ces mêmes principes généraux.
Il serait cependant possible d’articuler ce 10ème principe avec le fait d’inclure une disposition au sein de l’article L.2312-8 du code du travail, qui précise les cas de consultations du CSE notamment en matière d’organisation du travail et de santé – sécurité prévoyant que chaque consultation du CSE doit être précédé de l’organisation pratique d’expressions collectives des travailleurs.euses concernés par la consultation, expressions organisées sur le temps de travail, l’employeur devant laisser le temps nécessaire à chaque travailleurs.euses pour y participer. Il faudrait bien évidemment défendre le renforcement des prérogatives des CSE / CSA et l’obtention d’un droit de véto, qui n’est cependant pas la solution magique, compte tenu des pressions patronales notamment sur l’emploi ou les salaires.
J’espère que ces quelques lignes permettront un débat riche, débat que nous aurons notamment aux Assises de la santé au travail appelées notamment par la CGT, Solidaire et la FSU les 13 et 14 mars prochain à la bourse du travail de Paris où le sujet des RPS / risques organisationnels sera largement abordé.
L’appel intitulé « Pour une initiative parlementaire sur la santé au travail » est consultable ici : Pour une initiative parlementaire sur la santé au travail | Santé & travail (sante-et-travail.fr)