C'est samedi matin, à 9h41, que la nouvelle est tombée sur le fil de Mediapart. Selon Elisabeth Roudinesco, un certain Michel Onfray s'apprêtait à assassiner le père, que disons-nous, l'inventeur, de la psychanalyse, le grand Sigmund Freud lui-même. Pour l'historienne de la discipline, il était urgent de démonter l'odieux projet, son auteur devant, le 21 avril –c'est déjà demain– prendre les lecteurs en otages.
D'ailleurs, des indices en avaient déjà été rassemblés, Onfray ayant fait part de ses projets sur divers plateaux de radio et de télévision.Arme du crime annoncé: «un brûlot truffé d'erreurs et de rumeurs» sur le couple elyséen, euh... pardon, sur le médecin viennois et sa belle-sœur. «Affabulateur» en «connivence réelle» avec «l'extrême-droite», animé d'une «volonté de nuire», l'assassin, affirme Roudinesco, se présenterait comme un «un libérateur venant sauver le peuple français de sa croyance en une idole dont il annonce le crépuscule» (toujours aucun rapport avec l'Elysée, ndlr).
Douze heures plus tard exactement moins une minute, soit à 21h42, l'accusé répondait. Faisant fi de son dégoût pour la «littérature de vespasiennes» exprimé quelques heures plutôt, il prouvait –à l'instar de son accusatrice – que point n'est besoin d'un pseudo pour se battre sur le pré médiapartien. «Tissu d'insultes, de mensonges, de contre vérités qui la ridiculisent gravement plus qu'elles ne me nuisent»: l'accusation est balayée d'un revers de clavier et les arguments déployés contre une «stalinienne», à jamais «d'un temps qui fut le sien (...) où je n'étais pas encore né...».
Toute la journée, partisans de l'un et de l'autre avaient accumulés les preuves. «Bateleur triste, spécialisé dans la vente du n’importe-quoi»: c'est ainsi qu'Onfray était décrit dans le billet de Léon-Marc Levy. Qui reconnaît pourtant que «le vieux Sigmund était effectivement avide de gloire et probablement de biens matériels». Mais grâce à lui, «le complexe d’Œdipe est un outil de travail incontournable pour des dizaines de milliers de professionnels de la santé mentale à travers le monde. Et M. Onfray affirme, sans rire, que c’est le problème personnel du petit Siggy!»
Passifou le rejoint: «Evacuer Freud, ce serait aussi évacuer la découverte fondamentale de l'inconscient, et de concepts qui portent, ou ont porté à coup sûr, une chance pour un avenir plus serein et plus équilibré pour une humanité, et une pensée universelle.»
Y a-t-il quelqu'un pour défendre l'accusé? C'est bjm qui s'adresse à Roudinesco: «Vous ne supportez pas la moindre critique du dogme freudien.Sans réponse de l'accusé, je considèrerai votre coup de gueule comme nul et non avenu et le regard d'Onfray sur le freudisme, à l'intar de toute critique, comme salutaire.»Nordikk enchaîne: «Ceux qui connaissent un tant soit peu Michel Onfray savent que ce dont vous l'accusez est impossible».
Pleineaile est pris d'un grand doute: «Quand je lis, ce jour, les gesticulations verbales éditées dans ce journal, je crois rêver (...) J'ai peur que tout cela tue même le désir d'autres gens d'en penser quoi que ce soit.» Mais non, mais non, un débat si bien parti, au contraire!
Dimanche, 11h00. L'accusatrice veut porter l'estocade en direct: elle demande à l'accusé «d'accepter enfin le débat public, à armes égales, sur une chaine de radio ou de télévision, ce qu'il a refusé jusqu'à maintenant», selon elle. Raphaël Jornet s'esclaffe: «elle voulait sa part de "chaine de radio ou de télévision" ! JJe te souille, puis je t'invite à en débattre.»
L'effet de levier qui était jusque-là réservé aux capitalistes s'empare soudain de Marielle Billy, qui évoque Pénélope et son travail de tissage et détissage tout à la fois comme préhistoire et métaphore de la cure. On ne saura pas ce qu'en pense nos deux duellistes qui n'ont pas fait usage encore de leur tout nouvel abonnement.
Lundi, Roland Gori, psychanalyste, ne peut que constater les dégâts: «Si l'on devait mesurer la valeur de la réflexion intellectuelle et philosophique d'une société à la stature des concepts qu'elle construit et aux commentaires critiques des œuvres qui l'ont précédée, on pourrait légitimement s'inquiéter de la dégradation intellectuelle de la nôtre». Et dans cette situation, certains ne croient plus personne: «L'embêtant», regrette René Lorient, «c'est que je vais devoir acheter le livre pour me faire moi-même une idée. Ce qu'aucun des commentateurs des billets de MO et ER n'ont pu faire, et pour cause. Bref la névrose perce sous les commentaires acerbes. Nous sommes dans la clinique et non~dans la logique ou~l'Histoire»
A lire aussi: l'Introduction à la psychanalyse, tomes 1 et 2, mis en ligne par Fred Oberson dans sa Bibliothèque numérique. Retour aux sources.