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Billet de blog 12 octobre 2016

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Claude

Les soldats du refus ont condamné publiquement la guerre d'Algérie. Ils ont écrit leurs motivations au Président de la République. Ils ont tous été mis en prison.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les soldats du refus ont condamné publiquement la guerre d'Algérie. Ils ont écrit leurs motivations au Président de la République. Ils ont tous été mis en prison.

L'un d'eux, Claude Despretz, témoigne. Il parle de ce qu'ils ont vécu et vu : l'humiliation, la torture, les assassinats…

Plusieurs de ses camarades et amis évoquent aussi les actes courageux de ces "bons soldats".

"Aucun des jeunes Français à qui cette épreuve a été imposée n'en est sorti totalement indemne, même si, pour beaucoup, garder le silence a été et contine a être une façon de chercher à oublier" écrit Louis Weber, dans la préface du livre "A l'épreuve de la Guerre".

Claude

Un bon soldat

Claude, né le 17 mai 1931 à Wittenheim (Haut-Rhin) devient professeur d’éducation physique après ses études à l’université de Lille, au CREPS de Strasbourg et enfin à l’Ecole normale supérieure d’éducation physique dont il sort en 1955.

Il fut soldat du refus de la guerre d’Algérie. 

Il fut un militant actif du PCF de 1952 à 1981. De 1952 à 1955 dans la fédération de Seine-Sud ; de 1955 à 1960 sous l’uniforme militaire ; de 1960 à 1966 dans la fédération de Seine-Maritime ; de 1966 à 1981 dans la fédération des Alpes de Haute-Provence ; de 1981 jusqu’à son décès le 26 février 2008 avec ses camarades restés fidèles aux principes de base du communisme. 

Claude fut aussi, en Seine-Maritime, le Secrétaire fédéral de l’Union des jeunesses communistes de France de 1960 à 1968. 

Claude et Jacqueline, son épouse, étaient professeurs à Montivilliers, commune dans laquelle ils demeuraient et militaient au sein des cellules de la section locale du PCF. 

Guerre d’Algérie

Un peu plus de quarante soldats ont refusé, publiquement, de faire la guerre au peuple algérien. Leur histoire reste à écrire. Il est utile de savoir qu’au moins 80% de ces soldats étaient de la classe ouvrière et plus de 90% communistes. Il est certain que leur conscience de classe renforçait leur conscience communiste. Mais il serait intéressant aussi de savoir ce qu’ils ont vécu parmi leurs camarades soldats dans les unités militaires où ils sont passés. Je vais m’en tenir à ma propre expérience de soldat du refus. 

Avant mon appel sous les drapeaux, j’étais déjà poursuivi pour organisation d’une manifestation non déclarée contre la guerre d’Algérie, à Avion dans le Pas-de-Calais. J’étais donc déjà catalogué à mon arrivée à l’armée. Il n’a suffi que de quelques jours pour que les autorités militaires soient parfaitement informées. C’est sous l’uniforme que j’ai été convoqué devant un juge d’instruction de Chalons-sur-Marne. Je fus acquitté par le Tribunal correctionnel d’Arras le 15 janvier 1957. J’ai fait la déclaration suivante devant le Tribunal:

Je suis assigné à comparaitre aujourd’hui devant le tribunal d’Arras comme prévenu «de participation à l’organisation d’une manifestation non déclarée». J’ai fait à ce sujet une déclaration à Monsieur le Juge d’Instruction de Chalons-sur-Marne sur laquelle je ne pense pas qu’il soit utile de revenir. Ce qui est essentiel aujourd’hui c’est de demander pourquoi, en fait, je suis poursuivi. L’infraction au décret-loi du 23 octobre 1935, interdisant toute manifestation non traditionnelle non déclarée, a été retenue contre moi sur un rapport erroné d’un fonctionnaire de la police. Sur le plan purement juridique, cette inculpation me parait sans fondement puisqu’il s’agissait d’une manifestation de caractère traditionnel: à savoir une minute de silence au monument aux morts de la ville d’Avion. Devant la fragilité de l’accusation, il semble plutôt que le décret-loi en question ait été le moyen de monter un procès d’opinion. Ce que l’on veut condamner ce n’est pas tellement le fait d’avoir observé une minute de silence au monument aux morts, si tant est qu’une telle manifestation puisse troubler l’ordre public. Ce que l’on veut, c’est faire taire les voix qui s’élèvent de plus en plus nombreuses contre la guerre d’Algérie. La grande majorité du peuple français s’est prononcée, le 2 janvier 1956 pour une politique de paix en Algérie. C’est sur ce programme de paix qu’a été élu l’actuel gouvernement socialiste. Or depuis un an, contrairement à ses promesses préélectorales, le gouvernement s’est enfoncé dans la guerre d’Algérie, politique aggravée encore par l’intervention en Egypte.

Parallèlement, l’opposition populaire à une telle politique grandit sans cesse. Et devant cette pression grandissante de l’opinion de la majorité des Français, les organismes d’Etat ont recours à la répression. Durant de longs mois, d’authentiques patriotes ont été emprisonnés au fort du Hâ, à Fresnes, à la Santé, pour avoir clamé tout haut ce que beaucoup pensent tout bas. Certains sont encore emprisonnés. D’autre part, 150 citoyens sont poursuivis pour les mêmes raisons. 

Ainsi donc, en violation de la Constitution qui garantit la liberté d’opinion et d’expression à tout citoyen français, on engage des poursuites contre ceux qui s’élèvent contre une autre violation flagrante de la Constitution française qui stipule que : «Jamais la France n’emploiera la force des armes contre les peuples coloniaux appelés à l’émancipation et à la liberté de disposer d’eux-mêmes».

Pourquoi donc avoir recours à une double violation de la Constitution si la cause défendue par le gouvernement en Algérie est juste? N’est-ce pas là une preuve suffisante des dangers d’une telle politique? Dangers à la fois sur le plan extérieur et sur le plan intérieur. 

Sur le plan extérieur, la guerre d’Algérie creuse sans cesse le fossé entre les populations algériennes et les Français. Les événements d’Alger de la semaine dernière en sont une preuve supplémentaire et suffisante. Cette guerre s’achemine vers une rupture totale entre la France et l’Algérie. D’autre part, la guerre d’Algérie suscite envers nous l’hostilité de tous les pays arabes. L’aventure d’Egypte, liée à une telle politique dénoncée par la plupart des pays du monde, n’a fait qu’isoler un peu plus notre pays. Une telle politique ne mène qu’à l’affaiblissement de notre prestige, et surtout à la liquidation de notre indépendance nationale. Une telle politique risque de provoquer un conflit à l’échelle mondiale si toutes les forces pacifiques n’arrivent pas à en dévier le cours. Sur le plan intérieur, la guerre d’Algérie provoque l’angoisse et l’appauvrissement des masses, mais aussi la monté de forces tendant à renverser le régime républicain. La guerre d’Algérie plonge dans l’angoisse 600 000 familles qui tremblent pour la vie d’un des leurs envoyé là-bas.

À cette peur et à la souffrance de la séparation s’ajoutent les difficultés croissantes de la vie quotidienne. Chaque jour voit s’aggraver le chômage, les baisses de salaires, les revendications d’horaires sans compensation, conditions aggravées encore par l’aventure égyptienne. 

D’autre part, à l’intérieur du pays, nous assistons, depuis plusieurs mois, à une agitation qui vise à briser les fondements de la République. On parle de réformer la Constitution, de réformer le régime parlementaire. 

Les champions de cette réforme sont bien souvent ceux qui, entre 1940 et 1944, fraternisaient avec l’occupant. Ce sont ceux aussi qui, depuis quelques années, se sont lancés tête baissée dans les aventures colonialistes de Madagascar, d’Indochine et d’Afrique du Nord. À quoi peut mener cette agitation? Croyez-vous que cela puisse conduire à un régime plus clément pour le peuple français? Aujourd’hui, si vous voulez condamner une opinion favorable à la paix en Algérie, vous approuverez tacitement ceux qui prolongent l’aventure algérienne, ceux qui sont responsables des difficultés économiques actuelles. Vous donnerez indirectement un brevet de moralité à ceux qui de l’intérieur et de l’extérieur veulent «étrangler la gueuse». Aujourd’hui, en condamnant une opinion favorable à la paix en Algérie, vous condamnerez un mouvement large qui rassemble des citoyens des couches sociales les plus diverses mais qui sont d’accord pour lutter ensemble, afin de promouvoir la paix là où il y a la guerre, de sauvegarder la paix là où elle est compromise.

Le Mouvement de la paix groupe des ouvriers, des femmes, des intellectuels, des artistes, des savants qui font honneur à notre pays. Malgré les coups qu’on lui porte, il continue sur la voix qu’il s’est tracée, en particulier celle du «cessez-le-feu en Algérie». En me condamnant, vous apporterez une aide à ceux qui essaient de paralyser le mouvement.

Dans le rapport de police qu’il m’a été donné de lire, ce qui est le plus accablant aux yeux de ceux qui l’ont rédigé n’est pas tellement que je sois un militant du Mouvement de la Paix, mais surtout un militant communiste. Nous voilà bien loin de l’infraction au décret loi du 23 octobre 1935. Nous retombons dans l’anticommunisme qui refleurit chaque fois que notre pays est plongé dans des aventures néfastes. Une preuve flagrante en est la traduction, devant la justice militaire, de Léo Figuère. 

Ce que l’on peut reprocher aux communistes, c’est d’avoir été, en toutes circonstances, les premiers à dénoncer les dangers des erreurs politiques des gouvernements qui se sont succédés depuis 1947. Ils ont été les premiers à dénoncer les dangers de la guerre d’Indochine. Ils ont été les premiers à dénoncer les dangers de la Communauté européenne de défense et des accords de Londres et de Paris. Ils ont été les premiers à dénoncer les dangers de la politique algérienne. Et actuellement ils sont les premiers à dévoiler les dessous de la politique de l’Euratom et du Marché commun. Ce que l’on peut aussi reprocher aux communistes, c’est d’associer leurs actes à leurs paroles. Ils ne se contentent pas de dénoncer des dangers mais ils luttent avec énergie contre ces dangers. Aujourd’hui donc, en me faisant comparaître devant vous, on vous demande à la fois de condamner toute opinion favorable à la paix en Algérie et dans l’immédiat à un cessez-le-feu, et de juger un militant communiste comme tel. C’est une position logique de la part de ceux qui ont réussi à me faire traduire devant ce tribunal; tant il est vrai que toute politique extérieure contraire aux intérêts nationaux conduit, à l’intérieur, à une politique anticommuniste. Pour terminer, je souhaite que le Mouvement de la Paix et toutes les forces pacifiques de notre pays réussissent à imposer cette année une solution véritablement pacifique au problème algérien.

Pour ce procès, mon avocate était Nicole Dreyfus. Incorporé le 4 juillet 1956, je n’ai passé que quelques jours dans le peloton des élèves sous-officiers à Châlons. Renvoyé à Mourmelon, on me signifia que je n’irai pas non plus aux élèves-officiers de réserve. Malgré cela, l’officier responsable des sports à l’École d’application de l’artillerie, le capitaine P., m’a proposé d’être responsable aux sports du peloton des élèves sous-officiers mais aussi au certificat interarmes (CIA), qui est le diplôme nécessaire aux sous-officiers, d’active pour devenir officiers. J’ai assuré ces deux fonctions. Incroyable, mais vrai, le capitaine P., aujourd’hui colonel en retraite peut en témoigner.

Poursuivi par la justice, je n’avais pas à cacher mes opinions, au contraire. Dès le début de mon incorporation, nous avions, entre soldats et quelques sous-officiers appelés, des discussions très intéressantes sur la guerre d’Algérie. Des liens d’amitié se sont tissés très vite en- tre plusieurs soldats. J’en citerai trois: Maurice B., Edmond C., Michel D. Nous étions entourés d’un certain nombre de soldats amis. Durant les quelques mois que nous avons passés ensemble, nous avons rédigé et distribué deux tracts. Ils avaient été ronéotypés à l’extérieur par un camarade communiste. Le premier, nous l’avons distribué de nuit, en le glissant, en nombre suffisant, sous la porte de chaque chambrée. Le second, toujours de nuit, nous l’avons réparti, par petits paquets sous des pierres, dans toutes les cours de la caserne.

Aucune réaction spectaculaire et bruyante des autorités militaires à ces deux tracts. Peut-être, en haut lieu, leur a-t-on demandé plutôt d’étouffer que de faire éclater l’affaire. 

Nous avons aussi, après quelques séances d’entraînement sur les mur de la ville, inscrit en grandes lettres à la craie, sur les murs à l’intérieur de la caserne : «Paix en Algérie». Là, les autorités militaires ont explosé. Tous les militaires de la caserne pouvaient voir ces belles lettres blanches. Ce mot d’ordre de paix aurait dû combler les partisans de la «pacification», nom de baptême de la sale guerre d’Algérie. Les mots pacification et paix avaient, dans le langage officiel, le même rapport entre eux qu’ont, aujourd’hui, plan social et chômage. 

Un soldat, tout à fait étranger à cette action fut mis aux arrêts sur «preuve» graphologique. En fait, ils ne connaissaient ni le nombre, ni l’identité des militants de notre petite organisation. Ils pensaient peut-être qu’en inculpant un innocent nous nous dénoncerions nous même. Le piège était un peu trop gros pour que nous y tombions. Le soldat, au graphisme suspect, fut libéré au bout de quelques jours car l’affaire commençait à faire du bruit.

J’apportais aussi, chaque jours l’Humanité à la caserne et chaque semaine France Nouvelle en toute confiance avec mes camarades. Mais un jour, l’adjudant surnommé «Cacahuète» vint me dire qu’on savait que j’introduisais des journaux interdits et qu’on allait fouiller ma chambrée dans un quart d’heure. Ce délai probablement accordé par le lieutenant T. nous a permis d’effacer toute trace suspecte. Comme quoi il n’y avait pas que de mauvais gradés. Les rapports du capitaine P. et du lieutenant T., un an plus tard au Tribunal militaire, m’ont confirmé leurs bonnes dispositions à mon égard. 

Le refus annoncé par lettre au Président de la République

Le 2 juillet 1957 

«Monsieur le Président de la République, 

Appelé à partir en Algérie pour participer à la guerre qui s’y prolonge depuis trois ans, je me trouve devant un cas de conscience en tant qu’éducateur épris des libertés humaines élémentaires et en tant que citoyen désireux de sauvegarder l’intégrité et l’honneur de la République Française. Depuis trois ans, notre pays ne cesse de s’enfoncer dans une lutte toujours plus meurtrière contre le peuple algérien. Un fossé s’est creusé entre l’Algérie et la France et risque de provoquer d’ici peu une rupture définitive. Les répercussions de cette guerre sur les plans moral, politique et économique, sont aussi néfastes pour l’Algérie que pour la France. En France toute la population laborieuse est menacée dans ses conquêtes sociales. Aux souffrances morales dues à l’envoi massif des jeunes français en Algérie s’ajoutent les privations, la misère croissante dues au blocage des salaires et à l’augmentation des prix et des impôts. Les institutions républicaines sont menacées dangereusement par des groupes factieux qui, au mépris de toute légalité, agissent avec toujours plus d’audace. En Algérie règne un climat de terreur qui ne fait qu’exaspérer les haines. Il n’y a plus trace de la moindre liberté démocratique. Des actes que la morale et les lois de guerre réprouvent jettent le discrédit sur la France. La politique poursuivie en Algérie est contraire à l’intérêt et à l’honneur de la France, elle est contraire à l’honneur de l’armée française, elle est lourde de menaces pour les institutions républicaines de notre pays.

Fermement attaché aux principes démocratiques qui devraient guider notre pays dans toutes ses actions, soucieux de l’honneur de notre armée et de la sauvegarde de notre démocratie pour laquelle je suis prêt à faire mon devoir de français, je ne puis accepter de participer sous quelque forme que ce soit à la guerre menée contre le peuple algérien qui, selon la Constitution de la République Française, devrait accéder à la liberté de s’administrer lui-même et de gérer démocratiquement ses propres affaires.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président de la République, mes sentiments les plus respectueux.» 

Claude Despretz 

Emmené de Mourmelon en jeep par le capitaine M. (un brave homme, ancien résistant), on m’a mis au secret dans une cellule de la prison réglementaire de la caserne Chanzy de Châlons, celle des tracts et des inscriptions. Mon courrier devait passer par les autorités militaires. Ces dernières étaient étonnées que je n’écrive pas beaucoup. Et pour cause! C’était Michel D. qui avait organisé le passage de l’essentiel de mon courrier par ses mains pour aller le poster en ville. Notre petite organisation n’était pas morte.

J’étais accusé d’avoir refusé, après trois ordres successifs du Commandant, de monter dans une jeep. Drôle d’euphémisme pour qualifier mon refus de faire la guerre au peuple algérien. On m’a sorti de ma cellule régimentaire le 25 juillet 1957 pour me transférer et m’in- carcérer à la prison du Cambout à Metz. Je fus condamné à deux ans de prison par le Tribunal militaire de Metz le 19 juin 1958. A la barre je fis cette déclaration: 

«C’est une lettre que j’ai adressée en juillet 1957 à Monsieur le Président de la République qui est à l’origine de mon emprisonnement. Un an est passé depuis lors. 

Et aujourd’hui, lorsque je reprends un à un les termes de cette lettre, il me semble que mes prévisions étaient justes. Nous aborderons bientôt la cinquième année de guerre contre le peuple algérien, et la situation est en- core plus grave qu’il y a un an. Je ne pense pas que le fossé se comble entre l’Algérie et la France. Je ne suis pas seul à croire que les Algériens ne poseront pas les armes sans discussion. Alors, quelle peut-être l’issue de cette guerre? En tant que citoyen français, je ne pouvais rester indifférent à un tel problème. Et je ne vois d’autre issue que la négociation avec ceux contre qui nous combattons. Ce n’est pas seulement par un raisonnement logique que j’en arrive à préconiser la paix et la satisfaction des revendications légitimes du peuple algérien. C’est aussi du fond du coeur que je suis en accord avec un peuple qui va vers le progrès et les Algériens, je pense, veulent aller vers le progrès.

Sur les bancs de l’école primaire déjà on m’expliquait la signification des mots: Liberté, Egalité, Fraternité. Ces mots, s’il ne signifient plus grand chose pour certains, ont encore un sens pour beaucoup, pour la majorité des Français. Pour moi, aujourd’hui, liberté d’une nation, liberté d’un homme, égalité entre les races, fraternité entre les peuples sont des valeurs qui guident mes actions. Ces trois mots qui sont la devise de notre République n’ont-ils pas été l’expression du grand mouvement du peuple français contre l’oppression? N’ont- ils pas été également la devise de notre vaillante armée qui a défendu notre jeune République contre la horde des armées étrangères? Mais aujourd’hui ces trois mots, pouvons-nous les donner comme devise à notre armée en Algérie? Le général de Bollardière déclarait en 1957: «il y a danger à perdre de vue les valeurs morales qui, seules, ont fait jusqu’à maintenant la grandeur de notre civilisation et de notre armée.»

Or, en Algérie, nous nous sommes rendus coupables d’actes que la morale et les lois de la guerre réprouvent. Quand je pense à Djamila Bouhired qui a subit les sévices les plus dégradants, quand je pense au professeur Audin, père de trois petits enfants, qui a été abattu après avoir été torturé, quand je pense aux centaines d’Algériens qui sont morts sous les tortures, ma conscience d’homme, ma conscience de soldat crie non à cette guerre. Des camarades qui ont été là-bas m’ont raconté des choses auxquelles on a peine à croire. Et pourtant, il faut se rendre à l’évidence, chaque jour amène un nouveau cortège d’injustices et d’atrocités. Je disais aussi dans ma lettre au Président de la République que la politique poursuivie en Algérie était lourde de menaces pour les institutions républicaines de notre pays. Ce qui s’est passé le 13 mai à Alger, je l’ai compris comme une première étape de la lutte anti-républicaine. Ce qui s’est passé à Ajaccio à la Pentecôte a été pour moi la confirmation du danger qui menaçait notre République. Ce qui s’est passé ensuite ne m’a pas rassuré.

Je suis persuadé qu’actuellement nous ne respectons pas la volonté populaire. Le peuple français aspire à la paix, il aspire à une aire plus heureuse. Mais nous n’avons pas pris ce chemin... J’ai toujours été un ami sincère de la paix et cet idéal de paix cher au cœur de centaines de millions d’hommes, j’estime qu’il vaut d’être préservé. J’ai choisi pour métier de former des jeunes physiquement et moralement. J’ai choisi de rester fidèle à toutes les nobles traditions de notre Université. Que pourrais-je dire plus tard à mes élèves si j’accepte aujourd’hui de tuer pour asservir un peuple? 

Que pourrais-je leur dire si j’accepte aujourd’hui de prêter main forte à ceux qui veulent enchaîner notre propre peuple? Pourrais-je leur parler de civilisation, de valeurs hautement morales que chacun d’entre nous se doit de préserver? Je ne crois pas. 

On m’a toujours appris que l’exemple était le meilleur enseignement. Je ne veux pas donner à mes élèves l’exemple d’un homme qui renie les valeurs morales élémentaires, je ne veux pas leur donner l’exemple d’un citoyen qui abandonne la République. En tant qu’éducateur, je ne puis accepter de participer à la guerre d’Algérie. Je voudrais terminer en citant un poème de Pierre Emmanuel à la gloire des Résistants français: 

Des hommes
Ont su mourir
Pour demeurer des hommes
Par-dessus les épaules
De leurs tueurs
Ils voyaient leur maison,
Leur femme
Leurs moissons
Leur pays d’arbres et de fleurs
Et pour ne pas crier
Ils enfonçaient les ongles dans l’azur

En Algérie aussi des hommes ont su mourir et continuent à mourir pour demeurer des hommes. Ce qui me serre le cœur c’est que là-bas, ce sont des soldats français qui doivent combattre de tels hommes. Tout mon être dit non à cette guerre... Je suis prêt à défendre l’indépendance de mon pays, je suis prêt à lutter de toutes mes forces pour sauver notre République. Mais en tant que citoyen d’une nation qui se veut libre et démocratique, en tant que soldat d’une armée républicaine, je ne puis accepter de faire la guerre à un peuple qui lutte pour sa liberté».

Témoignages

Monsieur Jean Garraud, professeur d’éducation physique et sportive au lycée Henri IV: «J’étais en Algérie quand Claude écrivit sa lettre. J’ai éprouvé un très grand respect quand j’ai appris son geste... Il avait osé dire ce que de nombreux soldats pensaient». 

Monsieur Mascret, professeur d’éducation physique à Lille: «J’ai connu Despretz, ses opinions ne sont pas les miennes. Son affaire a soulevé une profonde émotion malgré certaines controverses. Nous comprenons son cas de conscience». 

Monsieur Yvon Adam, professeur d’éducation physique à Lille: «Il y a eu à son égard un réflexe de solidarité. Les enseignants ont regardé avec respect le geste de Claude Despretz». 

Monsieur Michel Meynkens, conseiller municipal de Lens: «Claude pouvait-il aller, après avoir tant défendu la paix, à l’encontre de sa conscience». 

Monsieur l’abbé Boulier, professeur de droit international à l’Institut Catholique: «Je viens attester du désarroi des consciences devant le drame algérien. Nos soldats n’auront-ils pas à répondre un jour devant la justice humaine ? Tous les jours l’armée française viole la convention de Genève... Des soldats comme Claude Despretz, en mettant paix au-dessus de guerre, préparent la paix de demain.». 

Les avocats ont su montrer qu’on ne pouvait juger ce «refus d’obéissance» en faisant abstraction des sentiments qui animaient Claude Despretz et des circonstances dans lesquelles il se trouvait placé.

Maître Davidson: «Nous ne pouvons pas dissocier l’acte de l’homme; vous n’avez pas à juger un voyou. Il n’a pas refusé de servir la France, dernièrement encore, il s’est offert pour défendre les institutions répu- blicaines. Peut-on lui reprocher de s’être laissé conduire par sa conscience et non par son intérêt». 

Maître Gadell: «Ce n’est pas un banal refus d’obéissance que le tribunal a à juger, lui aussi selon sa conscience. D’autres que les communistes pensent qu’il y aurait d’autres solutions en Algérie. C’est l’histoire qui finalement les jugera.» Il demande au tribunal «de descendre très bas dans l’échelle des peines encourues par Claude Despretz», après avoir au passage exalté sa noblesse de caractère. 

Maître Braun: «Il s’agit du drame de notre époque... Claude Despretz a des mobiles qui ne sont discutables par personne. Son action est en harmonie avec ses pensées, rien de cela n’a pesé dans le réquisitoire (...)
Nous sommes en présence du procès du paradoxe...
Le refus d’obéissance vient de connaître un exemple fameux. Contre les généraux d’Alger aucune poursuite n’a été engagée, mais ils viennent d’être promus aux postes les plus élevés (...). Il arrive des époques ou né- cessairement un conflit se présente entre l’obéissance et le devoir...
À ces moments la vie impose un choix.
Claude Despretz est resté fidèle à son peuple, partagez sa fidélité».

Deux ans de prison

Après quinze minutes de délibération, à la majorité, le tribunal condamnait Claude Despretz à deux ans de prison. Le verdict est accueilli par sa femme, par sa maman, par son frère, par ses amis, avec des larmes plein les yeux, mais aussi avec la décision de lutter, d’expliquer jusqu’à sa libération, les raisons de ce «refus d’obéissance» et le poids de ce verdict. 

Durant mes deux ans de prison à Metz, Fresnes et Laval, j’ai pu rester en contact, par courrier censuré, avec plusieurs de mes camarades soldats: Maurice B., Jean C. (soldat du refus), Michel D., Jean G., Michel J., Léandre L. (soldat du refus), Alban L. (soldat du refus), Fernand M. (soldat du refus). J’ai reçu des centaines de lettres de parents, de camarades, d’amis. Le parti communiste, le Secours Populaire, l’Union des femmes françaises, la Jeunesse communiste, la CGT, la Fédération Sportive et Gymnique du Travail, des centaines d’étudiants et de professeurs d’éducation physique m’ont entouré de leur solidarité. 

Je cite, dans l’ordre alphabétique, les enseignants d’éducation physique qui m’ont écrit. Certains m’ont envoyé plus de trente lettres. Une dizaine d’entre eux se sont démenés en permanence, pendant deux ans, pour développer la solidarité à mon égard. J’espère ne pas en oublier dans la liste qui suit: Yvon A., Marcel B., Jacqueline B., Alain B., André B., René B., Raymond C., René D., Marcel D., J. F., Jean G., Jean G., René L., M., Robert M., René M., P., Camille R., Claude S., Hubert T.,G. T., G. V. et trois dont je n’ai pas retrouvé les noms: un de Douala, un de Toulouse et un de troisième année à l’ENSEP. Par contre, la direction nationale du SNEP n’a jamais fait le moindre geste en ma faveur. Seule la régionale du SNEP de Lille a délégué son secrétaire. Robert M., comme témoin de moralité à mon procès.

J’ai toujours eu aussi à mes côtés ma compagne Jacqueline. Elle m’a rendu de nombreuses visites derrière les doubles grilles de mes prisons successives: Metz, Fresnes, Laval. Elle a fait de multiples démarches auprès de personnalités, d’organisations politiques, syndicales, de masse, de solidarité. Le SNES et la FEN sont toujours restés muets.

Elle dut comparaître devant le Tribunal correctionnel de Paris le 8 juillet 1959, pour l’article ci-dessous, paru dans «Heures Claires» le 21 juin 1958. Elle était accusée d’avoir «adressé des provocations à des militaires dans le but de les détourner de leurs devoirs». Jacqueline fut relaxée.

Jacqueline 

«Heures Claires», 21 juin 1958

Cette guerre qui détruit tout ce que nous aimons ! 

« Chères amies, 

Lectrice fidèle d’Heures claires, je suis chaque semaine avec émotion votre rubrique «Mamans de soldats, vous avez la parole». J’ai lu dans le dernier numéro l’article de la famille d’Alban Liechti. Je connais la maman de ce garçon, je l’ai rencontrée dans plusieurs assemblées pour la libération de son fils et des autres jeunes soldats emprisonnés pour le même motif. Nous avons parlé toutes deux dans une réunion organisée à Fécamp par le Secours Populaire Français. Je veux, moi aussi, qu’on arrête cette guerre qui détruit tout ce que nous aimons. Dans ma famille, il y a trois soldats. Un cousin est au Maroc, il devait être libéré en mai et il a été maintenu en dépit des promesses. Le départ pour l’Algérie guette mon frère. Enfin, je suis la compagne de Claude Despretz, qui a suivi l’exemple d’Alban Liechti, et qui doit être jugé le 19 juin à Metz. Claude avait fait près d’un an de service à Châlons-sur-Marne, quand, en juin 1957, il est venu pour la dernière fois me voir à Fécamp où sa maman et son jeune frère étaient venus nous rejoindre. Il avait une permission de 8 jours qui devait précéder le grand départ. Nous n’avions pas le cœur gai, malgré l’atmosphère de vacances qui régnait déjà dans cette ville située au bord de la mer. Nous avons fait une promenade à Etretat, mais nous songions à des choses trop graves pour profiter du ciel bleu, de la mer et de la fa- laise. Après ces journées passées ensemble, ce serait ou le départ pour une sale guerre qui nous révoltait, ou la prison.

Revenu à son corps le 2 juillet, Claude écrivait au Président de la République une lettre où il expliquait qu’il ne pouvait accepter de participer à une guerre qu’il jugeait injuste, souillée de crimes, contraire aux intérêts du peuple français et aux principes démocratiques inscrits dans la Constitution, et dangereuse pour la République. On l’a aussitôt enfermé à la prison militaire de Metz où il se trouve aujourd’hui. 

Je suis prête à faire tout mon devoir pour défendre nos institutions démocratiques. Un an de prévention n’a pas entamé son moral. Il a conscience d’avoir exprimé dans sa lettre les sentiments de beaucoup de ses camarades. Soldat de la République, il a continué à servir la cause de la paix et de la fraternité des peuples pour laquelle il avait lutté avant son service militaire. Il ne refuse pas de servir son pays. Sachant que les institutions républicaines étaient menacées par des groupes factieux, il a écrit récemment une seconde lettre au Président de la République : «résolument opposé à la guerre d’Algérie et solidaire de mes vingt-et-un camarades emprisonnés là-bas parce qu’ils ont refusé de porter les armes contre un peuple en lutte pour son indépendance, je veux vous réaffirmer, Monsieur le Président de la République, que je suis prêt à faire tout mon devoir pour défendre nos institutions démocratiques. Je vous demande donc de me permettre de prendre part, sur le sol national, à la lutte contre le fascisme».

Il sourit toujours, mais est-ce à dire qu’il est heureux? Ce qui l’a aidé à garder toujours son sourire derrière les grilles, ce sont aussi les innombrables marques de sympathie, de solidarité, les approbations chaleureuses reçues de ses collègues enseignants, des travailleurs, des mères de famille, des jeunes qui lui ont écrit qui ont demandé son acquittement, qui nous ont aidés matériellement, ce qui me permet d’aller le voir souvent, de lui envoyer des livres, et d’améliorer la pitance de la prison.

Nous nous voyons quelques instants à travers les grilles du parloir, et je ne peux venir toutes les semaines, car de Fécamp à Metz, il y a 600 km, les communications ne sont pas très directes. Nous avons une petite fille, Claudine. Ne pas voir grandir cette enfant, être un inconnu pour elle, est une des choses dont il souffre le plus. Je ne peux faire souvent ces voyages longs et compliqués avec une enfant si jeune. Au mois d’août, la maman de Claude, son jeune frère, Claudine et moi, nous avons campé trois semaines à Metz et il a pu la voir ainsi plusieurs fois. Puis il a attendu jus- qu’aux vacances de Pâques pour la revoir. 

J’ai trouvé à Fécamp des amis dévoués qui gardent ma petite fille quand je pars pour Metz. Ces offres spontanées nous touchent d’autant plus qu’elles viennent de familles où les soucis et les charges ne manquent pas. À Metz également, je suis reçue à bras ouverts ainsi que dans toute la région, à Hagondange, à Amnéville, à Auboué. J’envoie à Claude des photos de Claudine. Je dois lui raconter dans mes lettres et pendant les visites tous ses progrès, toutes ses espiègleries. Je lui envoie des gribouillages qu’elle fait. Et lui, faute de pouvoir l’embrasser et la choyer chaque jour, comme font tous les papas, il lui a fabriqué des jouets avec du carton, du papier, tout ce qu’il a sous la main.

Le verdict dépend beaucoup de l’action publique. En prison, Claude s’est lié d’amitié avec Louis Guillermet et Guy Fauré, fils de martyrs qui ont refusé de servir sous un général hitlérien. Ils travaillaient ensemble à la bibliothèque de la prison, ils se retrouvaient aux «promenades» dans la cour. Aujourd’hui, ses deux camarades étant heureusement remis en liberté, les seuls compagnons de Claude sont les livres, les lettres des amis, et les images de Claudine sur le mur de sa cellule. Pas de journaux démocratiques, on peut presque dire pas de journaux du tout, car seuls Paris Match et l’Equipe ont droit de cité au Cambout. 

Le 19 juin, le Tribunal permanent des forces armées de Metz va juger Claude pour «refus d’obéissance». Son avocat est Maître Braun, qui fut privé arbitrairement de sa liberté par les factieux d’Alger. Le verdict dépend beaucoup de l’action de l’opinion publique. En Algérie, les camarades de Claude ont été condamnés à deux ans de prison, et même à trois pour ceux qui étaient accusés faussement de désertion. Mais Jean Clavel, jugé à Lyon, et entouré d’un puissant mouvement de solidarité, a été condamné à trois mois. Le crime de Claude et de ses camarades est d’avoir osé faire entendre la protestation indignée des soldats contre la guerre d’Algérie, et d’avoir montré l’honnête visage de notre jeunesse qu’on a voulu rendre complice et victime de cette guerre. Pour défendre leurs grands fils, leurs frères, leurs maris menacés d’être broyés physiquement et moralement, les femmes défendront aussi Claude, elles demanderont son acquittement.

Recevez, chères amies, mes salutations amicales. 

Jacqueline Descombey, professeur de lettres au collège de jeunes filles de Fécamp, 76 rue du général Lagrue, Fécamp (Seine Maritime).» 

Décembre 1959

Opération prévue: arrêter des hommes de l’A.L.N. ou à leur service, à Ouzir. C’est le village d’où venaient les corvéables chargés de creuser la canalisation à la sortie de notre camp à Tizi Iril. Comme d’habitude, notre section est arrivée en retard sur l’horaire prévu, d’autant plus qu’étant «sensible des pieds» il a fallu me faire traverser l’oued à dos d’homme. A notre arrivée, pas un homme valide dans le village. Ils avaient eu le temps d’aller vaquer à leurs habituelles occupations. Pas question, pour nous, de fouiller les misérables gourbis où vivaient des familles nombreuses. La photo d’une famille montre, à elle seule, les «bienfaits» apportés par cent trente ans de colonisation. Cette équipe était soudée. Nous n’avions des difficultés qu’avec un maréchal des logis engagé. Nous le surnommions Pyjama. Il avait une peur panique d’être «accroché» par des patriotes algériens armés, des fells. Malgré de nombreuses discussions, et même, en cours d’opération, une correction physique, peut-être inopportune, il n’a jamais collaboré avec nous. Ce sera la cause d’un drame évoqué ci-dessous. Nous avions aussi quelques petits problèmes avec un harki mais il a fini par s’intégrer, tout au moins passivement, dans notre équipe.

Durant mon séjour à Tizi Iril, il y a eu un incidents et deux accidents dont un très grave. J’étais présent lors de l’incident, mais pas lors des accidents. 

L’incident: lors d’une patrouille de jour, le lieutenant engagé C. s’est mis à importuner une jeune Algérienne. Cela n’a guère duré. Après un court face à face, sans paroles, il a cessé son manège. 

L’accident le moins grave, toujours lors d’une patrouille de jour à laquelle je ne participais pas : rencontre avec des patriotes algériens. Tous se sont éclipsés sauf un. J’ai pu entrer en contact, en tête à tête, avec ce prisonnier après son arrivée au camp. Je n’ai pas compris pourquoi il ne s’était pas enfui avec ses camarades. Il nous connaissait, nos chemins se croisaient mais jamais avec rencontre comme ce jour-là. Aucunement maltraité à Tizi Iril, ce prisonnier a malheureusement été transféré à Blida. Je n’ai pas su ce qu’il est devenu.

L’accident le plus grave: la mort de notre camarade Henri B. Il partageait dans notre chambrée, avec moi, un lit à double étage. Henri, lors d’une embuscade de nuit, dont je ne faisais pas partie, a été tué par le maréchal des logis Pyjama. Nous avions l’habitude de ne pas être silencieux en embuscade de nuit. D’autre part, nous nous relevions, si possible avant l’heure prévue, en nous annonçant à voix haute. Henri s’est relevé et a été tué debout par Pyjama. Ce dernier a dit qu’il croyait que c’était un fell. Même dans ce cas, son geste n’était pas pardonnable. Pyjama n’est pas resté longtemps à Tizi Iril, cela valait d’ailleurs mieux pour lui. 

L’équipe, un jour que j’étais de garde dans une tour de notre camp, a refusé de partir en patrouille de jour. Pour ce faire, mes camarades s’appuyaient sur leur droit au repos. Le capitaine H. a failli, comme on dit, «péter les plombs». J’assistais à la scène à quelques mètres de distance. A un moment, le capitaine a proféré des menaces avec son arme. Mais il s’est calmé presque aussitôt. Nous étions tous armés.

Nous ne croisions, en montagne, que de braves Algériennes et Algériens. Les femmes étaient toutes pieds nus, même en hiver. Une nuit, lors d’une patrouille, nous n’avons rencontré que des mules. Cette nuit nous jetions de temps en temps des pierres et certains d’entre nous étions pris de quint de toux. Voilà qu’à un moment donné d’autres promeneurs se mirent à tousser. Puis, nous nous sommes retrouvés nez à nez avec des mules. Elles ne se promenaient certainement pas seules la nuit, et ce n’était pas elles qui toussaient. Nous avons été «félicités» à notre retour au camp. 

Peut de temps avant mon retour en France, prévu à la naissance de ma seconde fille, Michèle, on me «proposa» de terminer mon séjour comme chauffeur du commando de chasse. Le lieutenant C., chargé de me faire cette «aimable proposition», m’a dit qu’on me soupçonnait d’avoir des relations avec la population algérienne et que j’étais la cause d’une mauvaise «moralité» sur le piton. J’ai écrit immédiatement une lettre au colonel du régiment disant que, vu mon état physique et moral, vu mon départ très proche du régiment, vu surtout que le commando de chasse était formé sur la base du volontariat, il ne m’était pas possible d’accepter cette proposition.

On me laissa sur le piton avec mes camarades. Voilà résumé en quelques faits mon séjour en Algérie. 

On pourrai me demander si je n’avais pas connu de tortionnaires. Si, j’en ai connu deux: un harki à la Chiffa ayant participé à des massacres, un adjudant de carrière spécialiste des interrogatoires à Blida. Ils ont été tous les deux exécutés en novembre ou décembre 1959. 

Le 20 avril 1960, à la naissance de ma fille Michèle, je revins en France. Affecté à la caserne Richepanse de Rouen, la fameuse caserne où les rappelés avaient résisté plusieurs jours à leur envoi en Algérie, j’ai fait de nouvelles connaissances. Je retrouvais, dans cette caserne, un collègue professeur d’éducation physique de ma promotion, le maréchal des logis Jean-Pierre M. 

J’ai fais aussi la connaissance d’un camarade docker,
M. et d’un camarade ouvrier, B. Nous décidions, tous les quatre, début juin 1960, de saluer une réunion nationale du Mouvement de la paix par un texte signé par une trentaine de militaires de la caserne Richepanse.
Ce texte fut publié, sans les signatures, par un journal «anti-national» selon le rapport militaire. Je n’ai pas retrouvé copie de ce texte avec les signatures mais il devrait être dans les archives du Mouvement de la paix. 

Dès que l’affaire a éclaté, le capitaine S. nous a mis tous les quatre séparément à l’ombre. Quelqu’un donc nous avait dénoncés. Mon camarade professeur d’éducation physique fut mis aux arrêts et dégradé, mes camarades M. et B. et moi, à la prison régimentaire. On m’a trans- féré à la prison d’Amiens. 

L’autorité militaire a envisagé, un moment, de me traduire de nouveau devant un tribunal militaire. En haut lieu, on en jugea autrement. On peut penser que ce changement avait deux causes, la première c’est qu’ils n’auraient pas pu me traduire seul devant le tribunal mais qu’il fallait faire comparaître les quatre, la deuxième que l’affaire risquait de ne pas tourner à l’avantage du pouvoir dans l’opinion publique.

Claude Despretz maintenu en prison régimentaire à Amiens 

Le Travailleur de la Somme. 9 juillet 1960 

Le jeune soldat Claude Despretz, originaire du Pas-de-Calais, dont on se rappelle que comme René Boyer et tant d’autres, il fut condamné à deux ans de prison pour son opposition à la guerre d’Algérie, est depuis le jeudi 10 juin maintenu à la prison régimentaire de la caserne Friand à Amiens. Pourtant, Claude Despretz, depuis cette date, était libérable ! En effet, outre ses deux années de prison, il a accompli la totalité de son service militaire dont huit mois en Algérie (marié, il est père de deux enfants). 

Que s’est-il passé pour qu’on ne le libère point régulièrement? 

Au congrès de la paix, qui devait de tenir le 12 juin à Paris et qui, suite à l’intervention du gouvernement, s’est limité à un conseil national élargi, a été lu un message signé de 27 soldats cantonnés à Rouen. Message qui disait l’espoir des signataires d’une paix prochaine, par une loyale application de l’autodétermination en Algérie. Un texte qu’en fait de Gaulle lui- même aurait pu signer. Bien entendu, l’autorité militaire ignore les noms des signataires et des auteurs du texte. Cependant, se basant sur la précédente condamnation, sans aucune preuve, le capitaine de Claude Despretz lui octroya huit jours de prison régimentaire, peine que le lieutenant-colonel du 406 à Amiens -dont dépend le détachement de Rouen- porta à 15 jours. Sans préjudice, dit-il, des poursuites qui peuvent s’en suivre, pour atteinte au règlement militaire (la même peine est infligée à deux autres soldats).

La peine infligée, la veille de la «quille», Claude Despretz fut mis en prison au lieu d’être régulièrement rendu à sa compagne et à ses deux enfants, la plus jeune ayant moins de trois mois. Immédiatement, les organisations démocratiques rouennaises ont envoyé des délégations pour exiger la libération de Claude Despretz et de ses camarades punis sans aucune preuve de ce qui leur est reproché. Encore que le fait de souhaiter la paix, sur la base de l’autodétermination, est celui de l’immense majorité de la population. C’est donc une mesure arbitraire qui est prise à l’encontre de Claude Despretz. Les républicains ne sauraient demeurer insensibles à cette atteinte grave à la liberté, contraire aux élémentaires principes des droits de l’Homme et du citoyen. Despretz doit être immédiatement libéré!

Enfin, la libération

Je retrouve la vie civile le 23 juillet 1960, après quatre ans et trois semaines de «bons» services en tant que deuxième classe. J’ai connu des dizaines de soldats qui peuvent garder la tête haute devant l’histoire de la sale guerre d’Algérie. C’étaient de bons soldats!

Le calvaire de Lucien

La torture est pratique courante dans le bagne militaire de Timfouchi. Claude Despretz parle de la souffrance de ses camarades, dans un article publié dans «L’Humanité» du vendredi 17 novembre 2000. 

J'ai déjà évoqué dans un article paru le 1er septembre dans Liberté, hebdomadaire communiste du Pas-de-Calais, ce qu'avait été Timfouchi, ce bagne militaire du Sud algérien où sont passés cinq soldats du refus de la guerre d'Algérie: Jean Clavel, Voltaire Develay, Lucien Fontenel, Paul Lefebvre et Marc Sagnier. 

Nathalie, fille cadette de Lucien Fontenel, a rappelé, dans l'Humanité du 2 novembre, les séquelles irréversibles des mauvais traitements infligés à son père pour son refus de combattre un peuple en lutte pour son indépendance. Lucien nous a quittés en 1993. Il ne peut plus témoigner de ce qu'il a vécu. Restent ses écrits, restent ses deux compagnons survivants de Timfouchi, restent aussi, probablement, certains tortionnaires et leurs chefs qui l'ont maltraité avant, pendant et après son séjour à Timfouchi. 

Le 30 décembre 1958, Lucien Fontenel adressa au général de Gaulle une lettre lui annonçant son refus de combattre le peuple algérien. Dans les heures qui suivirent, il fut transféré de la prison du 5e régiment de dragons de Périgueux dans une autre cellule, non chauffée, d'une autre prison régimentaire de Bordeaux. Il y passa deux mois sans aucune couverture jusqu'à la mi février. Pendant ce séjour, Lucien était constamment relancé pour qu'il revienne sur son refus, mais il resta ferme sur sa décision. S'il vit encore, le général Lecoq, alors commandant de la 5e région militaire de Bordeaux, pourrait témoigner de ce harcèlement quotidien. Le 24 février 1959, Lucien fut conduit à la prison de la Légion étrangère à Marseille, et quelques heures après emmené de force sur le bateau Ville-d'Alger à destination d'Oran. De là, il fut transféré au 26e régiment de dragons à Kenasda, à une vingtaine de kilomètres de Colomb-Béchar.

Il vécut quelques jours de "bonnes manières": on lui proposa d'être soit serveur au mess des officiers, soit aide-soignant, soit responsable fourrier. Vu son refus, il y eut un changement brutal, on alla jusqu'à le menacer de mort. Qu'en sait le colonel commandant alors du 26e régiment de dragons? Lucien fut jeté dans l'obscurité totale d'un cachot, voisin d'un autre cachot où se trouvait un patriote algérien du FLN, Tid Jawi Julvecourt. Il connut un adoucissement grâce à un capitaine, du nom de Chauzenou, qui lui faisait parvenir clandestinement, la nuit, par un soldat, les colis que lui envoyait son épouse. Au printemps 1959, extrait de son cachot en même temps que le patriote du FLN, on leur dit qu'ils allaient être traduits tous les deux devant le tribunal militaire d'Alger. Mais, à peine embarqués dans l'avion, ils apprirent que ce n'était pas à Alger qu'ils allaient, mais au fort Fouchet de Timfouchi.

Ils y furent reçus par une bordée d'injures et un copieux matraquage. Ensuite, "boule à zéro" et, dès la coupe de cheveux terminée, la "pelote". Harnaché d'un sac à dos rempli de cailloux et de sable, Lucien a dû courir jusqu'à épuisement en plein soleil, "dopé" à coups de cravache par un "chef ". Ensuite, "réception" au "bureau d'accueil" où Lucien, à la demande d'un militaire, confirma son soutien au droit à l'indépendance du peuple algérien : immédiatement, volée de coups de poings et de cravache jusqu'à ce qu'il tombe inanimé. Il reprit connaissance parmi d'autres "disciplinaires" dans le blockhaus de la section noire. Le sergent-chef Desplanche pourrait certainement nous en dire davantage sur ce cérémonial d'accueil. Il pourrait aussi nous dire qui, un peu plus tard, a fait "bénéficier" Lucien d'une nouvelle volée de coups de poings et de cravache jusqu'à ce qu'il tombe inanimé sur le capot de la jeep du capitaine Guyon, commandant du bagne.

Dès son arrivée, Lucien eut droit aussi au "tombeau". Cela consistait à dormir, sans couverture, dans une fosse profonde de 50 centimètres creusée par lui-même. Il devint alors le disciplinaire matricule 6548. Comme tous les autres disciplinaires, il devait se soumettre à une discipline très particulière stipulant, entre autres : tout déplacement doit se faire au pas de gymnastique; tous les jeux sont interdits; pour parler à un gradé, le disciplinaire doit lui en demander la permission en le saluant; aucun commandement au disciplinaire ne se fait par la voix, mais par le sifflet, etc. 

À Timfouchi, les "cinq" du refus de la guerre d'Algérie côtoyèrent de jeunes patriotes algériens qui, au lieu de devenir des "malgré nous", avaient rejoint le FLN, et aussi des soldats qui s'étaient rebellés contre des gradés ou étaient entrés en conflit avec des autorités officielles. Ainsi, l'ancien ministre Pierre Messmer pourrait peut-être nous dire pourquoi Pierre Stien a eu droit à un séjour à Timfouchi. Quand on sait l'importance du courrier pour des prisonniers, il faut savoir aussi que celui-ci était censuré. À l'arrivée, le courrier pouvait même être détruit devant le disciplinaire sans qu'il puisse en prendre la moindre connaissance. L'adjudant Pierre Hebeyrotte doit savoir de quoi il s'agit.

Libéré de Timfouchi après y avoir passé dix mois, Lucien fit un court passage à Moghar-Foukania, puis fut muté à Sissitra où se trouvait le 2e régiment étranger parachutiste. Là, il fut "invité" un jour à aller voir les cadavres de combattants FLN tués dans un accrochage et livrés en pâture aux vautours. Mais alors qu'il était à quelques jours de sa libération définitive de l'armée, Lucien fut envoyé en opération à bord d'un Half Track (automitrailleuse à quatre affûts). Quatre Half Track partirent en reconnaissance sur un terrain très miné: trois sautèrent sur des mines, deux soldats trouvèrent la mort et plusieurs autres furent blessés. Le véhicule de Lucien fut le seul à éviter les mines.

Le lendemain de cette opération meurtrière, le capitaine Sicard rassembla l'escadron pour rendre hommage aux deux tués et aux blessés. Puis, s'adressant à Lucien, il lui dit: "Fontenel, vous êtes protégé par le Bon Dieu rouge, vous êtes indigne de porter l'uniforme de notre armée française." Lucien lui répondit courageusement: "C'est vous, mon capitaine, qui déshonorez l'armée française en conduisant une telle guerre contre un peuple qui mène courageusement un combat pour son indépendance." La réaction fut brutale. D'abord giflé, Lucien a dû se déshabiller entièrement. Il se retrouva en slip devant tout l'escadron au garde à vous. En guise de "libération", le capitaine lui annonça six mois de "rab" à la prison du 2e REP à Colomb-Béchar. Ses camarades de l'escadron lui firent parvenir une somme d'argent collectée entre eux et des provisions alimentaires. C'est le caporal Pierre Belluga qui, au cours d'une permission de nuit, à Colomb-Béchar, grâce à une certaine complicité, lui fit remettre argent et provisions. Cela remonta le moral de Lucien. Il débu- ta son "rab" dans une cellule étroite en compagnie de trois légionnaires : pour dormir sur une dalle en ciment, les quatre prisonniers étaient obligés de se mettre dos à dos.

Quelques heures après leur arrivée, Lucien et les trois autres prisonniers furent matraqués à coups de manche de pioche par le chef de prison, un ancien sous-officier nazi, recrue de choix de la Légion. Après sa période de cachot, Lucien rejoint une quarantaine de légionnaires dans une pièce où il était impossible, comme dans le cachot, aux quarante prisonniers de s'allonger à l'aise: il fallait là aussi dormir dos à dos. Le travail de ces forçats consistait à fabriquer des parpaings en ciment. Toutes les quatre heures, les prisonniers avaient droit à un quart d'heure de repos. Souvent, ce quart d'heure de repos était interrompu, à coups de manche de pioche, par l'ex sous-officier nazi. Lucien passa Noël 1960 dans ce lieu de tortures où l'armée française "dressait " ses bêtes de combat. Son calvaire dura quatre mois et demi. Il fut libéré quarante cinq jours avant les six mois prévus, grâce certainement à la lutte incessante menée en France en faveur des soldats du refus, en particulier par le Parti communiste français et le Secours populaire. Au cours de ses dernières heures passées sur le sol algérien, Lucien bénéficia de la sympathie agissante d'un militaire français chargé du rapatriement des libérables. Il revint en France en Caravelle. A peine descendu d'avion, Lucien fut frappé d'un fort malaise. Des médecins spécialistes lui apprirent qu'il souffrait d'un sérieux traumatisme crânien, suite aux coups reçus à Timfouchi et à la prison du 2e REP de la Légion. Il n'a jamais été reconnu invalide de guerre.

Claude Despretz, soldat du refus de la guerre d'Algérie. Le 13 novembre 2000.

L’engagement d’une vie

Claude continua, jusqu’à sa mort, à participer à de nombreux combats, comme en témoignent ses quelques billets ci-après, publiés dans le journal L’HUMANITÉ.

JEUDI, 26 MARS, 1992. L'HUMANITÉ

L’honneur du peuple américain 

Ayant lu dans «l'Huma» du 14 mars qu'un jeune Américain, caporal de réserve, avait été jugé pour «désertion» au moment de la guerre du Golfe, voici des extraits de la lettre que j'adresse au général Vermllyea: 

«En tant que soldat français ayant refusé, en 1957, la guerre colonialiste française en Algérie, je me permets de vous demander de reconnaître le bien-fondé de la position du soldat américain Tahan Jones, hostile à la guerre du Golfe. 

Cette guerre n'a résolu ni les problèmes du peuple du Koweit, ni ceux du peuple irakien. Elle a encore moins résolu ceux des peuples kurde et palestinien. 

Je vous prie de croire que je continuerai à soutenir tous les soldats américains qui ont sauvé l'honneur de leur peuple en refusant cette expédition militaire impérialiste (...)». 

Claude Despretz

MARDI, 7 AVRIL, 1992. L'HUMANITÉ

Quel jardin cultiver ?

(extraits) 

Le XXe siècle, malgré ses pages d'histoire honteuses, a connu et connaît des milliers d'hommes pour lesquels le patriotisme n'est pas le nationalisme mais l'internationalisme, pour lesquels l'ennemi n'est pas celui qui est de nationalité différente, mais celui qui appartient ou qui est au service de la classe exploiteuse. 

Il y a eu les soldats et les marins qui ont refusé de prendre les armes contre la révolution d'Octobre 1917. Il y a eu les soldats refusant de se mettre au service du capitalisme français en tant que gardes-chiourmes des ouvriers de la Ruhr en 1923. Il y a eu les soldats qui se sont dressés contre la sale guerre colonialiste d'Indochine (1946-54) puis ceux qui se sont dressés contre la sale guerre colonialiste d'Algérie (1954-62). 

Mon camarade Pierre, qui a fait crosse en l'air pendant la guerre d'Indochine, m'a écrit récemment: «J'abandonne les plaisirs et les contraintes du jardin... pour t'écrire. Aujourd'hui, je sors de l'armoire un livre de 1984... Le capitalisme quelle générosité!, par exemple avec son aide genre RMI... Alors maintenant il n'y a plus de colonies? Je me pose des questions (...).

Les événements à l'Est? Que reste-t-il de l'internationalisme des travailleurs? Côté internationalisme du capital, ça fonctionne assez bien... Il faudrait que je lise davantage, il faut encore apprendre... 

Je retourne à mon jardin, j'ai une petite inquiétude au sujet des arbres que j'avais plantés en 1983. Ils ne sont pas en bonne santé...» 

J'ai bien lu ta lettre, Pierre. Continuons ensemble à cultiver le jardin de l'internationalisme et de la fraternité entre tous les exploités et tous les peuples du monde. 

Claude Despretz 

JEUDI, 21 MAI, 1992 . L'HUMANITÉ 

Solidarité 

Le 18 mars dernier, j'adressais une lettre au général Vermellyea après avoir lu dans l'«Huma» qu'un jeune Américain, caporal de réserve, avait été jugé pour «désertion» au moment de la guerre du Golfe. 

La lettre que m'a adressée, en réponse, le lieutenant-colonel de l'US Marine Corps Bubsey semble confirmer que dans l'armée américaine il faut obéir avant de désobéir et qu'il est possible d'être objecteur de conscience en général mais pas en particulier, selon la nature d'une guerre. 

Cette subtile gymnastique spirituelle signifie probablement qu'un soldat américain n'a pas, en cas de guerre, à décider de son attitude en jugeant si cette guerre est juste ou injuste. C'est un langage semblable que l'on te- nait aux soldats français lors de la guerre d'Algérie. Mais l'objection de conscience en général était tout aussi interdite que l'objection sur cas spécifique de guerre. 

Aujourd'hui il est toujours interdit à un soldat de juger de la nature d'une action de la Défense dite nationale. Cet interdit repose sur la simple raison que cette Défense est au service de la classe au pouvoir, la classe des capitalistes. Il est d'autant plus interdit de juger d'une guerre si elle a la forte odeur du pétrole, ou de toute autre marchandise juteuse, pour ceux dont la raison d'être est la course au profit. 

La solidarité envers Tahan Jones et tous les soldats du monde qui refusent d'être les hommes de main du capitalisme est un devoir sacré pour tous ceux qui prétendent combattre l'impérialisme. 

Claude Despretz 

SAMEDI, 15 DÉCEMBRE, 2001. L'HUMANITÉ 

Le procès Aussaresses 

Le procès de l'officier Aussaresses, l'un parmi de nombreux autres tortionnaires, a amené de nouveau au premier plan la guerre d'Algérie (...) Les commanditaires des dirigeants de l'État, ces derniers étant commandi- taires de l'armée, auraient certainement préféré que ne revienne jamais en surface l'histoire de la sale guerre d'Algérie. Ils ont réussi, jusqu'à présent, à limiter le débat, pour l'essentiel, aux pratiques horribles de la guerre, en particulier les tortures. Ils ne veulent surtout pas en arriver aux causes et aux véritables responsables de cette guerre. Tabou sur le pillage des ressources d'un pays et sur l'exploitation inhumaine d'une main-d'œuvre taillable et corvéable à merci. Ils ne veulent pas non plus qu'on s'attarde sur l'instrument de la défense dite nationale, à savoir l'armée. 

Aussaresses n'a pas été jugé sur l'usage qu'il a fait de cet instrument, mais sur la publicité qu'il a faite sur les différents moyens d'utiliser l'instrument. Malheureusement, un certain nombre "d'opposants" à la guerre d'Algérie semblent s'en tenir à la condamnation des tortures. Ils en arrivent ainsi, qu'ils le veuillent ou non, à admettre que, sans tortures, la guerre d'Algérie n'aurait pas été condamnable. Aussaresses n'a pas été jugé pour crimes de guerre, puisque amnistiés par les lois gaullistes de 1962 et 1968 et les lois mitterrandiennes de 1982 et 1987. Ces lois n'amnistiaient que les faits qui, en défendant le colonialisme à papa, mettaient en cause les nouvelles formes impérialistes concoctées par de Gaulle.

Par contre, les soldats du refus de la guerre d'Algérie qui, dans leur quasi-totalité, tout en condamnant les exactions de la guerre, condamnaient radicalement le colonialisme, quelle qu'en soit la forme, ne bénéficient pas de ces lois (...) Il est vrai que les soldats du refus, contrairement aux "égarés" de l'OAS, mettaient en cause la nature de la défense dite nationale qui était, et qui est toujours, une arme impérialiste mettant en cause le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes (...) 

Claude Despretz 

LUNDI, 9 DÉCEMBRE, 2002. L'HUMANITÉ 

Silence 

J'ai pris connaissance du manifeste de Régis Schleicher, l'un des militants d'Action directe. L'Humanité, notamment dans son édition du 1er février 2001, a dénoncé leurs conditions de détention depuis quatorze ans. Vu le silence des médias et des autorités sur ce sujet, il serait très positif que la presse communiste informe à nouveau ses lecteurs sur ce que sont devenus les membres d'Action directe. Il serait humain d'exiger leur libération immédiate, sans attendre que la peine de sûreté de 18 ans de prison soit accomplie. 

Ce qu'écrit Schleicher, analyse rapide mais édifiante sur ce qui se passe en France et dans le monde, donne à réfléchir. 

Claude Despretz

JEUDI, 6 MARS, 2003. L'HUMANITE

Les Soldats du refus israéliens 

D'après des informations reçues par l'ACCA (Association des combattants de la cause anticolonialiste), cinq cents soldats et officiers israéliens auraient refusé de faire la guerre au peuple palestinien et dix-sept d'entre eux seraient en prison. Depuis plus de cinquante ans, cette guerre est jalonnée de crimes contre un peuple dépossédé de sa patrie. Le pouvoir français a mené, pendant cent trente ans, une politique de guerre et d'asser- vissement contre le peuple algérien. Mais l'histoire a prouvé que l'Algérie ne pouvait pas être française, pas plus que la Palestine ne pourra être israélienne (...). 

Claude Despretz 

SAMEDI, 14 OCTOBRE, 2006. L'HUMANITÉ 

Hostilité 

Je suis l'un des millions de Français opposés à la guerre contre l'Irak et partisans du veto français contre cette guerre. Il paraîtrait que des militaires français seraient actuellement vaccinés pour participer à des opérations à l'étranger. Si cela est vrai, le gouvernement français serait-il déjà prêt, sous la démission possible de l'ONU et les pressions permanentes de l'impérialisme prédateur américain, à renoncer à sa ferme opposition à la guerre contre l'Irak? 

J'ose espérer que non, et que même dans ce cas, l'hostilité populaire française à cette guerre, y compris dans l'armée, se renforcera encore. 

Claude Despretz

Le droit de savoir 

Quelques milliardaires dirigent le monde capitaliste et accumulent les profits en s'accaparant de la plus grande partie possible de la valeur du travail de ceux qu'ils exploitent. Seuls leurs gestionnaires les plus zélés et les plus hauts placés échappent à cette exploitation et en profitent. 

Par-dessus le marché, ils mettent parfois les services publics à leur service exclusif, par exemple l'école internationale de Manosque dans les Alpes-de-Haute-Provence. 

Cette école, qui va du primaire au secondaire, sera réservée aux enfants des hauts cadres de différentes nationalités, qui viendront exercer leurs talents à Caradache dans le domaine de l'énergie. 

Les écoles publiques, avec quelques aménagements, auraient pu et dû accueillir ces enfants. 

Les citoyens de notre région, dont les enfants n'auront pas accès à l'école internationale, ont le droit de savoir la position des élus du conseil général, du conseil régional et des deux députés du département au moment de la décision de construction de cette école et leur position actuelle.

Claude Despretz, Claude Suffit 

Hommage à Claude Despretz
et aux Soldats du refus par des amis et camarades

Toute sa vie, Claude est resté fidèle à ses convictions

Né en 1931, notre ami et camarade à passé sa première jeunesse au milieu des mines de potasse dans le Haut-Rhin où son père travaillait. Chassée d’Alsace en 1940 par les Nazis, sa famille doit se réfugier dans le Pas-de-Calais où il faut rechercher du travail et un logement dans des conditions difficiles. Après des études brillantes, il est nommé professeur d’éducation physique au collège Condorcet à Lens, recueillant la sympathie et l’estime de ses collègues et élèves. 

Devenu membre du comité départemental pour la solution pacifique des problèmes d’Afrique du Nord, il est déjà accusé en mai 1956 de «Participation à une manifestation non déclarée». 

Sursitaire, marié, père d’un enfant, Claude, en juin
1957 apprend son départ prochain pour l’Algérie. Le 2 juillet il écrit dans une lettre au Président de la République les raisons de son refus de participer à cette guerre coloniale. Enfermé à la prison de Metz, son procès a lieu le 19 juin 1958. Il est condamné à deux ans de prison ferme par le tribunal des forces armées de Metz pour s’être exprimé dans une lettre à Monsieur le Président de la République.

Toute sa vie, Claude est resté fidèle à ses convictions. Il a adhéré des sa constitution à l’ACCA et il était membre de son conseil national. Il a écrit plusieurs articles dans notre journal Agir Contre le Colonialisme Aujourd’hui. Il fut l’initiateur de la compagne de pétition, que notre association a organisée, pour soutenir les jeunes soldats israéliens qui refusaient de servir dans les territoires occupés de la Palestine et qui étaient emprisonnés eux-aussi. 

Malheureusement, Claude Despretz vient de nous quitter. A son grand regret, il ne pouvait plus lire ces dernières années. Il est décédé après une longue maladie qui l’a empêché ces derniers mois de continuer la lutte qu’il a menée toute sa vie pour le bonheur et la paix. 

La meilleure façon de lui rendre hommage est, je pense, de continuer tous ensemble son combat pour un monde de paix meilleur et plus juste. 

Au nom de notre association, nous assurons sa famille de nos sentiments solidaires, amicaux et affectueux. 

Alban Liechti 

Texte publié dans «agir» du mois d’avril 2008, bulletin édité par l’ACCA (Agir Contre Le Colonialisme Aujourd’hui) 

Adieu Claude !

Claude fut pour moi un véritable antidote, un revitalisant.

A mon retour définitif au Havre, j’étais quelque peu désemparé. C’était à quelques jours de Noël et je retrouvais ma Normandie, mon jardin, aussi triste que lors de ma venue en permission. 

L’état de santé de mon père s’était encore aggravé, le visage de ma mère montrait des signes évidents de fatigue. Malgré notre joie réciproque de nous retrouver, un sentiment de tristesse planait dans la maison. 

Dans la ville, je ne me sentais pas à l’aise, j’étais craintif, apeuré à la moindre pétarade d’une voiture. Une certaine nonchalance m’envahissait, y compris au bureau, à la mairie ou j’avais retrouvé mon emploi. Mes collègues et mes chefs ne m’ont fort heureusement pas tenu rigueur de cette attitude dont la durée n’a quand même pas été trop longue. 

Concernant les J.C. et le Parti, je ressentais les mêmes impressions que celles que j’avais connues neuf mois plus tôt durant ma «perm». 

Pas facile de refaire surface dans un tel contexte. 

Heureusement j’ai très vite rencontré Claude Despretz, qui peu de temps après mon retour est devenu le secrétaire de la fédération de Seine-Maritime des J.C. 

Je ne méconnaissais pas complètement ce camarade dont le geste courageux avait été popularisé et salué par «l’Avant-Garde» en 1957. 

En effet, Claude fut aussi un soldat du refus. Professeur d’éducation physique, à sa libération après quatre ans d’armée dont deux d’emprisonnement, il fut appelé à exercer son activité pédagogique à Montivilliers. 

Claude fut pour moi un véritable antidote, un revitalisant. Malgré ce qu’il avait dû vivre, il était d’un enthousiasme permanent, d’une gentillesse évidente et d’une conviction tranquille. Même s’il était bien quelques fois un peu fatiguant parce que toujours entreprenant et pressé alors que pour ma part j’étais du genre plutôt placide.

Nous avons milité ensemble près de cinq années durant jusqu’à notre départ des J.C., en 1965, et je l’ai beaucoup apprécié. 

Roland Ricouard 

Claude Despretz soldat du refus

Dans son édition du dimanche 9 mars 2008, le journal La Marseillaise publie un reportage sur les obsèques de Claude Despretz à Sisteron:

Claude nous a quittés à 76 ans après une longue maladie. Il avait effectué la plus grande partie de sa carrière d’enseignant d’Education Physique et Sportive au Lycée Paul Arène à Sisteron, puis dans l’organisation du sport scolaire des Alpes de Haute Provence et était très connu parmi les enseignants de l’Académie d’Aix-Marseille où, militant du SNEP-FSU (Syndicat National de l’Education Physique et Sportive de la Fédération Syndicale Unitaire), il était très estimé parmi les syndicalistes de l’Enseignement. 

Claude Despretz était également connu nationalement pour avoir été, en 1957, le second soldat du refus, ces jeunes communistes qui ont refusé de porter les armes contre le peuple algérien. Ayant écrit au Président de la République pour exprimer son geste, il a été immédiatement jeté en prison régimentaire et condamné par le Tribunal militaire. Les deux années de prison militaire qu’il a effectuées (augmentées de 15 jours pour avoir soutenu le mouvement de la paix pour l’Algérie!) n’ont en rien entamé sa combativité ; il deviendra au cours des années 70, un des principaux dirigeants de la Fédération PCF des Alpes de Haute-Provence.

Les obsèques civiles de Claude Despretz ont eu lieu le samedi 1er mars 2008 à Sisteron en présence de son épouse Jacqueline (qu’il avait épousée en prison), de ses 4 enfants de ses petits enfants et d’une assistance nombreuse attentive et recueillie. 

Après un émouvant hommage rendu à Claude par deux de ses enfants, celui des syndicalistes a été exprimé par Paul Pessemesse qui représentait le SNEP et la FSU. Il a chaleureusement parlé de Claude Despretz, militant dévoué et particulièrement à l’écoute des jeunes; il a rappelé les difficultés rencontrées par Claude pour faire reconnaitre ses droits à la retraite relativement à ses deux années de prison militaire. L’Association des Combattants de la Cause Anticoloniale (ACCA) était officiellement représentée par Jean Clavel et Alban Liechti. Celui-ci, le premier de cette jeunesse courageuse, rendant hommage à son camarade et à son action internationaliste contre les guerres coloniales, a notamment rappelé, que Claude Despretz est à l’origine d’une campagne de soutien aux Soldats du Refus Israéliens, qui préfèrent la prison à la répression contre les populations palestiniennes, dans les territoires occupés par Israel.

Marcel Debelley, évoquant les 25 ans de militantisme qu’il a partagé avec Claude Despretz, a souligné sa lucidité politique et son attitude courageuse dans les années 80, qui lui ont valu d’être écarté de son Parti. Ses convictions communistes et son militantisme restés intacts, Claude devint alors le pilier de nombreuses organisations telles que l’ACCA, France-RDA ou le Comité de Solidarité Internationaliste.... 

Membre fondateur du bulletin trimestriel Regroupement Communiste, il en a été un des responsables et a participé à son comité de rédaction jusqu’en 2002. 

Claude Suffit, qui a milité avec Claude Despretz au sein de la Fédération PCF des Alpes de Haute-Provence a également souligné la clairvoyance politique de son ami et camarade. Il a exprimé son regret que Claude Despretz n’ait pas toujours été écouté et qu’il ait même été sanctionné en raison de ses positions.

Selon les derniers vœux de Claude, son fils Jean-Pierre Despretz a interprété l’Internationale, clôturant ainsi cette très émouvante cérémonie. 

La Marseillaise 

Dimanche 9 mars 2008

Détermination têtue et chaleur humaine

Après Maurice Lionnet, c’est maintenant Claude Despretz, notre ami, notre camarade qui nous quitte à son tour. 

Il nous faut lui dire adieu, et rappeler, pour l’essentiel, ce qu’il fut pour nous en syndicaliste militant et responsable 

D’autres personnes ont abordé, ou aborderont des aspects importants de sa vie, mais disons quelques mots sur son militantisme au sein du SNEP et de notre fédération. 

Je ne peux le faire sans commencer par rappeler certains traits de sa personnalité, je veux parler de son sens de l’humain sans lequel l’engagement militant ne vaudrait pas grand chose. Claude était ce mélange de détermination têtue, obstinée, pour défendre ses idées et les faire partager, et de chaleur humaine, d’attention constante aux autres.

Son débit de parole calme et mesuré lorsqu’il exposait son point de vue, le front plissé et les paupières masquent en partie son regard par l’extrême attention qu’il portait à ses propos dans un souci évident de clarté, allait de pair avec cette chaleur. La netteté de ses opinions, de ses propositions, n’altéraient en rien son attitude de grande humanité. Touts ceux qui on travaillé avec lui savaient son courage. 

Son refus d’aller combattre le peuple algérien, en lutte pour son indépendance, lui a valu deux années de prison avec tentative mesquine de ne pas lui compter ce temps lors de son départ à la retraite. 

Claude était, à l’évidence, un responsable et un militant syndicaliste de terrain, complètement engagé dans son métier et pour une éducation physique et sportive de qualité pour tous les élèves. Cette action, il l’intégrait dans le mouvement pour le progrès du service public d’enseignement, au service de la justice sociale et de la laïcité. Plus encore, Claude caractérisait ses interventions, lors des assemblées générales, des congrès ou des bureaux du SNEP, par son souci de ne jamais opposer les différentes catégories de personnels, mais bien au contraire par son effort pour intégrer nos luttes dans le vaste mouvement social et politique de notre société. Sa hauteur de vue, la finesse de ses analyses, allaient toujours dans ce sens, et c’est ainsi que défendant avec acharnement l’éducation physique et sportive à l’école, il apportait du même coup sa pierre à la transformation de la Fédération de l’Education Nationale qui deviendra la FSU.

Les anciens, la FSU, avec le SNEP veulent dire à Jacqueline, ses enfants et à toute leur famille que nous partageons leur peine et que nous saurons perpétuer la mémoire de Claude. 

Paul Pessemesse 

SNEP Académique (Alpes de Haute-Provence)

L’Histoire sans ombres
par trois soldats du refus à la guerre d’Algérie

De 1954 à 1962 l’opposition à l’intervention militaire en Algérie n’a pas cessé de progresser. 
Nombreux furent les jeunes appelés qui s’efforcèrent de se soustraire à une participation à ces combats. 
Certains multiplièrent les démarches pour obtenir un sursis d’incorporation. 
D’autres, cherchèrent des appuis pour effectuer leur service militaire en France métropolitaine ou en Allemagne. 

D’autres ne répondirent pas à «l’Appel sous les drapeaux». Il y eut environ 10 000 insoumis. Pour ceux-là, il fallait disparaître, se faire oublier et souvent se réfugier à l’étranger. 

Les archives militaires comptent 886 déserteurs (soldats qui quittent illégalement leur unité). Parfois au cours d’actions héroïques, comme celle de Noël Favelière, qui déserta en Algérie et emmena avec lui un pri- sonnier menacé d’exécution sommaire. D’autres encore comme Bernard Sigg ou Claude Vinci... Mais pour eux aussi, il fallait ensuite disparaître, se cacher.

Plusieurs centaines «d’objecteurs de conscience» furent aussi emprisonnés comme les Témoins de Jéhovah qui refusaient jusqu’au port de l’uniforme et d’autres militants chrétiens révoltés par les tortures et les exactions de l’armée. 

Pour les communistes, dont le parti fut le seul en tant que parti, dès 1954, à dénoncer la répression en Algérie, et militer pour les droits légitimes du peuple algérien, l’action collective était prioritaire, déterminante. Leur engagement fut constant dans les mouvements de protestation, contestations, manifestations de toute nature qui se succédèrent durant toute la guerre. 

Les communistes algériens étaient dans la lutte armée en Algérie. 

En France, les communistes français menaient le combat idéologique pour montrer l’absurdité, l’injustice de cette guerre car il était évident que l’on ne pourrait y mettre fin sans obtenir l’appui de l’opinion publique française. Pour ce faire, il fallait éviter à tout prix l’interdiction du PCF, de son journal et de tous ses moyens d’expression. Car la menace était réelle : en 1956 Michel Debré demandait que l’on mette le PC hors la loi.

Durant cette période la presse communiste fut censurée, poursuivie, saisie à de nombreuses reprises. L’Humanité fut l’objet de 150 poursuites et de lourdes condamnations. Elle fut saisie 27 fois. C’est dire que toutes les actions du PCF ne pouvaient être publiques, comme par exemple l’édition de bulletins, journaux, édités et distribués aux soldats dans la clandestinité. 

L’action privilégiait l’organisation de manifestations collectives comme avec les rappelés (plus de 200 manifestations d’avril à juillet 1956). 

En juillet 1956, le soldat Alban Liechti jeune communiste, adresse une lettre ouverte au Président de la République dans laquelle il motive son refus de combattre le peuple algérien. Arrêté, emprisonné, il est condamné à deux ans de prison par le tribunal militaires d’Alger. 

Il s’agit là d’une initiative personnelle, car les communistes privilégient toujours l’action collective. 

Le courant d’opposition à la guerre a marqué des points en France. Les gouvernements successifs, en difficulté sur les plans intérieur et international sont fragilisés et dans ces conditions, en septembre 1957, le Mouvement de la jeunesse communiste décide d’encourager de jeunes soldats à imiter Alban Liechti. Bien sûr, cette initiative ne peut être publique mais le comité central du PCF en est informé par Henri Martin. L’initiative est impulsée par la publication en première page de l’Humanité de la lettre de Léandre Letoquart, fils d’un député communiste du Pas-de-Calais et de la protestation contre son arrestation et son transfert en Algérie. 

Il avait été précédé en juillet par Claude Despretz et suivi de Fernand Marin, Jean Clavel, Francis Randa puis en janvier 1958 de Jean Vendart, Serge Magnien, Raphaël Grégoire et de plus de 40 soldats. 

Bien sur, à chaque fois, il ne peut s’agir que d’initiatives individuelles, il faut éviter à tout prix l’implication du PCF au risque de conduire à son interdiction. La répression est sévère. Les premières inculpations visent une entreprise de démoralisation de l’armée en vue de poursuivre le PCF, mais les preuves manquent et cet argument sera abandonné. Les soldats seront le plus souvent condamnés à deux ans de prison par les tribunaux militaires pour refus d’obéissance. La protestation contre ces condamnations fut importante et donna lieu à des manifestations de soutien dans les localités, les entreprises d’où étaient originaires les soldats et aussi nationalement (voire même internationalement).

Elles furent aussi l’occasion pour de nouvelles personnes de s’engager contre la guerre à partir d’une démarche de solidarité avec les condamnés. D’ailleurs le pouvoir s’en inquiéta. Aussi fit-il tout son possible pour évi- ter les envois vers les tribunaux militaires en intensifiant les pressions, la répression avec l’affectation vers des régiments réputés disciplinaires parfois même, encourageant la désertion. Et puis, en utilisant les «sec- tions spéciales» comme le pénitencier d’Albertville en Savoie ou le bagne militaire de Timfouchi dans le sud algérien où l’on été «affecté» par décision ministérielle sans aucune décision de justice. Et pourtant, les conditions de détention étaient des plus difficiles et la survie aléatoire.

Après le coup de force d’Alger de mai 1958, le retour au pouvoir du général de Gaulle, l’espoir d’une paix rapide en Algérie s’éloigna et l’initiative de la Jeunesse Communiste de septembre 1957 pour donner un dernier coup de pouce au mouvement de protestation contre la guerre, bien qu’ayant contribué à son développement n’avait pas réussi à prendre toute l’ampleur nécessaire. C’est dans ce contexte que le secrétaire du PCF, Maurice Thorez, lors d’une conférence fédérale, le 31 mai 1959, indiqua que le rôle des communistes à l’armée, pour lutter contre la guerre ne consistait pas à se laisser isoler, mais de rester au milieu de leurs camarades, pour effectuer le travail de conviction nécessaire à faire avancer leurs idées. La justesse de cette attitude reçut d’ailleurs confirmation, deux années plus tard, lors du putsch des généraux qui échoua en grande partie grâce à l’opposition des militaires du contingent. 

Les jeunes communistes qui refusèrent de combattre en Algérie cumulèrent plus d’une centaine d’années de prison, de multiples brimades et mauvais traitements, dont certains ne se sont pas remis, et nous ont quitté prématurément. Tous les soldats condamnés à la prison, par les tribunaux militaires, durent en plus effectuer la totalité de leur service militaire. C’est ainsi qu’Alban Liechti, condamné condamné deux fois à deux ans de prison, mobilisé en mars 1056, ne retrouva la vie civile et la liberté qu’en mars 1962.

Pour tous, à ce jour, pas de reconnaissance officielle, aucune indemnisation, alors que les généraux putschistes et autres assassins de l’OAS sont maintenant promus, décorés et largement indemnisés (reconstitution de carrière) pour le manque à gagner durant leur clan- destinité. 

Alban Liechti, Jean Clavel, Raphaël Grégoire et Jean Vendart 

A l’épreuve de la guerre d’Algérie 

Les éditions Syllepse ont publié un livre, coordonné par Gérard Couturier, intitulé A l’épreuve de la guerre d’Algérie dans la collection Nouveaux Regards. 
Cette publication contient une vingtaine de témoignages de collègues de Claude Despretz, anciens élèves, comme lui, de l’ENSEP (Ecole normale supérieure de l’éducation physique) 
La préface est de Louis Weber: 

Aucun de ceux à qui l'épreuve de la guerre d'Algérie a été imposée n'en est sorti totalement indemne. Pour beaucoup, garder le silence a été et continue à être une façon de chercher à oublier. D'autres ont choisi de parler. Les textes publiés ici, avec les limites mais aussi l'intérêt que les historiens accordent aujourd'hui à tout témoignage, portent la trace des profondes déchirures de cette guerre qui ne voulait pas dire son nom. 

Certains de ces récits ont été écrits presque à chaud ou tout au moins à partir de notes rédigées au cours du séjour en Algérie. D'autres, comme l'indiquent leurs auteurs, ont été revus plus tard, à une époque où le souve- nir se faisait moins douloureux. Tous cependant relatent des faits et des attitudes trop peu connus encore. Quand, comme c'est le cas pour la torture, ils ne sont pas –de façon paradoxale– niés par les uns alors que d'autres, parfois ceux dont la culpabilité fut la plus écrasante, n'hésitent plus à en parler et parfois même à s'en glorifier.

Ces documents ont été respectés à la lettre, en y ajoutant quelquefois des notes estimées utiles pour les lecteurs d'aujourd'hui, près de cinquante ans après les événements relatés. 

De nombreux ouvrages donnent aujourd'hui une version des événements de ces années sombres, des précisions aussi, que la recherche historique permet de considérer comme avérées. 

L'objet de ce travail se voulait d'emblée plus modeste. Les auteurs sont des professeurs d'éducation physique et sportive appelés du contingent ou «rappelés» à partir de 1954. Nous tenions à ce que leurs témoignages soient connus du plus grand nombre. Avec la part de vérité, précieuse, qu'ils recèlent. Avec aussi ce qui est plus subjectif, en relation directe avec la façon toujours en partie singulière dont la guerre a été vécue par les individus.

Nous espérons ainsi apporter une petite pierre à une construction qui est loin d'être achevée: mieux faire connaître le vrai visage de cette guerre, les souffrances que le peuple algérien a endurées durant cette triste période de notre histoire nationale. Et, sans qu'il puisse être question d'une quelconque comparaison, les tourments, les refus et la honte, mais aussi les douloureux compromis de ceux qui ont été contraints d'y participer alors qu'ils avaient à peine plus de vingt ans et que tout en eux le refusait. 

Louis Weber 

Une «petite pierre» à la connaissance du vrai visage
de cette guerre d’Algérie

Cette publication se veut avant tout la réunion d’une vingtaine de témoignages de militants, anciens élèves de l’ENSEP (Ecole normale supérieure de l’éducation physique) pour la plupart d’affiliation ou du moins de sympathies communistes lors de la guerre d’Algérie. 

Leur sensibilité les rendait à-priori hostiles à la politique menée à partir de 1954. Quelques-uns ont milité contre la guerre d’Algérie en métropole. Certains ont fait partie des «soldats du refus». La plupart ont choisi de ne pas se dérober à leurs obligations militaires, et on ne peut dire que leur présence sur le terrain ait contribué à modifier leur vision. 

Ils purent découvrir d’abord la profonde misère des masses rurales algériennes. Ils eurent aussi tout loisir de constater des comportements allant de la simple brutalité au crime de guerre. 

De telles actions, pour n’être pas générales et n’être pas réservées à l’armée française, ne dénoncent pas moins de manière accablante l’indifférence des autorités et l’inanité d’une politique. 

La surveillance étroite de la sécurité militaire les empêche, sauf peut-être à l’occasion du putsch d’avril 1961, d’avoir une action autre que clandestine et aux effets limités. 

Leur mémoire n’est ni celle des officiers et des professionnels motivés, ni celle des Français d’Algérie ni, bien entendu, celle des civils algériens. Elle n’est pas non plus celle de la plupart des soldats du contingent, beaucoup plus indifférents à la politique. 

On les comprend aussi, même si cela est discrètement suggéré qu’elle ne saurait s’identifier davantage à celle des états-majors politiques, celui du PCF inclus. 

Avec beaucoup de retenue, les coordinateurs de l’ouvrage soulignent qu’ils n’entendent ici apporter autre chose qu’une «petite pierre» à la connaissance du vrai visage de cette guerre. S’ils n’ont rien renié de leurs engagements, ils évitent le ton sectaire qui a trop longtemps rendu peu intelligibles, en dehors des cercles immédiatement proches, les messages analogues aux leurs.

On aimerait que leur livre soit lu, non pas seulement par des lecteurs de sensibilité proche, mais aussi par d’honnêtes partisans de l’Algérie française, qui, sans se renier, y trouveront l’occasion de réfléchir. 

Jacques Frémeaux 

Éditions Syllepse - 69 rue des Rigoles - 75020 Paris Tel:0144620889 

http://www.syllepse.net 

Roland Ricouard a réalisé, le 26 février 2012, un recueil à la mémoire de son camarade, Claude Despretz et de l’ensemble des soldats du refus de la guerre d’Algérie, saluant leur action courageuse. 

Cet ouvrage, qui contient plusieurs photos d’archives, est publié sur internet. 

http://pcflehavre.free.fr/archives/2013/Claude_notre_Ami_et_Camarade.pdf

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