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Billet de blog 8 décembre 2025

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La tentative de pénalisation de l’appel au boycott des produits israéliens en échec

Fin de la saga Baldassi. La décision est passée quelque peu inaperçue, mais elle n’en demeure pas moins importante. Le 4 novembre 2025, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu un arrêt de rejet qui met un terme à la saga Baldassi, du nom de l’une des douze personnes poursuivies pénalement pour avoir appelé au boycott des produits israéliens dans des supermarchés en Alsace. Par Patrick Zahnd, professeur de droit international, et Ghislain Poissonnier, magistrat.

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La décision est passée quelque peu inaperçue, mais elle n’en demeure pas moins importante. Le 4 novembre 2025, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu un arrêt de rejet qui met un terme à la saga Baldassi, du nom de l’une des douze personnes poursuivies pénalement pour avoir appelé au boycott des produits israéliens dans des supermarchés en Alsace. 

L’arrêt du 4 novembre 2025 a rejeté le pourvoi formé par la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra), les associations Avocats sans frontières et France-Israël, le Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme et la Chambre de commerce France-Israël contre un arrêt de la cour d’appel de Paris du 14 mars 2024. Cet arrêt d’appel avait relaxé des militants boycotteurs du chef de provocation publique à la discrimination en raison de l'origine, l'ethnie, la nation, la race ou la religion. Il est désormais définitif.

Voilà l’honneur des défenseurs du droit international et de la justice dans le cadre du conflit israélo-palestinien rétabli. Pour bien comprendre la saga Baldassi, il faut cependant revenir en arrière. 

Tout commence au ministère de la Justice, où Michèle Alliot-Marie, alors Garde des Sceaux, entend, pour des raisons politiques, montrer sa proximité avec le CRIF et les promoteurs de l’État d’Israël. Le 12 février 2010, la ministre fait adopter une circulaire demandant aux procureurs de la République de poursuivre les personnes qui appellent au boycott des produits israéliens, car leur discours constituerait un appel à la discrimination. Une atteinte directe aux libertés publiques, puisque l’appel au boycott de produits a toujours constitué un mode de protestation pacifique de la société civile face à des questions politiques. La pénalisation à la française de l’appel au boycott constitue d’ailleurs un cas unique en Europe.

Parmi les procureurs de la République, celui de Mulhouse fait une application zélée de la circulaire Alliot-Marie. Pas question que des militants proches de l’Association France Palestine Solidarité et du mouvement Boycott Désinvestissement Sanctions manifestent devant les supermarchés alsaciens. Il fait ainsi citer M. Baldassi et ses camarades devant le tribunal correctionnel pour avoir porté, les 26 septembre 2009 et 22 mai 2010, des vêtements comportant l'inscription « Palestine vivra, boycott Israël ». Pour avoir distribué des tracts portant les mentions « Boycott des produits importés d'Israël, acheter les produits importés d'Israël, c'est légitimer les crimes à Gaza, c'est approuver la politique menée par le gouvernement israélien ». Pour avoir énuméré plusieurs marques de produits importés d'Israël vendus dans les grandes surfaces de la région mulhousienne. Ou encore pour avoir proféré des slogans « Israël assassin, Carrefour complice ».

Par jugement du 15 décembre 2011, le tribunal correctionnel de Mulhouse relaxe les prévenus qui, motive-t-il, ne font qu’exercer leur liberté d’expression sur un sujet d’intérêt général. Mais, fidèle à la circulaire Alliot-Marie, le procureur de la République fait appel. 

Par arrêt du 27 novembre 2013, la cour d'appel de Colmar déclare les prévenus coupables du délit d’appel à la discrimination, les condamne à 1.000 euros d'amende avec sursis et à payer des dommages et intérêts aux associations de défense d’Israël. Les militants associatifs forment un pourvoi en cassation. Mais par arrêt du 20 octobre 2015, la Cour de cassation rejette leur pourvoi.

Plusieurs d'entre eux saisissent, via leurs avocats Maîtres Antoine Comte et Grégory Thuan dit Dieudonné, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Celle-ci rend le 11 juin 2020 un arrêt Baldassi et autres c. France (n° 15271/16) qui leur donne raison :  en condamnant pénalement les militants, les autorités judiciaires françaises ont violé leur liberté d’expression, liberté garantie par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme. 

L’occasion de demander à ces autorités de revoir leur copie. Par décision du 7 avril 2022, la cour de révision et de réexamen fait droit à la requête des prévenus tendant au réexamen de l'arrêt de la cour d'appel de Colmar du 27 novembre 2013 qu'elle annule ainsi, renvoyant l'affaire devant la cour d'appel de Paris.

C’est au terme de ce renvoi que cette juridiction, par arrêt du 14 mars 2024, relaxe les militants. Une belle victoire de la liberté d’expression au terme d’un marathon judiciaire qui vient de se conclure le 4 novembre 2025, après une ultime tentative - vaine - des associations de défense de l’État d’Israël de contester la relaxe prononcée.

Quels enseignements peut-on tirer de ce dernier épisode judiciaire de la saga Baldassi ?

Dans son arrêt de rejet du 4 novembre 2025, la Cour de cassation valide l’approche de la cour d’appel de Paris, mais également confirme sa nouvelle jurisprudence initiée dans un arrêt du 17 octobre 2023.

La Cour de cassation rappelle au moins quatre choses importantes qui demeurent d’une grande actualité pour la société civile, au moment où la population palestinienne fait face à une vague sans précédent de crimes internationaux commis par Israël, dans la bande de Gaza et en Cisjordanie, et où les autorités françaises n’entendent toujours pas sanctionner la politique israélienne. 

Premièrement, les actes et propos des prévenus concernaient un sujet d'intérêt général, à savoir le respect du droit international public par l'État d'Israël et la situation des droits de l'homme dans les territoires palestiniens occupés. Ils relevaient d'un mode d'expression politique et militante, si bien que leurs auteurs doivent bénéficier d'un niveau élevé de protection de la liberté d'expression. Si des slogans proférés ont été de nature à blesser certains clients des supermarchés, les actes et paroles des prévenus n'ont pas excédé les limites admissibles à la liberté d'expression.

Conclusion : lorsqu’il est motivé et expliqué par des considérations politiques, l’appel au boycott des produits israéliens est parfaitement légal. 

Deuxièmement, note la Cour de cassation, les propos tenus et actions menées, s'ils incitaient toute personne concernée à opérer un traitement différencié (sur les produits) au détriment de producteurs installés en Israël, ne renfermaient pas de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence. Ils ne visaient pas ces derniers en raison de leur appartenance à la nation israélienne mais en raison de leur soutien supposé aux choix politiques des dirigeants de ce pays à l'encontre des Palestiniens.

Conclusion : si la discrimination en fonction de la nationalité d’une personne est interdite, appeler au traitement différencié des produits en fonction de leur origine nationale ou géographique est légal lorsque cet appel est motivé par des considérations politiques ou de consumérisme engagé.

Troisièmement, relève la Cour de cassation, ces actions et propos n’avaient pas pour objet d'inciter à la discrimination, à la violence ou à la haine à l'encontre d'un groupe de personnes en raison de leur appartenance à la communauté ou religion juive. Il n'a été relevé aucun propos antisémite. Une vingtaine de personnes arboraient alors des tee-shirts en faveur de la Palestine, scandaient des slogans, remettaient des tracts aux clients et retiraient des rayons du magasin des produits d'origine israélienne.

Conclusion : en l’absence d’acte de violence ou de dégradation et en l’absence de propos raciste ou antisémite, les actions d’appel au boycott de produits israéliens - issus d’un État dont la politique est dénoncée - sont légitimes. 

Quatrièmement, indique la Cour, un échange de courriers avait eu lieu entre la direction des supermarchés et le collectif des militants avant les manifestations. Dans les courriers, le collectif faisait observer que des produits importés d'Israël étaient mal étiquetés, ce qui ne permettait pas à ceux qui voulaient boycotter Israël d'exercer leur liberté de choix.

Conclusion : le débat sur l’étiquetage des produits israéliens est légitime et peut motiver les appels au boycott, puisque cet étiquetage est en pratique peu mis en évidence (pour éviter le boycott des consommateurs) et souvent non conforme en ce qui concerne les produits des colonies israéliennes.

Il aura donc fallu plus de quinze ans pour que les partisans du boycott citoyen des produits israéliens obtiennent justice. Ils peuvent désormais s’exprimer sereinement, en étant sûrs de leur bon droit. Et poursuivre et étendre leur lutte pacifique pour accroître la pression sur l’ État d’Israël pour qu’il se conforme au droit international et restitue les Territoires palestiniens qu’il occupe. Une exigence posée par la Cour internationale de Justice le 19 juillet 2024.

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