I-Travail
Tout au long de sa campagne pour la primaire, M. Fillon a donné une vue d’ensemble très claire de la politique qu’il entend mener :
« Dans cette grande bataille pour l’emploi, il faut revenir aux fondamentaux : Baisser immédiatement de 50 milliards d’euros les charges et impôts sur les entreprises, en donnant la priorité́ à la baisse des prélèvements pesant sur le coût du travail. »
Va donc pour le fondamental !
Pour les économistes classiques, Adam Smith, David Ricardo, et autres, plus « modernes », la source de la valeur d’échange d’une marchandise est la valeur travail qui y est incorporé. Il s’en suit que la plus-value (ou le profit, le bénéfice) ne peut être extraite que de cette valeur travail, la seule partie flexible du coût des produits : la masse salariale, pour être ensuite partagée entre les différents acteurs du capital, les actionnaires, les banques créditrices, l’impôt pour l’Etat etc. de sorte qu’il reste à l’employeur capitaliste ce que l’on appelle le profit industriel ou commercial. La plus-value, la part de valeur travail, non payée aux salariés qui, pourtant, la créent, est répartie entre : une rente pour l’éventuel propriétaire foncier ; l’intérêt payé au banquier ; l’impôt pour l'état etc. et, enfin, le profit industriel et commercial de l’entreprise dont la variable, dite « d’ajustement » (des bénéfices), est donc le montant de la masse salariale.
M. Fillon, en évident défenseur des intérêts de patronat se donne donc comme priorité « la baisse des prélèvements pesant sur le coût du travail. » Qu’est-ce donc que le coût du travail ? Il s’agit simplement du montant des salaires, incluant les diverses cotisations salariales mais pas les cotisations patronales qui représentent pourtant un salaire indirect, certes, mais un salaire, et non un « prélèvement ». En diminuant ce « prélèvement », on diminue en réalité le salaire lui-même, le niveau de vie des salariés, et on accroit, au passage, le trou de la Sécu, les difficultés de l’Assurance chômage, etc.
Reste donc que, si l’on diminue les prélèvements sur les entreprises, on n’augmente jamais que la plus-value extraite du produit fabriqué, la richesse des propriétaires et, éventuellement, des actionnaires -but principal, pour ne pas dire unique, de M. Fillon- et l’on n’améliore en aucune façon l’embauche. A preuve, la guirlande d’aides mise en œuvre par tous les gouvernements depuis quelques dizaines d’années, dont celui de M. Vals : Crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE), Crédit d'impôt recherche (CIR) et autres, n’ont jamais entraîné la moindre embauche si elles ont toujours servi le pourcentage de la plus-value. Au demeurant, il ne faut pas oublier que M. Fillon avait déjà mis la main à la pâte en s’occupant de l’aspect social de la plus-value : De 2002 à 2004, il a été ministre des Affaires sociales du gouvernement de M. Raffarin et a commencé par supprimer les emplois-jeunes crées, avec succès (380.000 personnes concernées), par Martine Aubry. Puis, il réduit drastiquement les crédits des contrats de solidarité (260.000 personnes). L’année suivante, il décide de réduire à deux ans le versement de l’allocation spécifique de solidarité pour les personnes en fin de droits au chômage (370.000 personnes) mais, face au tollé, il est vrai que cette mesure sera suspendue. Il réduit également l’allocation personnalisée d’autonomie pour les personnes âgées dépendantes. Enfin son chef-d’œuvre qui trace la voie à la Loi El Khomri-Macron : il enfonce un coin fatal dans les normes du droit du travail, qu’il inverse: l’accord d’entreprise pourra être moins avantageux pour les salariés que l’accord de branche ! « Je suis celui qui propose les solutions les plus cohérentes ( !), les plus radicales, celui qui s’adresse directement aux Français, à leur lucidité, à leur courage. » Oui oui : cohérence et lucidité… Quant à la radicalité, elle ne fait pas de doute : revanchard, comme tous les nostalgiques de la francisque, il veut finir de démolir l’ensemble du pacte social issu du programme du Conseil National de la Résistance. Invité sur TF1, mardi 3 janvier, pour tenter de rassurer l'opinion sur son programme en matière de santé, le candidat à la présidentielle a indiqué : « Je suis gaulliste et chrétien » et a garanti qu’il ne prendrait jamais de décision « contraire au respect de la dignité humaine ». Ces références, peu usités dans une république laïque, devraient surtout rappeler l’abîme qui sépare la charité chrétienne de la justice républicaine.
M. Fillon clame aussi qu’il veut que les Français travaillent tous et pense que « La manœuvre réside dans notre capacité à travailler plus » Or,Si chacun travaille plus, il y a, arithmétiquement, moins d’opportunités pour l’embauche, d’autant que M. Fillon prévoit de supprimer 500.000 postes de fonctionnaires ! Alors que ses commandes pour les dix ans à venir ont atteint un niveau record de1006 milliards d’euros, succès historique pour Airbus Group, ce dernier a confirmé, le 29 novembre, sa « volonté de supprimer 1 164 emplois et de fermer son site de Suresnes pour améliorer ses résultats financiers », c’est-à dire pour augmenter les plus-values au détriment, bien sûr, de l’emploi !
Il persiste, dans son programme officiel : « ce sont les entreprises qui créent l’emploi, et non l’Etat. Quand les entreprises ont des carnets de commandes pleins, et qu’elles ont de l’activité, elles se développent naturellement et procèdent de fait à de nouvelles embauches. »
Pourtant la direction de l'usine Smart de Hambach, en Moselle, dans un contexte économique pourtant très favorable au Groupe Daimler, avait annoncé la délocalisation du site si les salariés refusaient le retour, en 2016, aux 39 heures, payées 37, en échange du maintien de l'emploi jusqu'en 2020, mais pas d’embauches. Ce sont ces agissements de la direction de Smart qui sont donc privilégiés par M. Fillon : « travailler plus » bien qu’ils s’apparentent à une extorsion, définie, par l'article 312-1du Code pénal, comme le fait d'obtenir par violence, menace de violences, ou contrainte, soit une signature, un engagement ou une renonciation. Les peines encourues pouvant aller jusqu’à sept ans d'emprisonnement et 100000 euros d'amende (Articles 312-2 à 312-9). Et le racket renvoie à la même infraction ! Telle est la solution préconisée par M. Fillon : « Je fais le pari de la vraie négociation sociale, dans les entreprises, là où entrepreneurs et salariés savent de quoi ils parlent… » M. Fillon triche de façon éhontée : Les loups et les agneaux savent, en effet, de quoi ils parlent, mais ils ne partagent pas les mêmes soucis et, qui plus est, il s’agit d’une négociation entre le pot de fer et le pot de terre !
Alors, forcément, M. Fillon fustige les syndicats qui tentent de protéger les salariés : le code du travail et « le diktat syndical ». Son modèle ? Un syndicat unique, à la botte du maréchal, et des corporations (branches) qui ne s’occuperont que de « bonnes œuvres », ainsi, « Par la liberté, je donnerai aux investisseurs de France le goût d’investir ici, chez nous, pour nos industries, pour nos emplois. » Patriotisme oblige, « je préfère supprimer l’ISF que de voir l’économie française, sans capitaux, passer sous contrôle étranger. » Les Français continuerons donc de se faire tondre, mais les tondeurs seront français : le patriotisme sauce Fillon !
A Sablé-sur-Sarthe, son fief, la plupart des paysans ont voté, lors de la primaire de la droite, pour celui qu’ils connaissent si bien. En bon politicien , menteur et manipulateur, il n’a pourtant jamais pris le temps de leur expliquer qu’ils travaillaient dans une économie de marché, libérale, concurrentielle, etc. etc. Il n’a pas eu l’opportunité de leur rappeler ou, plus surement de leur apprendre, que la FNSEA, « syndicat » largement majoritaire dans le monde agricole, sensé défendre leur intérêt, est présidé par Xavier Beulin, ardent défenseur, comme M. Fillon, de « la modernité », du «progrès », de la « lucidité » et… des agriculteurs en colère… « Je comprends et je vis l’exaspération des éleveurs qui souffrent … » Il faut dire que M. Beulin a bien des raisons de souffrir. Il est en effet copropriétaire, en famille, d’une exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) de 500 hectares, baptisée le Quadrige, dans le Loiret. Ce « paysan » est surtout une tête de gondole de l'agrobusiness. Il présidait l’an dernier une entité qui pesait près de 7 milliards d'euros de chiffre d'affaires : « Sofiprotéol », devenue aujourd’hui le Groupe AVRIL, une société en commandite par actions qui abrite deux filiales distinctes, dont l’une est dédiée aux activités industrielles, dans les semences, dans l'alimentation animale et les biocarburants. Cette société est n° 1 de la production d’œufs en France (Mâtines), n° 1 de la production d’huiles alimentaires en France, au Maroc et en Roumanie (Lesieur, Puget, et leurs dérivés sauces et condiments), elle est également n° 1 de la nutrition animale en France. Sa seconde filiale est dédiée aux activités financières de prêts et prises de participation dans plus d’une centaine d’entreprises, dont le volailler LDC (Loué). Bien sûr, ces activités rapprochent M. Beulin de ses syndiqués et lui fait partager leurs souffrances… au service de « sa » compétitivité, les bénéfices de « ses » propres filières. Le conseil d’administration de cette filiale de M. Beulin décide des orientations stratégiques et financières. Parmi ses membres, citons trois personnalités : Jean-Pierre Denis, président du Crédit Mutuel Arkéa et du Crédit Mutuel de Bretagne, Anne Lauvergeon, présidente de la commission Innovation 2030, et Pierre Pringuet, directeur général de Pernod Ricard. M. Beulin est aussi vice-président de la Copa-Cogeca, l'organisation agricole européenne sensée représenter -que les paysans de terrain s’en rendent compte ou non- plus de 26 millions d'agriculteurs ainsi que 38 000 coopératives agricoles d'Europe. Ses membres français sont la FNSEA, la CNMCCA, Confédération nationale de la mutualité, de la coopération et du crédit agricoles (Groupama, Mutualité sociale agricole, Coop France, Crédit agricole), et l'APCA : échelon national du réseau des chambres d'agriculture qui sont chargées de : représenter l'ensemble des différents « agents économiques » de l'agriculture : telles que les mutualités, coopératives, banques et syndicats, et d’accompagner financièrement les exploitants agricoles dans leur développement. A y regarder de près, ce sont les banquiers et financiers qui représentent très largement les paysans auprès des diverses institutions de l’Union européenne. Les compétences de M. Beulin sont certainement utiles pour un plus grand rayonnement international des agriculteurs français, appelés à souffrir pour être compétitifs, et à mesurer leurs soubresauts à l’instant de mourir. La réalité matérielle -hors de toute rhétorique bien huilée, évidemment- est que le schizophrène M. Beulin, présent de l'amont à l'aval des filières, est un partenaire stratégique de l'agro-industrie et des grandes surfaces mais, cœur sensible, comme M. Fillon, il souffre de cette souffrance qu’endurent les vrais paysans ! Un syndicaliste et des paysans comme les aime M. Fillon! (http://www.lesechos.fr/07/01/2015/lesechos.fr/0204062125457_sofiproteol-se-rebaptise-avril-et-change-de-gouvernance.htm#tEdFcFCZb2mozLFk.99)
« Mon diagnostic est sans concession parce que je veux nous donner tous les moyens de la réaction. » En effet, celui qui prône un retour à la situation postrévolutionnaire, révoquant les changements sociaux, moraux, économiques et politiques survenus, est nommé « réactionnaire »... Le catholique François Fillon connaît la doctrine sociale de l’Eglise, contenue dans la Bible, les Evangiles et quelques encycliques récentes, Rerum Novarum, Quadragesimo ano : La Providence désigne le patron et l’ouvrier, et ce dernier doit obéissance au premier car en lui obéissant, il obéit à Dieu! C’est ainsi que, grâce à tous les clones de M. Fillon, les 1 % les plus riches du monde possèdent aujourd’hui, en toute simplicité, -grâce à la saine Providence- plus que le reste de la planète.
(http://www.lesechos.fr/18/01/2016/lesechos.fr/021627401171_inegalites---les-1---les-plus-riches-du-monde-possedent-plus-que-le-reste-de-la-planete.htm#lpfP13XIUHoxg2dF.99)
Assis sous un arbre, il [Jésus] parabolait : «Heureux les pauvres d'esprit, ceux qui ne cherchent pas à comprendre, ils travailleront dur, ils recevront des coups de pieds au cul, ils feront des heures supplémentaires qui leur seront comptées plus tard dans le royaume de mon père» (Prévert, Paroles, 1946, p.35).
F. Fillon croit nous rassurer : « Je remettrai la famille au cœur de toutes les politiques publiques. » Un papa, une maman, une petite fille en rose et un petit garçon en bleu ? Puis : « si cette valeur de la liberté n’est pas en nous, si elle n’est pas portée par la droite, alors qui la portera ? » Bien sûr, il s’agit de la liberté « immanente », offerte par Dieu, qui nous a créés à son image. Mais dans la réalité terrestre, chez SMART, pour les travailleurs, le couteau sous la gorge… : Obéir à Dieu… comme le souhaite M. Fillon !
II- FAMILLE
F. Fillon indique qu’il veut remettre la famille au centre de la vie sociale. Le seul élément précis qu’il donne à ce recentrage est qu’il fera disparaître le plafond- aujourd’hui de 3000 euros de revenus mensuels par famille- à partir duquel les dites-familles n’ont plus accès aux allocations. D’après lui, il ne s’agit pas d’un réajustement économique, de la redistribution de l’impôt qui, jusque là et tant bien que mal, devait être réparti en fonction des « facultés contributives ». La notion de l’égalité que soutient M. Fillon consiste donc à aider identiquement ceux qui en ont réellement besoin, et ceux qui, financièrement, peuvent aisément s’en passer. Et non ! Selon lui, il ne s’agit pas d’un bidouillage budgétaire pour complaire aux couches moyennes, la masse de ses électeurs potentiels…
Il est difficile de trouver « le » modèle de famille chrétienne dans l’ancien ou le nouveau testament. La famille d’Abraham est le théâtre d’adultères et de crimes abominables et Dieu, lui-même, ordonne au patriarche d’assassiner son fils pour montrer sa foi ! Quant à Jésus, sa propre famille n’est pas ordinaire : en réalité, sa mère est vierge et son père n’est pas son père ! M. Fillon est un catholique convaincu, les moines bénédictins de l’abbaye de Solesmes lui ouvrent volontiers leur porte.
Le désormais futur candidat de la droite aux présidentielles avait su suffisamment s’attirer la bienveillance des réseaux catholiques : réécriture de la loi Taubira afin de supprimer la possibilité d’adoption plénière pour les homosexuels et de réserver l’accès à la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples hétérosexuels infertiles. A la veille de l’université d’été des Républicains, à La Baule, « Sens commun », émanation de « la Manif pour tous » au sein de son parti, s’est ainsi rallié à sa candidature par la voix de sa porte-parole, Madeleine Bazin de Jessey et « La manif pour tous », dont la présidente est Mme Ludovine de la Rochère, s’est dite intéressée par le discours de M. Fillon. Cette « manif » a pour fer de lance, et sans doute pour instigateur, « l’Institut Civitas », issu de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, c’est-à-dire de la branche la plus réactionnaire et intégriste du catholicisme français. Ce groupuscule se donne pour objectifs la formation politique, la diffusion de son message, l’entrisme dans les lieux du pouvoir économique et l’action concrète. Il se place de lui-même en dehors du cadre républicain et laïque -modèle « à l’opposé du christianisme » tel qu’ils l’entendent- puisqu’il se décrit comme « un mouvement politique inspiré par le droit naturel et la doctrine sociale de l’Église et regroupant des laïcs catholiques engagés dans l’instauration de la Royauté sociale du Christ sur les nations et les peuples en général, sur la France et les Français en particulier. » Ses militants se voient ainsi, tels des croisés en terre impie, investis d’une mission divine qui vise à mettre à bas la République ! En somme : frères ennemis des djihadistes, ils partagent le même rêve d’un nouveau Moyen-âge !
Il ne fait aucun doute, alors, que la famille, selon M. Fillon, corresponde à cette image d’Epinal brandie par les manifestants : un père, détenteur de l’autorité, une femme chargée de procréer (dans la douleur !) et des enfants, nombreux (Croissez et multipliez-vous !) et, surtout : obéissants. On comprend aussi que ces catholiques fanatiques, prescripteurs pointilleux de rôles, enragent devant cette Ecole qui tente de faire réfléchir les petites têtes blondes sur le poids de l’habitus, des stéréotypes, des routines, des conformismes religieux, sociaux, assimilés inconsciemment, et sur les inégalités sociales qui en découlent, entre garçons et filles. Leurs bobards sur le sujet ont même atteint, en plein vol, le bon Saint Père, Mario Bergoglio qui, s'exprimant devant des journalistes dans l'avion qui le ramenait à Rome après trois jours dans le Caucase, les a pris publiquement -raté du Saint Esprit- pour « argent » comptant, accusant les manuels scolaires français de propager l'«endoctrinement de la théorie du genre» ! (http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2016/10/03/01016-20161003ARTFIG00209-le-pape-et-la-theorie-du-genre-la-polemique-en-cinq-questions.php)
Si M. Fillon veut mettre « la famille au centre de la vie sociale », il est vraisemblable que cette famille comprend les grands parents, beaux parents, petits enfants, oncles et tantes et autres cousins, tous contraints à un devoir prégnant de solidarité pour ses pauvres, palliant ainsi le déficit social de l’Etat catholique filloniste. A quelles gémonies voue-t-il toutes les autres familles: familles de couples divorcés, familles recomposées, familles monoparentales, familles homosexuelles, qui se sont multipliées depuis quelques dizaines d’années ? (https://www.insee.fr/fr/statistiques/zones/2020310?debut=0&q=familles).
De passage à Strasbourg en ce début d’année, le Dalaï Lama, dans un entretien accordé à "l'Obs", a estimé que « Le monde irait peut-être mieux sans religions ». (http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20160923.OBS8657/rencontre-avec-le-dalai-lama-le-monde-irait-peut-etre-mieux-sans-religion.html)
Travail et famille : ne manque que la patrie pour rappeler la devise officielle du régime de Vichy. Et justement…
GR.
(A suivre: III- Patrie)