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Billet de blog 26 avril 2014

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Vallsoon : la honte de la jungle

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                                                              Vallsoon : la honte de la jungle                            

 (Du laisser faire et laisser passer)

L’école physiocratique, première grande école économique, s’est développée en France au XVIIIe siècle. La physiocratie signifie le gouvernement par la nature, et ses adeptes se sont définis comme philosophes économistes.

Pour eux, l’économie est gouvernée par des lois naturelles analogues aux lois physiques. Les individus sont sur un pied d’égalité si on respecte la  liberté du commerce  et la  liberté de l’industrie. Il faut donc bannir tout ce qui met un frein au développement économique. Il faut laisser faire, laisser passer,  et supprimer toutes les entraves.

Que voit-on  réapparaître, aujourd’hui, sinon ce darwinisme social qui conduisait les puissants et les riches de la fin du XIXème siècle à crier à la ruine de l’économie quand on prétendait limiter le travail des enfants ou augmenter des salaires de survie ?

DARWIN2, en effet, est considéré comme le père de la théorie selon laquelle les êtres vivants résulteraient d’une série d’adaptations aux changements des conditions vitales, et d’une sélection naturelle.En réalité,à l’époque de l’usine naissante, Il  prenait le relais de deux économistes, Adam SMITH3, père du capitalisme  libéral, et le brave Thomas MALTHUS4 selon lequel, la population tendant à s’accroître plus rapidement que les subsistances, la lutte entre les êtres pour accéder à des ressources alimentaires était tout aussi inéluctable que la misère pour les « loosers ». Adam SMITH, avait indiqué antérieurement que  la recherche de l’intérêt personnel est le moteur de l’activité économique et la source des richesses.Donc, si on le comprend bien, la misère était justifiée par le peu d’empressement des miséreux à rechercher leur intérêt personnel !..

Lorsque DARWIN et d’autres naturalistes de l’époque, dont Geoffroy SAINT-HILAIRE et LAMARCK, expliquent l’évolution des espèces, ils ne mentionnent pas le cas de la sous-espèce des miséreux. Le capitalisme libéral trouve pourtant là sa seule explication, le respect d’un processus biologique naturel, facteur de progrès. Aujourd’hui, l'assurance des chefs d'industries et de leurs économistes, des maîtres de la finance et de leurs banquiers, des médias  qui s'en font les relais complaisants, apparaît sans faille, comme, il y a 150 ans, était sans faille la foi des thuriféraires de la grande révolution libérale inaugurée par Sir Robert PEEL, premier ministre de la Reine de 1841 à 1846.

1Allusion au long métrage d'animation franco-belge sorti en 1975. parodie du mythe de Tarzan, ici appelé Tarzoon, laid, lâche et ridicule : La Honte de la jungle.                                                                                                                        2Charles DARWIN : 1809 – 1882 : De l’origine des espèces au moyen de la sélection naturelle, 1859.                                                                                                             3Adam SMITH : 1790 – 1790 : Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, 1776.                                                                                                                    4Thomas MALTHUS : 1766-1834 : Essai sur le principe de population (1798).

Comme M. GATTAZ,  M. PEEL  affirmait  que  le bonheur  des sujets de Sa Majesté viendrait, naturellement, du désengagement du gouvernement et du libre cours de la loi du marché. Au même moment, la famine due à une maladie de la pomme de terre, aliment quasi unique de la population, sévissait en Irlande. Au nom du laissez-faire,

le gouvernement répugna à intervenir car les lords emperruqués, la plupart riches

propriétaires héréditaires d’immenses propriétés,  et de nombreux parlementaires, membres du mouvement des moralistes  (sic!) s'élevaient contre des procédés tendant à faire vivre, de manière permanente, une fraction de la communauté aux dépens des contribuables… Comme dit plus haut, ces nobles messieurs estimaient déjà, avec l’assurance que donnent la Grâce et le Saint Esprit que, chacun étant libre, si quelqu'un n'a pas de gagne-pain, soit il s’agit d’un effet de la sainte Providence, soit c'est qu’il le veut bien et, dans les deux cas,  il doit disparaître !

C’est ainsi qu’au temps béni de la Reine Victoria, malgré la famine, l'Irlande exportait des produits agricoles vers des destinations lucratives. Il ne s'agit que de l'application du saint principe de la loi naturelle de l'offre et de la demande : les produits sont plus rares, donc plus chers, hors d'accès pour cette Irlande d’en bas. De nombreux Irlandais d’en bas, notamment les membres du mouvement Jeune Irlande, se sont alors rebellés et Londres a envoyé des renforts de troupes afin de montrer à ces gueux où étaient leurs véritables intérêts personnels… En quatre ans, un million et demi de pauvres sont morts de faim et deux millions et demi  ont décidé d’émigrer vers l'Amérique.Un sur six, parti  sur ces bateaux, que l’on appelait cercueils flottants, n’en verra pas les rivages. Sur ce point, la curiosité consiste en ce que les descendants de ces émigrés sont de nos jours les plus fervents partisans de ce libéralisme qui avait décimé leurs familles avant de les faire fuir. Ils ont rejoint le camp des meilleurs…

Pour parachever la similitude avec le temps de la Reine, il ne reste donc, aujourd’hui, qu'à mettre en pratique les plans sociaux de l'époque. L'expert britannique des quartiers chauds d'alors se nommait NASSAU, et il ne conseillait que des solutions simples. Comme, peut-être, un certain nombre de Français aujourd’hui, il disait que : si l'on veut diminuer le nombre de pauvres, il suffit de ne pas les secourir. Charles DICKENS1 immortalisera les maisons de travail (works-houses), véritables mouroirs où les mendiants étaient enfermés et soumis à un régime de travaux forcés à coups de bâton. Un contemporain, l'écrivain Thomas CARLYLE2, écrira, lui : les work-houses sont une invention simple, comme toutes les grandes inventions... Si les pauvres sont rendus misérables, leur nombre diminue. Le secret est connu de tous les tueurs de rats.De nos jours, notre société innocente doit, de façon identique, se débarrasser de la même vermine ! On va fabriquer de nouvelles armes spéciales et la police sera dotée de véhicules puissants pour supprimer la fracture sociale ! Le karcher ! Vision abyssale du fond des choses… A-t-on pensé à l'arsenic ? On sent bien que des escadrons de la mort, tapis autour de la bête immonde, renaissant de ses cendres délétères, n’attendent, dans la pénombre, que l’occasion de

1 Charles DICKENS, David Copperfield, 1850.

2Thomas CARLYLE,The French Revolution : A History, 1837.

donner l’assaut à toutes ces conquêtes sociales qui, arrachées de haute lutte depuis deux siècles, jalonnent l’histoire de France.

L’idéologie libérale d’aujourd’hui, décrite, notamment, dans le traité de Maastricht1, malgré les découvertes de la génétique, de la sociologie, de l’anthropologie, de toutes les sciences, ne trouve rien de mieux, pour se justifier, que ces balivernes éculées : l’homme libre et responsable, et elle repose sur le même malthusianisme social : ce sont  les meilleurs et les plus brillants  qui triomphent… Cette brillante banalité cache l’envers de la médaille : ceux qui n’ont pas de travail sont incompétents, qui plus est, de naissance et, quel que soit leur sort, le méritent. Il faut que ces citoyens là acceptent les conséquences de cette loi zoologique très simple : la disparition des plus faibles au profit des plus forts, avis que DARWIN n’a, au demeurant, jamais explicité, parlant, pour ce qui concerne l’espèce humaine, d’évolution.

Il y a ainsi, d’un côté des citoyens à part entière, et de l’autre, la France d’en bas,  une masse d’hommes et de femmes médiocres, au mieux juste capable de travaux simples et grossiers, vouée aux emplois précaires, au chômage, et à l’humiliation. La société, dira-t-on, n'abandonne pas ses victimes à leur triste sort. C'est tellement vrai que, avec sa faconde souriante, M. Raymond Barre2 proposait de tailler dans un tel luxe de mécanismes d'aide aux chômeurs...  Luxe ? Le « meilleur économiste de France » a le sens du mot juste... 3 Net progrès par rapport à l’arsenic : la mort lente !

Pendant des millénaires, l'esclavage a été considéré comme conforme aux lois naturelles  édictées par Dieu, transcrites par les prophètes, traduites des milliers de fois et, aussi souvent, interprétées et résumées par les grands-prêtres. Le principe de l'inégalité naturelle, animale,  doncfatale et irrémédiable, est réaffirmé tous les jours. Il s’en suit un certain nombre de déductions et de corollaires benoîtement diffusés par les héritiers des scribes et hérauts dentant.  Alain MINC, l'un de ces petits-prêtres de l‘économie zoologique, écrit dans Le Débat en mai 1995 : Je ne sais pas si les marchés pensent juste, mais je sais  qu’on ne peut pas penser contre les marchés. Je suis comme un paysan qui n’aime pas la grêle mais qui vit avec… et dans le périodique madrilène Cambio 16 daté du 5 décembre 1995 : La démocratie n'est pas l'état naturel de la société. Le marché, oui… 

M. MINC a raison, la démocratie n’est pas un don du ciel. Cependant, on ne sait pourquoi, cet intellectuel de haute volée4, philosophe économiste, héritier, en ligne directe, des physiocrates, n’envisage pas, un instant, qu’elle puisse être le fruit d’une évolution, darwinienne pour le coup, c’est-à-dire d’une culture !

Aujourd’hui comme hier, les communicants  ne cessent de tenter de nous convaincre de la modernité du monde et, en effet, depuis le XVIIIè siècle, les mots ont changé : de la philosophie économique, on est passé à l’économie politique, pour concentrer finalement le terme en économie tout court, afin de mettre l’accent sur sa pseudo

1Art. 3A : un marché libre et la libre concurrence ; 102A: libre circulation des capitaux entre pays membres et extérieurs à la Communauté.

2A partir de 1976, plusieurs fois ministre, et, notamment, premier ministre du président Giscard d’Estaing.

 3Claude JULIEN, Les fourriers du Front national, in Le Monde diplomatique, mars 1996.

4Ingénieur de l’Ecole nationale des mines, diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris, puis de l’ENA.

autonomie et son aspect scientifique pur (nous y voila !). Et en effet, ce sont des

mathématiciens, en chambres aseptisées, qui se chargent de concocter les formules alambiquées, nécessaires pour prouver que, comme on disait, philosophiquement, il y a plus de deux siècles, il faut laisser faire et laisser aller, que la main invisible -la finance, pour M. Hollande ?- s’occupe de tout. Et en effet, la population mondiale qui était de 1 milliard à la fin de l’Ancien Régime atteint de nos jours sept milliards d’individus. Lorsque la mathématique pure justifie que deux milliards et demi d’êtres humains vivent avec moins de un dollar par jour, il s’agit pourtant d’une étrange modernité ! Mais, pour les libéraux, les réalistes, les naturalistes, les héritiers des physiocrates, les croyants et autres humanistes, il est parfaitement légitime, mathématiquement, que la moitié de la richesse du monde constitue la propriété privée du 1% des plus riches, tandis que 99% de la population mondiale se partage l’autre moitié. Et la tendance moderne à l’accroissement des inégalités de richesse s’accélère. Ainsi, aux États-Unis, les 1 % les plus riches ont confisqué 95 % de la croissance post-crise financière entre 2009 et 2012, tandis que les 90 % inférieurs se sont appauvris.

Reprenant les chiffres publiés par l’ONG Oxfam1, le Parisien (20.01.2014) indique également que les 85 personnes les plus riches du monde (dont quatre Français) détiennent autant de richesses que les 50% les plus pauvres soit  3,6 milliards d'habitants. La science pure, nous dit-on, légitime parfaitement ces faits qui  
fournissent, pourtant, un démenti cinglant au mythe éculé du Laisser faire physiocratique, principe fondateur de la compétition économique libérale : la concurrence entre les acteurs économiques permet à chacun de s’enrichir, d’améliorer sa condition, et de poursuivre, ainsi, sa quête du bonheur individuel ! 

Après plus de trente ans marqués par un libéralisme outrancier, la croissance continue de ces inégalités aurait pu infléchir sérieusement les prises de décision du PS, aujourd’hui au pouvoir, et lui donner ce souffle de gauche qu’il a, du coup, perdu pour longtemps.

Vallsoon,  la honte de la jungle, refuse, apriori, l’utilisation de la mort aux rats, mais il veut revenir sur les 35 heures et, en le dénaturant, sur l’existence même du système de sécurité sociale. Il continue –après mûre réflexion, peut-on imaginer-  de patauger dans cette culture ramassis de laisser faire, de conquête de l’Ouest, et de bénédiction des dieux.

G.R.

1Oxfam, Oxford Commitee for Famine, est une organisation internationale de développement qui mobilise le pouvoir citoyen contre la pauvreté à travers le monde.

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