Gilles Bouquerel (avatar)

Gilles Bouquerel

Psychiatre d'Enfants à la retraite, touche à tout, bon à rien, mais pas vraiment...

Abonné·e de Mediapart

75 Billets

0 Édition

Billet de blog 1 octobre 2015

Gilles Bouquerel (avatar)

Gilles Bouquerel

Psychiatre d'Enfants à la retraite, touche à tout, bon à rien, mais pas vraiment...

Abonné·e de Mediapart

Changer la définition de l'autisme restreint-il ce que nous pensons "normal" ? L'article en français

Gilles Bouquerel (avatar)

Gilles Bouquerel

Psychiatre d'Enfants à la retraite, touche à tout, bon à rien, mais pas vraiment...

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

 Voici, avec l'autorisation expresse de son auteure, ma traduction française de l'article de Jennifer Sarrett "Is the changing definition of autism narrowing what we think of as 'normal'?", publié dans l'excellent site "The Conversation", que je vous engage de consulter ad libitum.

Il insiste sur le fait  que les causes ont des conséquences et vice versa,  ABC oblige, et que peu de roses sont sans épines. Ainsi l'élargissement des critères diagnostiques de l'autisme, qui aboutit à notre actuelle définition de cette condition a bien des avantages, mais aussi quelques inconvénients....

Jennifer Sarrett est une universitaire  américaine dont le sujet actuel d'étude est l'éthique et l'impact humain dans l'autisme.

Changer la définition de l'autisme restreint-il ce que nous pensons "normal" ?

Jennifer Sarrett, Emory University

 J'ai d'abord appris sur l'autisme en 1997 pendant mes cours de psychologie de l'école secondaire. Il était relégué à un petit paragraphe dans un chapitre sur les troubles de l'enfance. Le film Rainman était sorti une décennie plus tôt, popularisant la condition à un certain degré. Mais l'autisme n'était pas encore bien connu - ou bien compris, à l'époque.

Cela n'est certainement pas le cas aujourd'hui.

Depuis cette époque, j'ai été une éducatrice spécialisée, une consultante en autisme, et, plus récemment, une défenseure (advocate) et chercheuse en autisme. J'explore la façon dont et la culture et l'éthique influent sur l'autisme comme concept, comme diagnostic et comme expérience vécue. Une chose qui est claire est que la façon dont nous pensons à propos de l'autisme a changé.

La puissance et la reconnaissance de la psychiatrie moderne en tant que domaine médical se sont élargies, et pareillement la façon dont nous pensons et définissons différentes conditions, dont l'autisme. Les critères de diagnostic de l'autisme sont devenues plus larges, en l'aidant à se transformer en quelques décennies d'un trouble rare à un trouble qui affecte une personne sur 68 enfants.

Et ce changement n'est pas unique à l'autisme. L'édition la plus récente du Manuel Diagnostique et Statistique des troubles mentaux (DSM) – le livre que les psychiatres utilisent pour déterminer les diagnostics - a été critiquée en raison de l' abaissement les seuils diagnostiques pour de nombreuses conditions. Comme ces concepts plus larges pour les troubles psychiatriques gagnent rapidement la reconnaissance publique et de l'influence, notre concept de ce qui est «normal» devient de plus en plus étroit.

Comment l'autisme a changé de DSM en DSM

La première édition du DSM a été publiée en 1952. Il avait 130 pages et contenait 106 descriptions de diagnostic. L'édition la plus récente, le DSM-5, publié en 2013, est de 947 pages et couvre environ 300 troubles. Comme le DSM est devenu plus grand et plus large, pareillement s'est modifiée la définition de l'autisme.

Avant 1980, le mot «autiste» n'apparaissait dans le DSM que comme un trait pour décrire la schizophrénie. Mais cela ne signifie pas que les critères de diagnostic de l'autisme n'existaient pas. Un article de 1956 de Leo Kanner (qui est crédité du fait d'avoir «découvert» l'autisme) et Leon Eisenberg se focalisait sur deux critères : le retrait (aloofness) et une résistance significative aux changements dans les routines, notés chez un enfant de 24 mois d'âge. Ces traits sont encore présents dans les critères de diagnostic aujourd'hui, et sont parfois appelés autisme classique ou autisme de Kanner.

Le DSM-III, sorti en 1980, a présenté "l'autisme infantile," créant officiellement pour la première fois un diagnostic séparé pour l'autisme. Sept ans plus tard, une édition révisée, le DSM-III-R, a changé le nom en «trouble autistique» et l'a placé dans la catégorie des troubles envahissants du développement avec d'autres conditions connexes comme le syndrome d'Asperger et les troubles envahissants du développement – non autrement définis ( PDD-NOS).

Le DSM-III-R marque le premier élargissement des critères de diagnostic de l'autisme. Les critères ont été divisés en trois catégories: les interactions sociales, la communication et le comportement, couvrant environ 16 traits. Au moins huit des 16 traits étaient nécessaires pour un diagnostic. Le manuel couvrait des comportements qui ont avaient eu lieu en dehors du bureau du psychiatre, tels que «l'absence de l'activité imaginative » rendant nécessaires les observations des parents. Le manuel comprenait également des exemples de chacun de ces traits pour guider les diagnostiqueurs.

En 1994, le DSM-IV baissa le nombre de caractères requis pour un diagnostic de huit à six. Et la majorité des exemples de comportements inclus dans les versions antérieures du manuel furent supprimés, ce qui signifie que les médecins devaient interpréter les descriptions de comportement avec moins de conseils.

Ces changements, ainsi que de meilleurs services éducatifs et la sensibilisation du public (en grande partie grâce au film Rainman), se sont traduits par une hausse spectaculaire de la prévalence de l'autisme, bondissant d'un sur 2500 dans les années 1980 à un sur 250 dans les années 1990. Ces critères sont restés en place depuis près de 20 ans, lorsque le DSM-5 fut publié en 2013.

Le DSM-5 a modifié les critères de diagnostic encore une fois.L'autisme et les conditions connexes comme le syndrome d'Asperger et les PDD-NOS ont été regroupées en un seul diagnostic: ". Le trouble du spectre de l'autisme" Les trois catégories de traits de diagnostic sont devenus deux : l'interaction sociale et la communication sociale sont devenus une seule catégorie et la catégorie du comportement est restée. Aucun nombre requis de traits n'est nécessaire dans la catégorie de l'interaction sociale pour un diagnostic, mais deux le sont dans celle du comportement.

Ces changements ont d'abord été critiqué en raison des inquiétudes que le passage à «trouble du spectre de l'autisme" puisse réduire les diagnostics, et, éventuellement, entraîner à ce que moins d'enfants ne bénéficient des services nécessaires. Mais cette réorganisation du diagnostic me semble comme un processus de diagnostic encore plus large.

Malgré des critères plus larges, les disparités de diagnostic persistent

Dans le cas de l'autisme, il y a une plus forte demande pour le diagnostic. Avoir un diagnostic d'autisme peut entraîner d'assez bons services d'éducation de nos jours, comme des classes de plus petite taille, des thérapies à l'école, et l'attention un-à-un des enseignants pour les enfants avec le diagnostic. La psychiatre et chercheuse Judy Rappaport a pu écrire, je cite:

... Nous appellerons ce gamin un zèbre si il a besoin d'être appelé un zèbre pour obtenir les services d'éducation et d'autres dont il a besoin et qu'il mérite.

Même si les critères pour un diagnostic d'autisme sont devenus plus larges, beaucoup d'enfants qui pourraient et devraient être diagnostiqués ne le sont pas. Des études ont montré que de nombreux enfants des minorités, en particulier les enfants afro-américains, sont diagnostiqués à tort comme présentant des conditions comme un TDA (Trouble de Déficit de l'Attention) ou un trouble oppositionnel avec provocation, qui suggèrent des problèmes émotionnels de défi résultant de milieux pauvres ou négligents. Ces écarts portent les restes des premiers assertions datant du milieu du XX° siècle que l'autisme est un trouble de la classe supérieure et moyenne blanche.

Cet écart a persisté: 12,3 pour 1 000 enfants afro-américains sont diagnostiqués avec l'autisme et de 10,8 pour 1.000 enfants hispaniques, comparativement à 15,8 pour 1 000 chez les enfants blancs.

Il y a beaucoup de raisons à ces disparités raciales. La persistance de critères de diagnostic vagues permettent la subjectivité dans les pratiques du diagnostic de l'autisme. Et c'est aussi une question d'accès. Les enfants des minorités sont plus susceptibles de provenir de familles à faible revenu qui ne disposent tout simplement pas de temps ni d'argent pour obtenir un diagnostic. Et les troubles psychiatriques et du développement sont plus stigmatisés dans de nombreuses communautés non blanches, ce qui veut dire que les familles sont moins susceptibles de rechercher un diagnostic.

Les Diagnostics larges changent notre concept de «normal'

Quand le DSM-5 a été publié, il a suscité une pétition signée par plus de 15.000 psychologues. La pétition faisait valoir que le manuel plaçait trop bas le seuil de diagnostic pour de nombreuses conditions, ce qui facilitait l'application d'une étiquette psychiatrique à un plus large éventail de personnes. Cela signifie également que le DSM a le pouvoir de rendre les gens plus éligibles à un traitement avec des médicaments dont les effets, en particulier à long terme, ne sont pas pleinement étudiés.

Allen Frances, le président du groupe de travail du DSM-IV, a mis en évidence le risque que les gens «normaux» soient diagnostiqués avec des troubles mentaux qu'ils n'ont pas, grâce aux trop larges critères diagnostiques du DSM-5. Cela reflète presque exactement les critiques quant à la définition de l'élargissement de l'autisme.

Et comme la définition de l'autisme est devenue plus large, ce qui est considéré «normal», lui, se rétrécit. Les personnes qui n'auraient pas antérieurement eu un diagnostic sont maintenant rendus pathologiques. Nous construisons une nouvelle réalité de la maladie qui ne représente pas fidèlement la population la plus touchée. Cela pourrait détourner l'attention et les ressources des personnes qui ont le plus besoin – ceux significativement handicapés.

Les taux de personnes avec des formes moins importantes de l'autisme vont augmenter et devenir la norme autiste, comme nous le voyons dans les représentations des médias dans les émissions de télévision comme Parenthood et ou des livres comme Le Bizarre Incident du chien pendant de nuit. Lorsque cela devient la norme autiste, les gens qui sont plus significativement autiste apparaissent super-handicapés, puis deviennent super-stigmatisés.

Jennifer Sarrett, Maître de Conférences, Center for Study of Human Health, Emory University

This article was originally published on The Conversation

Read the original article.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.