Depuis bien des années maintenant des inflexions majeures ont eu lieu dans le domaine de l'autisme en France : changements dans la conception de ces états, dans leur nombre, dans leur repérage, leur diagnostic, leur prise en charge, et leur accompagnement, dont l'inclusion banalisée.
Ces inflexions ont eu lieu sur l'arrière fond d'un dispositif ancien, mis en place dans la décennie 1965/1975, pour l'ensemble des enfants, des adolescents et des adultes, axée sur une conception psychiatrique d'époque, s'inscrivant dans le champs plus large du soin médical. L 'émergence du médico-social, à partir de 1975, et son utilisation croissante pour faire face aux situations durables des handicaps, dont l'autisme modifièrent peu l'architecture antérieure, et surtout son armature conceptuelles psychiatrique. Enfin l'adjonction de pans entièrement nouveaux (Centre Ressource Autisme, Centres diagnostiques, nouveaux dispositif innovants) s'y sont adjoints plus récemment.
Les coups de boutoir répétés des pouvoirs constitués, mis en mouvement par les protestations des associations de parents de personnes autistes ont imposé un rythme de changements successifs, alors même que le roc institutionnel restait peu modifié, comme momifié. En effet le système national français de protection sanitaire et social possède un défaut majeur : il est français, c'est à dire qu'il accorde une importance prépondérante à l'hérédité d'une part, et à la position de l'autre. Positions, un plus provenant de la nature « publique » de certains opérateurs, réputée mille fois meilleure que la privée, hérédité de l’allocation des ressources, par le corsetage conservateur de celles ci, immortalisant paradoxalement toute structure touchée par la grâce de son inscription dans le registre du système, et immortalisant avec elle son histoire, ses présupposés, son organigramme et son projet, fussent-ils antiques, décalés ou inefficaces.
C'est à dire que le Nouvel Écosystème de l'Autisme en France comporte, en ce qui concerne ses opérateurs, plusieurs couches successives, et peut être présenté de la manière suivante
- un noyau ancien sanitaire,
- une couche intermédiaire médico-sociale « classique »,
- une couche superficielle « moderne »
Nous ne pourrions qu'applaudir si cette structuration était parfaitement opérationnelle, c'est à dire si cette organisation répondait adéquatement en terme de rapidité, d’exhaustivité de la couverture à toutes les situations selon l'age et/ou la sévérité des problèmes, et de qualité et quantité du support fourni. Et nous serions en outre encore plus content de son homogénéité conceptuelle qui serait le gage de la fluidité des parcours des personnes ayant besoin d'y avoir recours.
Or il n'en est rien. Toutes ces couches fonctionnent indépendamment, sous des primats théorico-pratiques divers, parfois divergents, sous des contraintes elles aussi diverses, sans ordre ni coordination.
La victoire écrasante d'une conception plus moderne, d'origine américaine, où l'autisme n'est plus une maladie rare (5/10000), mais un handicap assez courant (on parle de 2 % d'une classe d'age) a pu être vue comme le départ d'un réel changement profond de l'ensemble du système. Malgré sa matérialisation par les Recommandations HAS/ANESM, et par les plans Autisme successifs, dont le 3°, qui a pu susciter bien des espoirs, tant les besoins non couverts étaient vastes et cruciaux, il n'en a rien été. Cette apparente impulsion n'a eu pratiquement des effets que sur la couche la plus superficielle de l’écosystème, celle qui est visible et peut être médiatisée, et encore incomplètement, surtout au niveau de l'inclusion banalisée, mais peu, ou pas du tout sur les parties les plus profondes, dont l'architecture a été laissée inchangée malgré le discrédit que les autorités publiques ont jetées sur ce dispositifs dont elles ont, rappelons le, le contrôle.
On a joué pour cela de l’ambiguïté du mot « autisme » pris tantôt dans son acceptation actuelle, tantôt dans son acceptation historique, et en se servant de l'argumentaire anti-psychiatrique (et anti-psychanalytique, mais c'est tout comme) des associations de parents de personnes autistes les plus virulentes et en opposition « anti-système ».
On s'est bien gardé par exemple de se demander quelles sont les filières actuelles réelles des très jeunes enfants, des enfants et des adolescents autistes, ce dernier terme étant pris dans son acceptation moderne (à 2%), et ce sur l’ensemble du territoire national. Sont-ils repérés, sont-ils diagnostiqués, et en quels termes, et s'ils le sont, à qui sont-ils référés, et encore une fois en quels terme, et pour quelle prise en charge, quelle insertion et quel accompagnement. On aurait pu (mais il est encore temps de le faire) faire une cartographie et un inventaire précis des moyens mis en œuvre, et éventuellement porter une appréciation sur la quantité et la qualité de l'aide apportée aux familles et aux enfants et adolescents, et donc des changements à opérer.
Sans cet inventaire réaliste, sur tout le territoire national, comment parler par exemple de dépistage; de diagnostic et d'intervention précoces ?
Le 3° plan autisme, tout en indiquant des directions sensées et réalistes, a préféré, sans doute par crainte d'une inflation budgétaire, porter son regard non sur la masse de travail à faire, dont un remaniement entier du dispositif lui même, mais sur quelques actions périphériques peu nombreuses, et donc peu coûteuses. Sur le plan des idées, il s'est contenté de marquer le choix qu'il a fait d'une conception moderne, sans, là encore, quantifier la somme d'efforts (et d'argent) a laquelle conduirait l'extension de ce système conceptuel à la majorité des intervenants. Il s'est servi là du prêt à penser des associations de parents de personnes autistes les plus en rupture anti-système attribuant à la seule « l'influence psychanalytique » (à vrai dire à la psychiatrie toute entière) la cause de toute les tares du système, explication bien insuffisante.
On peut bien entendu préférer penser, comme semble l'esquisser le 3° plan autisme, que la politique des petits pas finira bien par entraîner le basculement souhaité, qu'il ne s'agit après tout que d'instaurer quelques fragments vertueux, et que le reste s'ensuivra, mais, quant à moi, je préfère penser en terme d'organisation et de système. Et je sais que les systèmes tout d'abord pèsent, et qu'ensuite 'on ne peut les changer que par un effort profond, intense et persistant, d’où l'importance majeure de la formation des intervenants, mais en partant d'où ils sont, et non d'où l'on pense qu'ils devraient être.
Le problème du Nouvel Écosystème de l’Autisme reste actuellement presque entièrement non résolu, et donc entièrement à prendre à bras le corps, d'abord en y réfléchissant, ce qui ne peut être fait que de manière transversale, et avec d'autres acteurs dépassant la simple sphère du dispositif actuel, d'où l'école est absente, alors même que l'inclusion banalisée doit être un des axes de ce nouvel Écosystème. L'ère du saupoudrage radin de quelques éléments plus modernes et adéquats en apparence doit finir, et celui d'une modification en profondeur advenir, malgré l'ampleur du travail, et le caractère électoralement et administrativement peu porteur de l'affaire…...