Le mal est contagieux, tout le mal.
Le mal qui est fait aussi, qui contamine tout ce qui s'en approche, chacun qui le voit, chacun qui l'entend, chacun qui y pense.
Alors on s'en défend comme on peut, on s'émeut, on s'émotionne, on célèbre, on se réunit, on est Charlie.
Mais le mal qui a coulé s'est instillé en nous, il nous gagne, il nous submergera peut être. Si on n'y prend garde le sang amène d'autres sangs, les pleurs d'autres larmes, des fumées, des holocaustes. Le mal sera prétexte excitant pour certains, prêt à basculer, qui basculerons, chez d'autres ce mal trouvera aussi un écho intérieur.
Notre mal en nous résonne aussi, il raisonne, parfois en déraisons. Nous pouvons, par les failles de nos être, percevoir nos mauvaises pensées, qui nous rapproche tant des criminels qu'on pourchasse. Sus à l'ennemi, au barbare, étripons, purifions.
Nous savons que ces criminels furent naguère des enfants soumis à des souffrances longues et transfixiantes.
Disant cela je ne les excuses pas. Ils n'ont pas trouvé de ressource qui vaille pour leur épargner le crime, ni en eux, ni autour d'eux.
Mais, quand nous voyons de tels déchirements chez des enfants, des adolescents en déroute, leur tendre, ne serait-ce qu'une main ou qu'une oreille peut être décisif pour les éloigner du parapet d'où ils vont sauter.
Mélanie Klein posait une vraie question : qu'est-ce qui fait que nous devenions pas, chacun, criminel ?
Qu'est-ce qui fait qu'un enfant soumis à une détresse absolue et durable ne devienne pas criminel ?
Peut être nous, qui passons, qui le regardons souffrir et qui pouvons nous émouvoir, écouter, parler, rassurer, reconnaître, faire patienter, et transformer ainsi le mal en un un peu moins mal. Là où nous sommes, et qui voyons passer des enfants et des souffrances terribles, que nous soyons enseignants, psy, animateur, éducateur, ou quidam.
C'est déjà tellement bien que tant d'enfant ne deviennent pas criminels, quand eux aussi furent Charlie.