Vade retro psychiatricas !
L'affaire est entendue : dans le monde de l'autisme nouveau, « les psychanalystes » seront interdits de séjour, tant ils ont fait de mal. On baisse alors le ton, et on évoque en chuchotant les « mères frigidaires », exemple horrifique des crimes de la corporation. Du récent, du moderne, du vrai.
Enfin tout fonctionne : les autistes sont diagnostiqués ab ovo par des batteries d'épreuves standardisées effectuées au moindre doute, doute émanant de check-lists ad hoc, et puis pleins d'examens du cerveau ne montrent rien, idem des études génétiques, vu que c'est génétique, c'est certain . Les malheureux sont ensuite vigoureusement pris en main à l'aide de méthodes éducatives d'aspect rébarbatif et mécanique où on s'engage, foi d'animal, à ne pas les soigner. Ça coûte un peu cher, mais c'est tellement efficace. On les met tous à l'école, où ils finissent par réussir, s’intégrant à la société sous leur panonceau de handicapé qu'il ne faut leur arracher sous aucun prétexte, la taxinomie ayant enfin rejoint et la science , et les bons sentiments, et les bonnes pratiques.
Psyquoi ?
Le champs de l'autisme est désormais fermé aux « psychanalystes ». A y regarder de plus près, c'est quoi « les psychanalystes », c'est quoi « la psychanalyse » dans l'autisme ? Vu que c'est interdit ( ils disent pas recommandé) , il faudrait au moins savoir ce qui n'est pas recommandé ? Où en trouver description, énonciation ?
Plein d'espoir on se tourne vers la nouvelle Thora en la matière, la prodigieuse compilation de la Haute Autorité de Santé pour savoir de quoi il s'agit1. Plus que les recommandations, sibyllines2 dans leur négativité, le parcours de l'argumentaire scientifique le précédant est plus parlant. Je peux me tromper mais il est presque exclusivement fait mention de la référence à la psychanalyse, par certains intervenants ou d'orientation psychanalytique de ces derniers. Bref de personnes se revendiquant comme pratiquant de telles méthodes « psychanalytiques ». Nulle part il n'y a d'énumération ce ce qu'est cette foutue « psychanayse », , excepté quand il est fait mention de « psychothérapies psychanalytiques », où l'objet semble un peu plus circonscrit.
Bref « la psychanalyse » serait l'inspiration par, la référence à, la revendication d'une « orientation », et non pas un objet, une méthode ou une liste de méthodes ou de processus décrits. Aucun des objets n'est défini, ni même approché, ne serait-ce que par métaphore.
La psychanalyse serait tout ce que prétend faire une personne se revendiquant d'elle. Je ne sais pas ce que vous en pensez, moi, je trouve ça gênant, ça me turlupine un peu la science, pour tout dire parce que, en dehors de la HAS, on est beaucoup parfois plus catégorique.
Sommes nous dupes de ce que veut dire « l'orientation », « la référence » etc comme critère ultime de « la psychanalyse », en faisant mine d'oublier que cette référence à la psychanalyse, durant les trente glorieuses, de la psychiatrie française d'après guerre, justement avec « la psychothérapie institutionnelle », autre cible de la ligue HASéatique, fonctionna comme shibboleth de la modernité psychiatrique d'alors. Comment, susurrait-on à l'époque, peut-on ne pas être psychanalyste, cette psychanalyste étant du reste accommodée à bien des sauces exclusives l'une de l'autre, puisque l'éclatement en chapelles rageusement adverses fut bien la caractéristique du moment.
A vrai dire il ne s'agit ni plus ni moins que d'exclure du champs de l'autisme le courant psychiatrique français tout entier, enfin celui issu de son histoire, et/ou d'exiger son complet remplacement par un courant tout à fait étranger, issus d'une autre tradition, le courant américain, ou plutôt le courant international, tant ces deux termes, se référant à la psychiatrie, sont semblables. Mon but n'est pas de critiquer ce dernier, ou de le combattre, juste de constater qu'il nous est historiquement étranger. A ce titre, nous pouvons certes l'assimiler, mais il faut ouvrir la bouche et avoir de l'estomac, mais ce qui est souvent demandé est encore davantage, c’est de mettre entre parenthèse trente années et plus de notre histoire, de l'histoire, en faisant comme si ces décennies n'avaient jamais existé, ou en devant en condamner en bloc l'entièreté. On réclame bien ça, la mise hors la loi de « la psychanalyse », à vrai dire de la psychiatrie historique française, de tout ce qui lui ressemble, de tout ce qui y fait allusion, citation, de tout ce qui en a l'air. Et tout ceci sans examen ni procès, mais plutôt en flagrance, si je puis dire, sous le coup de l'émotion, de l'évidence, du sang versé, des crimes terribles constatés. C'est une mise au ban, une proscription qui est exigée, « interdico tibi aqua et igne »…..
Des psychiatres, les seuls encore admis devront montrer leur certificat de lustration, les déclarant exempts de toute ascendance psychanalytique. On leur mettra une blouse blanche, un stéthoscope, on les dotera d'un pointeur laser avec lequel ils pourront détailler leurs slides de RMN f avec leurs jolies lumières, c'est tout ce qu'ils auront à faire, puisque regarder, écouter, parler, jouer avec les autistes, et penser avec leur esprit, eh bien c'est interdit vu que ça ne sert à rien
Tout ceci place la psychiatrie française dans une bien étrange position, intenable il est vrai. Bien entendu, me dira-t-on, les benoîts de la HAS n'ont rien réclamé de tel, ce qui est bien vrai, purtant ils se sont déjà réparti les places laissées vides par tant d'évictions, ce qui est toujours ça de gagné. Ils ont entre-promus leurs pratiques, jadis obscurantistes, maintenant vertueuses et scientifiques, et se sont partagé le monde.
Esprit es tu là ?
En jetant l'eau du bain, on n'a pas pris garde que le bébé de l'esprit partait avec. Enfin on s'en est accommodé, entre neuro-tout-ce-qu'on-veut du meilleur monde et parents furieux, dans l'autisme, l'esprit, bon débarras ! On s'est mis à promouvoir, dans les médias, pour l' implanter dans le cerveau de chacun, le seul modèle NeIGE3 comme convenant, voire convenable, modèle assimilant l'autisme à une encéphalopathie d'origine génétique. Je caricature à peine.
Pourquoi encore revenir à l'esprit, puisqu'il s'agit de neurologie, de génétique, de handicap ? Et pourquoi s'offusquer de la demande qui est faite de ne plus faire mention, référence, à l'esprit, de ne pas avoir cette tendance, dans une pratique, de tirer de la relation d'un esprit autre avec le sien propre une matière à penser et à agir, qui est bien tout le sel de la psychiatrie digne de ce nom ?
Pourtant l'esprit, pure virtualité, est bigrement intéressant, car justement il s’émancipe d'un collage à une pseudo neurologie des fonctions supérieures, encore trop balbutiante, trop incomplète, trop approximative, en ce sens que la science qui devrait la soutenir ne le fait que bien trop partiellement encore. La complexité de la tache rend la « neurologisation » des fonctions complexes de « l'esprit » illusoire, car elle propose trop de simplification. Constater par exemple des comportements aberrants particuliers, et que telle ou telle région du cerveau des individus présentant ces comportements fonctionne très différemment de celle d'individus ne les présentant pas est bien trop imprécis, et souvent logiquement faux quand on postule que les comportements sont la conséquence des dysfonctionnements neurophysiologiques observés, alors qu'ils sont justes concomitants, représentant au fond la même chose vue à une autre échelle.
Le procès en neurologie, intenté mille et une fois pour montrer que la psyché, que l'esrit n'existe pas ne sert en effet que ces prémices, qui sont une pure conjecture. Et quand on va répétant, maintenant partout que l'autisme est un trouble neuro-développemental, c'est essentiellement un point de vue, une vue sous une certaine incidence, sûrement intéressante, surtout si on ne s'y laisse pas piéger. Une vue, pas la seule vue.
Ainsi se faire le défenseur de l'esprit, de la psyché de psychiatrie a justement cette modernité de prendre acte de notre ignorance de ce qu'est le « cerveau », in fine, tant ses fonctionnements sont complexes et si mal connus. Et nos modernes savants qui sautent comme des cabris en criant « le cerveau, le cerveau » pourraient se révéler moins « modernes » qu'il n'y paraît, justes passionnellement partisans.
Donc, l'Esprit pour tous, et chacun, autistes y compris, et donc l'Espritchiatrie aussi.
1H.A.S - RECOMMANDATION DE BONNE PRATIQUE
Autisme et autres troubles envahissants du développement : interventions éducatives et thérapeutiques coordonnéeschez l’enfant et l’adolescent .
Méthode Recommandations par consensus formalisé ARGUMENTAIRE SCIENTIFIQUE
Mars 2012
2Interventions globales non consensuelles
L’absence de données sur leur efficacité et la divergence des avis exprimés ne permettent pas de conclure à la pertinence des interventions fondées sur :
- les approches psychanalytiques ;
- la psychothérapie institutionnelle.
3Autisme : le syndrome NeIGE (Neurologique, Incurable, Génétique, Equivalent dans tout le spectre) – mon blog - http://blogs.mediapart.fr/blog/gilles-bouquerel/150814/autisme-le-syndrome-neige