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Billet de blog 16 février 2015

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Autisme : Physiopathologie et Esprit.

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Dans un récent article paru dans « Les Echos » 1 Yehezkel Ben-Ari, Directeur honoraire de l'Institut de neurobiologie de la Méditerranée, écrit « La valeur prédictive des études génétiques est donc clairement limitée ; en aucun cas ces études ne permettent de prédire le type de syndrome qui va s'exprimer, son degré de sévérité et son expression clinique ! Il nous faut accepter le fait que les gènes n'expliquent pas tout et tenir compte de nombreux autres facteurs qui exercent un rôle majeur sur le développement de la maladie. ». Cette déclaration est intéressante, dans la mesure où elle rompt l'apparent front uni de la conception « scientifique » de l'autisme, qui s'unit en règle autour du paradigme NeIGE (l'autisme est Neurologique, Incurable, Génétique et Équivalent dans tous le Spectre), et nous invite donc à en envisager une autre physiopathologi que celle, naïvement promue, d'une relation linéaire entre génome et expression pathologique sous forme d'autisme qui, pour rassurante qu'elle soit, n'en demeure pas moins extrêmement simplifiée, et donc erronée. Je dois à la vérité que M Ben-Ari ne songe à rien de psychologique parmi les « autres facteurs » auxquels il pense.

Dans mon précédent billet2, je tentai de soutenir l'utilité de l'esprit, que je décrivais comme une hypothèse pouvant inclure les émotions, les relations, les affects, les intérêts, les plaisirs, tous éléments subjectifs que la science objective, maintenant reine dans le domaine de la psychiatrie rectifiée, dont l'autisme fait partie, avait depuis longtemps mis au rebut, devenu maintenant une quasi proscription, dans le domaine de l'autisme, puisque toute allusion à ces éléments est qualifié de « psychanalyse », notion qu'on a pris soin de ne pas définir très précisément, et rejeté de ce fait sans examen sérieux.

Or les affects, les émotions, les intérêts, il n'y a que ça qui fonctionne avec les enfants autistes, et ce d'autant plus qu'ils sont jeunes. Et ne racontez pas le contraire aux parents de tels enfants, ils ne vous croiraient pas car eux savent souvent percevoir, derrière les apparence, les tentatives relationnelles de leur enfant, et savent toujours combien leur enfant est sensible à leur présence, à leurs actions, à leurs mots. J'avais même pris soin, dans un autre de mes billets3 de traduire un article d'une universitaire australienne qui militait pour la réhabilitation de l'étude des relations entre les parents et leur enfant autiste, montrant tout l’intérêt clinique et thérapeutique qu'on pouvait y trouver. Ne le racontez pas non plus aux praticiens des versions les plus modernes de l'Applied Behavioral Analysis (ABA), comme l'ABA Verbal Behavior, ou le Pivotal Response Treatment, qui utilisent toutes deux la motivation de l'enfant comme moteur. Ne le racontez pas davantage à toutes les méthodes d'inspiration « développementale » qui sont reconnues aux Etats Unis d'Amérique, tel Floortime de Stanley Greenspan, PLAYProject de Rick Solomon, SCERTS, et tant d'autres, qui utilisent également la motivation des enfants, et l'énergie des parents comme ingrédients de progrès.

Le 3° plan autisme a prévu l'émergence d'un dispositif diagnostic/prise en charge intensive précoces. J'ai l'impression (impression car je n'ai pas d'informateur dans hautes sphères) que tout ceci peine à voir le jour car à une contrainte formelle (mettre en place les dispositifs, et les financer, de manière perenne si possible) s'adjoint une autre, cachée, il faut que tout ça satisfasse à la Nouvelle Étiquette Française de l'Autisme  : présentation mécanique, arrière plan d'allure scientifique neurologiseant,, utilisation de la psychiatrie cognitivo-comportementaliste comme description, et du comportementalisme canal historique comme moyen thérapeutique (je retire ce dernier terme infamant, mettez éducatif à la place). Je rajoute d'autres éléments : non utilisation de DSM 5, bien trop précis avec sa cotation de sévérité de 1 à 3 dans les troubles des interactions et troubles répétitifs ou intérêts focalisés, interdiction de toute allusion à « l'esprit », tel que je l'ai défini, sans oublier la satisfaction des petites gloires et des petites rancœurs locales, tant l’allocation des ressources est fléchée « pour faire plaisir à ». Donc comment, pour la prise en charge précoce et intensive, faire autre chose que de l'ABA canal historique ou du Denver Early Start demandés par cette vox populi ?.

Une série passionnante d'essais randomisés ont récemment porté sur des interventions médiates, à destination des parents 45, et d'autres encore, dont la fascinante étude sur les frères et sœurs d'enfants autistes, programme d'action préventive par l'étude des relations précoce et le soutien de l'attachement, programme dont l'efficacité a été montrée6. On se reportera à ces articles passionnants, disponibles sur internet, qui mettent en lumière une réalité ignorée, car chacun fait silence prudent sur ce courant plus développemental que comportementaliste.

Toutes ces interventions sont relativement peu onéreuses, et de durée assez courtes. C'est à dire qu'elles sont généralisables dans le cadre d'un effort soutenable, comme on dit. Ce doit être la base d'un programme national d'intervention précoce et intensive, et non pas l'ABA ou le Denver Early Start au coût prohibitif à l'échelle des besoins, s'ils ont montré quelque action

Au delà de la cause, génétique-mais-pas-que 7, on voit que le premier effet de cette cause est d'affecter les relations interpersonnelles8 primitives, c'est le premier point, et qu'une action de soutien sur ces relations primaires polarisées par l'autisme-en-gésine peut être efficace.

Alors bien entendu, le spectre de la « psychanalyse » avec ses « mères frigidaires », sera à nouveau brandi, à grand renfort de grosse caisse. Malheureux, que dites vous, dans les relations, au sein de la relation, mais ces mères son innocentes votre Honneur , les psychanalystes à la lanterne !

Elles le sont, innocentes, elles n'y sont pour rien. Pourtant elles vont devoir payer le prix que c'est par la relation que les anomalies biologiques de l'autisme vont se frayer une voie. Les causes de l'autisme provoquent des viciations subtiles des capacités qualitatives et quantitatives de relation, propres d'abord à l'enfant, mais qui, du premier jour, infusent l'ensemble des relations, puisque les relations, ça se fait à plusieurs, et qu'un grain de sable à une extrémité fait gripper tout l'ensemble. Elles vont payer le prix, mais aussi elles pourront être certaines que, si quelque chose évolue bien, ce sera de leur fait. Les parents ne sont coupable de rien, mais ils peuvent beaucoup, et ils le savent en général, et on peut les aider encore à en faire encore davantage, par des moyens humains, les émotions, les affects, les envies, les affinités des uns et des autres, et pas seulement en appliquant des méthodes présentées trop souvent comme éducatives, rigides et mécaniques (mais qui ne sont, dans les mains de professionnels compétents souvent qu'une utilisation particulièrement heureuse de la relation, ce que je nommerai psychothérapie au meilleur sens du terme). De simples méthodes humaines suffisent parfois, auxquelles de nombreux parents ont spontanément recours.

Je sais combien ce que je dis peut choquer. Mais il faut bien que cela soit dit. Si je ne le fais pas, qui le fera ? Pas les pouvoirs publics, qui tremblent dans leur coin à l'idée qu'une horde de parents furieux ne les conduisent à l'échafaud, avec deux députés, devinez lesquels, à leur tête, ça ira, ça ira. La chasse au psychanalyste, en nommant psychanalyste tout ce qui évoque les manifestations de l'esprit tient lieu depuis trop longtemps de boussole aux politiques publiques, par une terreur inefficace, dans le sens qu'elle n'évite pas le désastre qu'on craignait. La roche Tarpéienne est, en politique de l'autisme, bien proche du Capitole, ce qu'une naguère ministre a pu expérimenter voici un an.

Ceci ne fait pas des psychanalystes, les vrais, des parangons de vertu, en particulier civique, ni de clairvoyance. Disons simplement que parfois l'esprit de caste, l'esprit de système l'emporte sur la simple raison, ou la modestie nécessaire quand on pense intervenir sur l'esprit d'autrui. Et que la méconnaissance qu'une relation « à niveau », et non systématiquement en position « haute » est nécessaire avec les parents n'a pas que de bons effets.

Mais ceci est une autre histoire, qu'il faudra bien conter le jour venu.

1Autisme : les gènes ne font pas tout ! Yehezkel Ben-Ari / http://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/0204155253530-autisme-les-genes-ne-font-pas-tout-1093628.php

2http://blogs.mediapart.fr/blog/gilles-bouquerel/090215/autisme-esprit-es-tu-la?onglet=commentaires#comment-5987879

3http://blogs.mediapart.fr/blog/gilles-bouquerel/301114/les-parents-ne-causent-pas-lautisme-mais-ils-peuvent-faire-une-difference

4Parent-Implemented Social Intervention for Toddlers With Autism: An RCT

Amy M. Wetherby, Whitney Guthrie, Juliann Woods, Christopher Schatschneider, Renee D. Holland, Lindee Morgan and Catherine Lord - Pediatrics ; originally published online November 3, 2014; DOI: 10.1542/peds.2014-0757

5PLAY Project Home Consultation Intervention Program for Young Children With Autism Spectrum Disorders: A Randomized Controlled Trial

Richard Solomon, MD,* Laurie A. Van Egeren, PhD,† Gerald Mahoney, PhD,‡ Melissa S. Quon Huber, PhD,† Perri Zimmerman, MBA* - J Dev Behav Pediatr 35:475–485, 2014

6Jonathan Green, Tony Charman, Andrew Pickles, Ming W Wan, Mayada Elsabbagh, Vicky Slonims, Carol Taylor, Janet McNally, Rhonda Booth, Teodora Gliga, Emily J H Jones, Clare Harrop, Rachael Bedford, Mark H Johnson, and the BASIS team. Parent-mediated intervention versus no intervention for infants at high risk of autism: a parallel, single-blind, randomised trial. Lancet Psychiatry, January 2015 DOI: 10.1016/S2215-0366(14)00091-1

7puisque mille circonstances semblent influer (par exemple un écart réduit entre les grossesses, l'existence d'une pré-eclampsie pendant la grossesse, la pollution, le fait que la mère ait-été victime de maltraitance quand elle était enfant….), ce qui exige au moins que soit concevable des physiopathologies non linéaires, au-delà d'un schéma causal trop simple

8 Je traduis ainsi « social interactions », tant le terme « relation ou intereaction sociale » ne dit pas la même chose en français qu'en anglais.

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