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Billet de blog 21 mars 2016

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Autisme : Cerveau, Signes, Symptômes et Être

On définit l'autisme par ses symptômes..... Il se pourrait que l'y réduire fasse passer à côté des ressources des Êtres qui en paraissent atteints...

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Je voudrais vous faire partager la lecture d'un petit article-témoignage américain, écrit par un autiste, en tout cas c'est ce qu'il dit, et que je viens de lire. Il m'a paru bien intéressant pour débusquer une problématique que la vision toute positiviste du nouvel autisme semble cacher,

Dans ce Nouvel Autisme en effet, tout semble coller, depuis la réalité clinique jusqu'aux recherches les plus poussées sur le cerveau. Cet artcicle démontre que ce n'est pas si simple.

Pour plus de facilités, je vous l'ai traduit, avec mes pauvres moyens, dans notre langue.

Un traitement expérimental de l'autisme

m'a coûté m

on

m

ariage


Par John Elder Robison Mars 18, 2016 6:00 18 Mars, 2016 06:00


Qu'est-ce qui arrive à vos relations lorsque votre perception émotionnelle change du jour au lendemain? Parce que je suis autiste, j'ai toujours été insensible aux signaux tacites provenant d'autres personnes. Ma femme, mon fils et mes amis ont aimé mon air imperturbable et mon comportement prévisible. On m'a dit que j’étais super comme je l'étais, mais je n'ai jamais vraiment été d'accord..
Depuis 50 ans, j'ai fait du mieux que je pouvais avec la façon dont j'étais, parce qu'il n'y avait rien d'autre que je pouvais faire. Ensuite, on m'a offert une chance de participer à une étude au Beth Israel Deaconess Medical Center, un hôpital d'enseignement de la Harvard Medical School. Des chercheurs du centre Berenson-Allen, étudiaient la stimulation magnétique transcrânienne ou S.M.T., une procédure non invasive qui applique des impulsions magnétiques pour stimuler le cerveau. C'est prometteur pour de nombreux troubles du cerveau. Plusieurs dispositifs de S.M.T. ont été approuvés par la Food and Drug Administration pour le traitement de la dépression sévère, et d'autres sont à l'étude pour des conditions différentes (C'est encore en phase expérimentale pour l'autisme). Les médecins se demandaient si le changement d'activité dans une partie particulière du cerveau des autistes pourrait changer la façon dont nous ressentons des émotions. Cela semblait passionnant. J'espérais que ça m'aiderait à "lire" les gens un peu mieux.
On dit, faites attention à ce que vous souhaitez. L'intervention a réussi au-delà de mes rêves les plus fous - et elle a mis ma vie sans dessus dessous. Après une de mes premières séances de S.M.T., en 2008, je pensais que rien ne s'était passé. Mais quand je suis rentré chez moi et ai fermé les yeux, je me suis senti comme si j'étais sur un navire en mer. Et il y avait des rêves - si vrai que je les ressentais comme des hallucinations. On dirait un conte de fées, mais le lendemain matin, quand je suis allé travailler, tout était différent. Des émotions me sont venues de toutes les directions, si vite que je n'ai pas eu le temps de les traiter.
Avant la S.M.T., j'avais fantasmé que les signaux émotionnels me manquait dans mon autisme pour me rapprocher des gens. La réalité était très différente. Les signaux que je piochais maintenant sur ce que mes frères humains ressentaient me submergeaient. Ils semblaient effrayés, inquiets, troublés et même avides. La beauté que je concevais naguère était introuvable.
Voir l'émotion n'a pas rendu ma vie heureuse. Ça m'a fait peur, comme la peur que je ressentais chez d'autres s'est aussi emparée de moi. Aussi excitante qu'était ma nouvelle capacité sensorielle, elle m'a coûté des clients au travail, quand je les sentais en train de me regarder avec mépris. Elle a gâché des amitiés quand je voyais les taquineries sous un jour différent et plus méchant. Elle a même ruiné des souvenirs quand j'ai réalisé que les gens dont je me souvenais comme drôles en réalité se moquaient de moi.
Et la chose la plus difficile: elle m'a coûté un mariage. Lorsque j'ai rencontré mon ex-épouse (une dizaine d'années avant la S.M.T.), elle était sérieusement déprimée. Elle avait accepté ma régularité d'autiste, et moi sa tristesse souvent calme. Je n'ai jamais vraiment ressenti sa dépression, de sorte que nous complétions. Elle pouvait « lire » d'autres personnes beaucoup mieux que je pouvais, et je comptais sur elle pour cela.
Puis vint le S.M.T. Avec ma capacité retrouvée, je m'imaginais perdre joyeusement un manteau de handicap. Je pensais qu'elle en serait heureuse, mais elle a dit d'un ton neutre, «Tu n'as plus besoin de moi." Mon cœur en fut blessé, et je me suis senti affreusement triste. Plus tard, les gens au travail m'ont dit qu'ils aimaient mieux la façon dont j'étais avant.
J'avais vécu avec la dépression chronique de ma femme toutes ces années parce que je ne la partageais pas. Après la S.M.T., je ressentais toute la force de sa tristesse, et le poids de celle-ci m'a entraîné au fond. Dans le même temps, j'ai ressenti cette poussée à utiliser ma nouvelle superpuissance, pour sortir dans le monde et collaborer avec d'autres personnes, maintenant que je pouvais lire leurs émotions. Quand je pense à la façon dont mon comportement a du apparaître aux étrangers que je rencontrais, j'en grincer des dents.
Normalement, les gens changent dans un mariage, au fil du temps. Qu'est-ce qui se passe quand une personne change du jour au lendemain? Nous avons divorcé un an après que le début des expériences de S.M.T.. Après le divorce, je me suis embarqué sur une relation désastreuse avec quelqu'un qui ne pouvait pas avoir été plus différent, et j'ai été dévasté quand cela aussi est tombé en morceaux. J'ai appris à la dure que l'insight émotionnel m'a permis de voir certaines choses, mais que la véritable intention et l'engagement d'une autre personne me sont resté impénétrables.
Après un certain tumulte initial, les changements en moi se sont avérées transformationnels au travail. Ma capacité à m'engager de manière décontractée avec des amis et des étrangers a été renforcée. Mais avec la famille et les amis proches, les résultats étaient plus mitigés. Je me suis retrouvé en suspens en absorbant les émotions des gens dont j'étais proche, quelque chose qui n'était jamais arrivé auparavant. Des réactions émotionnelles fortes montèrent en moi, et j'ai montré des sentiments que je ne l'avais jamais exprimées.
Il m'a fallu cinq ans pour trouver un nouvel équilibre et la stabilité. A ce moment, ma sensation que je pouvais voir dans l'âme des gens s'est estompé. Pourtant, l'expérience m'a laissé à jamais changé. Avant la S.M.T., les discussions sur les émotions étaient comme des railleries cruelles pour moi; c'était comme si quelqu'un décrivait une belle couleur à quelqu'un qui voit en noir et blanc. Puis, en un instant, les scientifiques ont allumé la vision des couleurs. Même si cette vision s'est estompée, la mémoire de son éclat restera toujours avec moi.
Je me suis marié à nouveau, à quelqu'un qui est émotionnellement perspicace. À mon grand étonnement, elle est devenue la meilleure amie de ma première femme, et m'a aidé à renouer avec mon fils. Elle a commencé une tradition de dîners de famille et de rassemblements, et apporté une nouvelle chaleur dans ma vie. Et plus encore, elle m'a aidé à faire partie d'un réseau de connectivité émotionnelle, que je n'avais jamais connu auparavant, et sûrement pas pu connaître avant la S.M.T.
Cela se reflète vraiment dans la relation avec mon fils. Nous avions évolué séparément avant la S.M.T. grâce à la combinaison de sa rébellion adolescente et notre incapacité mutuelle à lire les sentiments les uns et des autres. (Mon fils est aussi dans le spectre de l'autisme) Nous avons rejoint l'étude sur la S.M.T. ensemble, et c'est devenu une puissante expérience partagée. Même si les effets de la S.M.T. ont séparé mon ex-femme et moi, ils nous ont attiré mon fils et moi ensemble. La S.M.T. aussi m'a aidé à comprendre ma mère, dans les dernières années de sa vie.
Je me suis fait de nouveaux amis, et construit une entreprise plus forte. Et il y a autre chose: J'ai appris que l'herbe n'est pas toujours plus verte quand vient la vision émotionnelle. Pour une grande partie de ma vie, j'avais imaginé être handicapé par la cécité émotionnelle. Lorsque cela a changé, voir dans d'autres gens était écrasant. Devenir «typique» s'est avéré être une chose vraiment handicapante pour moi. Maintenant, je me rends compte que mes différences font de moi qui je suis - succès et échec tout pareil. J'appellerais ça une sagesse durement acquise.


John Elder Robison est un consultant sur l'autisme et l'auteur, plus récemment, de“Switched On: A Memoir of Brain Change and Emotional Awakening.” (Rebranché : Mémoire sur le changement du cerveau et l'éveil aux émotions)

Je ne sais pas si vous penserez comme moi que cette lecture est passionnante, parce qu'elle évoque toute une série de problèmes que le positivisme actuel laisse dans l'ombre, et en particulier les rapports entre le cerveau, la personne et ses symptômes, pour parler en moderne ses "troubles".

L'auteur de l'article évoque les troubles de la réciprocité émotionnelle, qui sont si particuliers dans le cadre de l'ancien syndrome d'Asperger, maintenant intégré dans les Troubles du Spectre de l'Autisme, dont notre auteur est manifestement "atteint". Et si l’autisme moderne est décrit par ses manifestations, qu'arrive-t-il, comme c'est le cas ici, quand une intervention externe, appelons ça un traitement, les fait disparaître ? 

Le but d'un traitement, classiquement, est, pour une part (traitement symptomatique), de faire disparaître les manifestations gênantes des maladies. L'autre partie, celle du traitement étiologique, vise à modifier les causes, proches ou lointaines, de ces mêmes maladies et donc, de ce fait, d'en modifier le cours. Si, comme dans l'Autisme Moderne le plus couramment partagé, on attribue les symptômes comportementaux à des anomalies du cerveau, jugées causales, que se passe-t-il quand on réussit un traitement étiologique ET un traitement symptomatique ?

Comme vous l'avez lu, c'est d'abord une catastrophe, avec toute une série de conséquences plus ou moins désastreuses, et qui interpelle sérieusement notre auteur dans ses croyances antérieures finalement sur la même ligne que l'autisme moderne, dont on pourrait démontrer (ce que je ferais pas ici) que c'est une construction à dominante "aspergienne". Il croyait dur comme fer au manque constitutif de perception émotionnelle comme trouble dont il est atteint, mais quand on lui rend ce dont il croyait manquer, l'auteur en est, selon ses mots, submergé. Il prend alors conscience que ses symptômes le protégeaient de cette participation émotionnelle réciproque pour lui si éprouvante, et que son monde à lui s'en trouve durablement changé. Ces changements externes mettent en avant ce que, à défaut d'un autre terme, je préfère nommer son Être : bref il n'était pas, comme il le pensait, ses symptômes, il y avait aussi cette chose là, lui même, dans son ancienne configuration économique aspergienne, et sa nouvelle, plus émotionnelle, qu'il doit en fait reconstruire avec patience.

Alors bien entendu, je pense que son cerveau s'était modifié grâce à la Stimulation Magnétique Transcranienne, mais il me semble que John Elder Robison a bien compris qu'il n'était pas réduit à son seul cerveau "malade". Bref son cerveau, et sa configuration aspergienne particulière, avait jusques là équilibré un ensemble d’éléments, en particulier émotionnels, volontiers brutaux, douloureux. Sa fermeture à la réciprocité émotionnelle (et la configuration cérébrale qui va avec), loin de n'être qu'un symptôme gênant, n'était qu'un état d'équilibre, au fond assez réussi, entre differents éléments, dont certains étaient extrêmement déstabilisants.

Je ne suis pas un savant, ni petit, ni grand, et l'étude des cerveaux ne m'a guère intéressé, sinon je serais devenu neurologue et non psychiatre, et vice versa, avis aux amateurs. Comme je suis médecin, et psychiatre d'enfants, avec une prédilection pour les plus jeunes, je sais aussi que ce qu'on nomme l'Autisme a des prémices strictement biologiques. Si John Elder Robison a les émotions si sans dessus dessous, c'est certainement parce que quelque chose n'a pas bien marché, et/ou peut être pas au bon moment. Erreurs, anomalies dans l'émergence de tel ou tel système de balancement émotifs ou sensoriels ? Je ne sais. Par contre, ce que je sais, c'est que son Être ne s'est pas tourné les pouces devant ces dysfonctionnements, qu'il y a travaillé, et que la solution trouvée, l'émoussement de la réciprocité émotionnelle, était peut être, après tout, la seule chose qu'il pouvait faire, sur l'instant...

Ne confondons pas les causes premières avec les conséquences ultimes de leurs métabolisations, que nos savants peuvent "lire" eux aussi, dans les Cerveaux comme révélés par la neuro-imagerie fonctionnelle.......

Un dernier mot : les arbitrages mystérieux de ce que je nomme l'Être sont dictés par les nécessités de l'instant. Quand le travail est repris, comme dans l'article, des années après, l’Être, encore lui, travaille encore à une autre optimisation qui, malgré son coût, finit par être plutôt efficace. De l'espoir donc, car les nécessités d'un moment peuvent ne plus exister à un autre, ce qui rend compte de l'amélioration spontanée des autismes le long du temps, mise en lumière par Laurent Mottron,.

A ce propos, j'aimerais vous faire prochainement partager une autre lecture, d'une interview et d'un article d'un neuro-scientifique de haute volée, et qui m'a ouvert des horizons passionnants, car resituant la survenue de bien des états décrits comme neurologiques dans cette dimension temporelle, bouleversant la monotonie du modèle linéaire simplifié génome-cerveau.

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