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Billet de blog 30 novembre 2015

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Autisme : L’eye-tracking et le problème de l’aire d’intérêt par Cédric Detienne

Les conceptions modernes de l'Autisme revendiquent souvent leur caractère scientifique. Mais peuvent elles faire l'impasse sur les problèmes épistémologiques propres à toute science ? L'étude des incertitudes concernant "l'eye-tracking" (la poursuite des mouvements oculaires) montrent que non.

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Avant Propos par Gilles Bouquerel

 La conception moderne de 'l’autisme, maintenant promue de manière universelle dans nos pays, se présente comme en grande partie basée sur des données scientifiques. C'est du reste un slogan habituellement utilisé de la présenter comme scientifique, et s'opposant en cela à des conceptions plus anciennes qui sont, elles,présentées comme non scientifiques, ou pré-scientifiques, ou carrément illusionnelles.

 Les catégories diagnostiques elles mêmes, dont on vante les nombreux avantages, ne semblent pas échapper à ce label  « scientifique »,, pour peu qu'elles soient « internationalement reconnues (CIM et DSM) puisque c'est la candeur descriptive qui les inspire.

Une littérature maintenant profuse nous renforce encore dans cette conviction. La science y est encore revendiquée dans des expérimentations nombreuses, essentiellement dans les domaines des neurosciences ou de la psychologie expérimentale.

 Mais qu'en est-il des « sciences », voire de « la Science » ? Quelle est la marge de confiance qu'on peut avoir quand on l'invoque ?

 Un petit article de Cedric Detienne nous en dit un peu plus sur ce sujet en évoquant l'exemple précis de « l'eye tracking », récemment proposé comme moyen d'un diagnostic précoce..

L’eye-tracking et le problème de l’aire d’intérêt

Cédric Detienne

 16/10/2015

 L’eye-tracking est une méthode à la pointe de la technologie très utilisée dans les recherches scientifiques pour observer des particularités ou des dysfonctionnements dans la perception visuelle chez les personnes autistes. Cela consiste en un système de capteurs électroniques permettant de suivre à la trace les fixations et les déplacements du regard d’une personne pendant qu’elle regarde une série d’images affichées sur un écran d'ordinateur. Les chercheurs utilisent par exemple cette technique pour déterminer objectivement ce qu’une personne regarde en premier lieu sur une image (regarde-t-elle d’abord les yeux ou la bouche sur un visage ?), ou encore ce qu’elle regarde le plus longuement (privilégie-t-elle tel ou tel type d’informations visuelles ?).

 Il est remarquable que trois récentes synthèses de la recherche scientifique utilisant l’eye-tracking avec les personnes autistes concluent que les résultats en la matière sont contradictoires et incohérents [Guillon & coll. (2014) ; Papagiannopoulou & coll. (2014), Tang & coll. (2015)]. La raison la plus souvent évoquée pour justifier les résultats contradictoires dans les différentes recherches est que le trouble du spectre de l’autisme constituerait une classe trop hétérogène pour obtenir des résultats suffisamment homogènes et reproductibles d’étude en étude.

 Toutefois, des chercheurs de l’Université d’Utrecht [Hessels & coll. (2015)] proposent une autre explication : l’interprétation des enregistrements fournis par l’eye-tracking implique des décisions techniques reposant sur des « choix subjectifs » (selon l’expression des auteurs) qui « affectent » directement les résultats. C’est ce que le groupe d’Utrecht appelle « le problème de l’aire d’intérêt ».

 Qu’est-ce qu’une aire d’intérêt ? Pour savoir si une personne a fixé son attention sur telle partie d’une photographie d’un visage plutôt qu’une autre durant l’expérience, les chercheurs doivent préalablement définir les limites des différentes parties du visage en dessinant un contour (techniquement dénommé « aire d’intérêt ») autour de chaque partie. Toutes les fixations du regard qui sont enregistrées à l’intérieur de ces zones sont comptabilisées comme des fixations d’une partie spécifique du visage. Le « problème » de l’aire d’intérêt est qu’il existe une grande variété de façons de définir les aires d’intérêts : quelle forme dessiner pour représenter la limite du nez (un rond, un carré, une rectangle, un triangle) ? Quelle est la meilleure taille du contour (laisse-t-on une marge ? Si oui, de quelle dimension) ? À partir d’où centrer le contour ? Répondre à ces questions n’est pas si simple avec des photographies, et implique des choix subjectifs qui affectent directement les résultats.

Quand bien même certains chercheurs préfèrent ne pas dessiner les contours à la main et préfèrent laisser un algorithme définir automatiquement les aires d’intérêt, ils doivent néanmoins choisir un type l’algorithme plutôt qu’un autre. Or les différentes méthodes ne convergent pas : « When tested statistically, the differences between A[rea] O[f] I[interest]-production methods were large enough, though, to affect the outcome for the A[ustism] S[pectrum] D[isorder] group. (…) the finding that AOI-production method affects the outcome of statistical tests is not trivial" [Hessels & coll. (2015)].

 Pour résumer, si on pouvait auparavant avoir l’idée que l’eye-tracking représente le comble de l’objectivité (le « super-regard » de la machine enregistre « tout » et n’est pas contaminé par le « facteur humain »), on commence petit-à-petit à se rendre compte que des choix méthodologiques (ici la définition de l’aire d’intérêt) impliquent directement la subjectivité des chercheurs, ce qui affecte les résultats des recherches.

 — — — —

 Références citées :

 Hessels, R. S., Kemner, C., van den Boomen, C., & Hooge, I. T. (2015). The area-of-interest problem in eyetracking research: A noise-robust solution for face and sparse stimuli. Behavior Research Methods. doi:10.3758/s13428-015-0676-y.

Guillon, Q., Hadjikhani, N., Baduel, S., & Rogé, B. (2014). Visual social attention in autism spectrum disorder: Insights from eye tracking studies. Neuroscience and Biobehavioral Reviews, 42, 279-97. doi : 10.1016/j.neubiorev.2014.03.013.

Papagiannopoulou, E. A., Chitty, K. M., Hermens, D. F., Hickie, I. B., & Lagopoulos, J. (2014). A systematic review and meta-analysis of eye-tracking studies in children with autism spectrum disorders. Social Neuroscience, 9(6), 610-32. doi:10.1080/17470919.2014.934966.

Tang, J., Falkmer, M., Horlin, C., Tan, T., Vaz, S., & Falkmer, T. (2015). Face recognition and visual search strategies in autism spectrum disorders: Amending and extending a recent review by weigelt et al., PloS One, 10(8), e0134439. doi : 10.1371/journal.pone.0134439.

Post Face : Autisme, la Science dit-on… Par Gilles Bouquerel

Ainsi science ne rime pas avec absolue confiance. Notre croyance en « La Science » ne doit pas oblitérer ce qu’on sait depuis toujours, et qui est le sujet même de l'épistémologie, c'est à dire que le chemin de la Connaissance est semé d’embûches, ou d'aléas, le principal desquels est l’aléa humain.

C'est que les instruments précieux de la Connaissance sont tous forgés par la Main de l'Homme 1, la main conceptuelle des diverses personnes humaines. Les catégories de la Connaissance, les agrégats auxquels elle procède, les voies et moyens qu'elle utilise sont souvent mouvants, aléatoires, arbitraires enfin, suivant en cela l'évolution constante des concepts, elle même modulée par divers facteurs, dont les effets de modes.

Dans la science de l'autisme même, la Main de l'Homme n'est pas absente.

Pourquoi évoquer ces faits ? Peut être pour relativiser ce qu'est ce que je nomme le « Nouvel Autisme », Après tout, lui non plus n'est pas exempt de choix humains subjectifs : sa grille conceptuelle, ses concepts diagnostiques, et en particulier les choix opérés pour caractériser les Troubles du Spectre de l'Autisme dans le DSM 5, ou les Troubles Envahissants du Développement dans le DSM IV, ses techniques diagnostiques (voyez l'article supra), sa conception courante actuelle comme un « trouble neuro-développemental » et ainsi de suite, sont tous liés à des choix humains, et donc des choix subjectifs. On peut bien entendu constater que ces choix humains possèdent une logique interne, que, s'ils sont arbitraires, ils ne sont ni incohérents ni absurdes. Mais la cohérence interne n'est pas un label définitif de vérité. On peut enfin ajouter que ces conceptions ont d'importants effets pragmatiques, et l'exemple américain est particulièrement là pour nous le démontrer, puis que, chez eux, le Nouvel Autisme a entraîné un vaste mouvement sociétal pour améliorer le sort des personnes autismes dans tous les domaines.

Les actuels TSA sont donc un état d'une vérité relative, dépendant des choix opérés. Encore faut-il que ces choix puissent apparaître pour ce qu'ils sont, une base axiomatique possédant une certaine cohérence et un certain degré d'utilité. Cette conception d'une vérité relative utilitaire peut nous être précieuse. Si nous provenons d'un autre environnement conceptuel, historiquement et géographiquement connotés, nous pouvons aussi reconnaître à cet environnement hérité le même degré de relativité utilitaire. Ainsi nous pouvons passer d'une relativité à une nouvelle relativité le long de l'utilité qu'elles peuvent procurer, et qui peut nous conduire à utiliser un nouvel environnement sans le doter de caractéristiques qu'il n'a pas, d'être La Vérité contre Le Mensonge, Le Bien contre Le Mal, La Connaissance contre l'Obscurantisme, et ainsi de suite.

C'est à un tel cheminement qu'on peut convier de nombreux acteurs dans le champs de la prise en charge, de l'accompagnement voire, horresco referrens, du soin destinés aux personnes autistes. La connaissance du Nouvel Autisme peut être une chance s'ils savent rester curieux, et prendre ce Nouvel Autisme pour un cadre conceptuel à vérité relative qui peut être utile, et s'ils s'autorisent à ne pas oublier ce que leur passé leur a appris. La connaissance des individualités, des valeurs personnelles et intimes des individus, même autistes sont chaque fois un plus quand on veut leur porter aide et assistance.

Le cadre relativement véridique du Nouvel Autisme peut les aider aussi à transmettre leurs expériences dans la nouvelle lingua franca, et ainsi aider à ce qu'elle ne se perde pas dans l'effondrement de la tour de Babel des Autismes.. Enfin la familiarité avec le Nouvel Autisme peut faire découvrir à un plus grand nombre qu'au sein même de ce nouvel ensemble se développent de nombreuses initiatives passionnantes dans le domaine des prises en charge, qui ne se limitent nullement à la « short list » dressée en son temps, maintenant lointain, par les « task forces » de la H.A.S, et qui ont, pour les plus intéressantes d'entre elles, intégré les facteurs affectifs, des intérêts individuels, des forces puissantes des relations.

Ainsi foncer tête baissée dans la muleta qu'on agite devant leurs yeux (« convertissez vous à la Vérité Vraie en confessant votre erreur passée ou périssez ») peut ne pas être la meilleure des réactions possibles, puisque, vous le savez maintenant, la conversion n'est pas nécessaire…...

1Roger Perelman, médecin au savoir inépuisable et à l'érudition universelle, qui était Professeur Agrégé de Pédiatrie du service dont je fus, voici quarante ans, interne aux Enfants Malades, évoquait par ce terme l'intervention du facteur humain, souvent médical du reste, dans les tableaux cliniques, et invitait ainsi le jeune clinicien que j'étais à aller au-delà de la croyance naïve que seule la Nature y jouait un rôle. J'appris bien plus tard, quand il l'évoqua publiquement, peu d'années avant sa mort en 2008, que Roger Perelman était un survivant d'Auschwitz.

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