Gilles Kujawski

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Billet de blog 4 septembre 2025

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BOLLORÉ ET FAYARD : RÉPONSE À OLIVIER BÉTOURNÉ

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Faut-il bouder son plaisir ? Les professionnel(le)s de l’édition ont regardé la prise de contrôle par Bolloré de Hachette, en particulier de Fayard, avec une passivité incrédule et résignée, mais aussi certain(e)s de la résilience magique du marché. Il n’y pourrait rien, le milliardaire breton, il y aurait toujours des autrices et auteurs, des calendriers de parutions, des lancements et des libraires, sans compter le très sécurisant Augustin Trapenard et son sourire aux anges hebdomadaire.

Pas même une baisse continue des achats de livres, et de la lecture, dont on n’arriverait pas à bout avec les prochains Nothomb ou Houellebecq. Tout irait bien.

La famille Calmann a la première ouvert le bal de la critique au premier semestre de 2025, soit environ deux ans après l’acquisition de Hachette par Bolloré. Puis est arrivé Olivier Bétourné, dans « Le Monde » du 1er septembre, ex-président du Seuil, vice-président de Fayard et secrétaire général d’Albin Michel (« Les maisons d’édition doivent réagir collectivement pour protéger leurs fonds contre l’extrême droite »). Tard vaut mieux que jamais : un manifeste contre l’emprise de Bolloré et ses idées, un appel à l’organisation d’assises intitulées « Halte aux prédateurs ».

Avant qu’on ait droit ensuite à Denis Olivennes entonnant « Siamo tutti antifascisti» dans les couloirs de CMI, quelques remarques pour M. Bétourné. L’emprise de Bolloré est le produit d’une concentration de l’édition-diffusion-distribution qui ne date pas d’hier, contre laquelle vous et quelques autres avez alerté sans jamais vous donner les moyens politiques de la contrer. Car, toute incommodante qu’elle était, elle participait de la sacro-sainte concurrence et n’entravait pas le Dieu marché. Et vous-même étiez aux manettes de maisons intégrées dans des grands groupes. Et donc, vous laissiez quelques rares intervenants politiques proposer des mesures anti-concentration - ça a été le cas de Jean-Luc Mélenchon - mais chacun son domaine : vous aviez soutenu la loi Lang, c’était bien assez, aux politiques de faire le reste du boulot.

Le premier problème est bien là : les intervenants principaux de l’édition-diffusion-distribution se servent de l’alibi de la loi Lang, vécue par eux comme le combat ultime assurant l’éternité de l’exception culturelle, pour renoncer à s’engager contre la concentration, comme incapables de comprendre que les mécanismes de marché, en lesquels ils ont une croyance divine, ont subverti et dépassé les digues de protection mises en place en 1981. Cependant que de nombreux politiques, trop heureux d’être publié(e)s par des maisons prestigieuses, s’abstiennent de prendre position ouvertement contre un système dont elles sont parties prenantes.

Le second problème est consubstantiel au premier. Les « grands » éditeurs-diffuseurs-distributeurs, en particulier celles et ceux qui se réclament de l'exception culturelle (osant parfois se dire de gauche), n'entendent réagir à l'offensive d'extrême-droite sur la culture et les livres qu'au moyen d' "assises anti-prédation", et font l'impasse sur les causes profondes, et profondément politiques, du mal. Les coups portés depuis de longues années contre l’éducation nationale et l’Université, la chute vertigineuse de la connaissance, de l’esprit critique et de la culture qui en résulte, le basculement de la société dans le néolibéralisme, marche-pied d’un autre basculement, quasiment mondial, dans l’autoritarisme, dont Bolloré et Stérin sont les relais économiques et culturels en France : faute d’un traitement de fond, les "assises anti-prédation" entre professionnel(le)s de la profession auront autant d'effet que le château de sable devant l'océan.

Il est donc temps de politiser le débat sur la concentration, et les mains-mises de l'extrême-droite sur les livres et toute la culture. Lier les questions indispensables propres à la profession (du droit d'auteur aux taux de remises aux libraires, en passant par l'exclusion croissante de populations paupérisées du marché des livres) à un projet politique alternatif de rupture avec les logiques exclusives de marché - qui ont déroulé le tapis rouge pour les concentrations et l'extrême-droite.

Chiche, Monsieur Bétourné ?

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