Mercredi 7 décembre, à la Philharmonie de Paris. Une salle magnifique, à l'acoustique inestimable, plantée au bord du périphérique, porte de Pantin.
Mercredi 7 décembre, donc, un concert à l’affiche : « Playing for Philharmonie ». Dirigées par le chef d’orchestre le plus en vue du moment, François-Xavier Roth, des œuvres de Brahms, Charpentier, Tchaikovsky, Verdi, interprétées par 350 musiciens, orchestre et chœur. Du grand. On s’en pourléchait les babines.
Bon, il y avait ce titre, « Playing for Philharmonie ». Pourquoi un américanisme, quand « Jouer pour la Philharmonie » eût été bienvenu et suffisant ? Mais on choisit de fermer les yeux.
On les rouvrit, pour découvrir sur le programme que le concert était co-financé par La Société Générale. On tiqua. Le mécénat, cette huile de foie de morue de la culture, qui, à la différence de l’huile, ne guérit de rien. Pire, elle aggrave le mal, sous couvert d’élargir les possibles, d’ouvrir vers du plus et du mieux. Du plus, soit. Du mieux...
On prit place. Un film introductif au concert : les coulisses de cette 12ème édition de « Playing for Philharmonie", qui se termine par un plein écran « Société Générale : l’avenir, c’est vous ». Il aurait été plus honnête de remplacer ça par « Société Générale, notre avenir, c’est vous, vos placements, vos emprunts, vos arriérés bancaires ».
Le concert démarre.
Roth se saisit d’un micro après la première œuvre. Présente le projet "Playing for...". Le mot « challenge » est prononcé une première fois. Pas le mot francophone « challenge » ni son intonation, mais sa version américanisée, « tchallainje ». Le mot se faisait déjà entendre dans le film introductif, ça commençait à faire beaucoup.
Et Roth de continuer, et nouveau « tchallainje ». Il fera quatre interventions durant le concert, avec, dans chacune, l'irruption de ce maître-mot de la nov’ langue moderne.
Bon, allez, quoi, on se détend, du plaisir, du bonheur, du Brahms (Un requiem allemand, quelle merveille), du Tchaïkovsky, on oublie un peu le négatif !
Pas si simple.
Car le Maestro termine sa prestation en reprenant le micro, remercie légitimement toutes et tous ses collaboratrices et collaborateurs (dont beaucoup de musiciennes et musiciens amateurs)... et se lance dans un hommage appuyé à la Société Générale. Il faut qu'on sache, dit-il, que jamais le concert n'aurait eu lieu sans le SG, et tout ce que la SG fait pour la culture. Et Roth de la remercier et la faire applaudir.
Nausée.
Restons calme. Avant le début du concert, déjà, une musicienne était venue préciser que la recette du concert serait doublement abondée par la SG, et le tout reversé, pour permettre à 1 200 personnes de venir à la Philharmonie, qui, normalement, n'y auraient pas eu accès.
Et alors ? C'est le vif du sujet. On comprend donc que sans le concours et l'offensive publicitaire et marketing d'une banque, l'accès à la Philharmonie est impossible pour (au moins ? Au minimum?) 1 200 personnes. Enormément plus, en réalité. Les 1 200 personnes sont une goutte d'eau.
Ca devrait ne pas poser plus de problème que ça ?
Eh bien si. Passons sur le principe : une banque arrive à se rendre indispensable à un établissement public, la Philharmonie. On appelle ça le grignotage du public par le privé, ou privatisation rampante. Ca commence par un logo sur un programme, on ne sait jamais où ça finit.
Ou plutôt on le devine.
Il y a ensuite un mécénat de la SG sur lequel ladite SG récupère. Combien ? Toujours 66% de son investissement, ou la loi Aillagon a (enfin) été modifiée ? Sinon, c'est le/la contribuable qui paye pour l'immense générosité de la SG.
Il y a enfin l'étalage de bons sentiments. La SG permet à des exlu(e)s de la Philharmonie d'y entrer. On fond d'émotion. Mais on ne se retient pas de penser que trop de gens sont exclus de la culture, par insuffisance de ressources, par précarité, par chômage, par un mélange d'Hanouna et de "réseaux" si peu sociaux, qui les plaquent au sol, les asphyxient, leur interdit l'accès à l'imagination, à la création, à la liberté.
Et que cette verrue-là, avec toutes ses collègues, la Société Générale en est largement responsable.
Par ailleurs, ce fut un beau concert.