Gilles Kujawski

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Billet de blog 9 mars 2024

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Bolloré / Fayard : l’édition entre Munich et la défaite de la pensée et des idées

Avec le départ d'Isabelle Saporta, se précisent le scénario d'une prise de pouvoir totale chez Fayard par Vincent Bolloré, et une mise au pas de tout le groupe Hachette.

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Entre le « rien n’est fait » propagé par les uns, et le « c’est plié » porté par d’autres, la réalité fait son chemin : Hachette-livres, et Fayard en particulier, ne sont pas tombés aux mains de l’extrême-droite, mais le scénario se profile avec précision.

Tout n’a pas commencé avec l’achat de Hachette-livres par Bolloré. Le même avait eu le bon goût de dévoiler ses manières de faire, dès les acquisitions du groupe Canal+. C’était du Hersant pur jus, de la grande époque « Figaro », ou du Bouygues-Le Lay de l’époque TF1 : normalisation à la soviétique, suppressions de programmes indésirables, chutes de têtes. C’était de la mise aux normes, les normes maison, celles d’un autoritarisme ultra-conservateur et néolibéral.

Bolloré a mis la main sur Editis. Les signes de ses démangeaisons sont apparus avec les affaires Meurice, Zemmour-Rubempré et Lise Boell, mais ses vues sur Hachette- livres ont pris le dessus sur la mise au pas totale d’Editis. Et puis les livres se vendaient, Augustin Trapenard souriait à tout rompre à l’écran, l’esprit de Munich et de la ligne Maginot vivait toujours dans les esprits.

 Les affaires Canal+ et C8 n’avaient empêché personne, dans l’édition, ni de dormir, ni d’aller travailler le matin. Quant aux vaguelettes chez Editis, bien fait pour la concurrence pour les un(e)s, qu’ils se débrouillent entre eux, pour d’autres – et tant pis pour les alertes de la CGT. Et puis jamais Bolloré n’oserait traiter Hachette comme il avait traité ses chaînes de télévision et commencé à traiter Editis. Les livres, il n’y connaissait rien, ce serait à lui de s’adapter à Hachette, et non l’inverse. L’achat de Hachette livres ? Une affaire de business, tout au plus, et, quand il aurait acheté Hachette, il y aurait toujours des nouveautés, des offices, des lancements, de la concurrence, les salaires et primes tomberaient, tout continuerait comme avant.

Tout le monde à son poste. Qui craint le grand méchant loup ? C’est pas nous du tout.

 Et on n’allait pas parler de politique, hein. On travaille, on ne fait pas de politique, c’est connu. Bolloré ? On n’allait pas s’affoler, ça n’est pas sa protégée, l’ancienne attachée de presse chez Albin, qui allait dicter sa conduite à quiconque, ou alors elle allait trouver à qui parler. Ses idées ? Elle a le droit d’avoir des idées, non ? On ne va pas crier au fascisme dès qu’on publie autre chose que du « woke »!

Les avertissements, les alarmes, rien ne vous a distrait(e)s. Aujourd’hui, le renard est dans le poulailler, ce qu’on n’osait imaginer est arrivé, déposition de la présidente de Fayard et arrivée imminente de la protégée aux commandes de la maison. Ce qu’on appelle un putsch en diplomatie militaire, et qui n’est qu’une prise de pouvoir par Bolloré.

Bien sûr, il s’en trouvera toujours pour n’y voir que le remplacement d’une autre protégée, de Sarkozy, celle-là, pas du tout à la hauteur de sa prédécésseuse. Et qui l’aura donc bien cherché.

L’affaire déborde les personnes. Ce qui est en cause, c’est l’édition, et ses prolongements, la diffusion et la distribution, tombées au rang de joujoux aux mains d’idéologues sectaires. Ce qui est en cause, c’est que l’édition, entendue au sens de l’exception culturelle, est un outil de diffusion des imaginaires, des savoirs, des connaissances, l’édition est affaire de création, de toute création, non uniquement d’idées ultra-conservatrices, à quoi Bolloré menace de réduire ses prises de guerre chez Hachette. À côté de ces principes essentiels, peu importent telle ou telle personnalité, ses mérites ou ses casseroles, hélas secondaires.

L’entreprise Hachette livres est menacée par une idéologie obscurantiste, et à ce titre dangereuse. L’aveuglement a été de mise, chez Hachette (où l'on balançait entre peur et incrédulité) et dans les sphères médiatique et intellectuelle, malgré les préparatifs du groupe Bolloré, qui avaient tout d’une armée qu’on masse aux frontières en assurant qu’on ne va jamais les franchir, malgré une proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale contre la concentration dans l’édition, des tribunes, des cris d’avertissement et d’alarme.

Mais le seul mot d’ordre à sembler animer les univers médiatique et éditorial n’est pas la vigilance, encore moins l’esprit critique ni l’engagement, mais « the show must go on ».

On n’a pas fini d’en payer le prix.

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