Gilles Kujawski

Retraité, militant à mes heures, banlieusard

Abonné·e de Mediapart

65 Billets

0 Édition

Billet de blog 15 janvier 2022

Gilles Kujawski

Retraité, militant à mes heures, banlieusard

Abonné·e de Mediapart

Combattre Bolloré, combattre la concentration dans l'édition

Bolloré annoncera bientôt l'absorption du groupe Hachette par Editis. J.L.Mélenchon préconise une loi anti-monopole. Une loi anti-concentration assainirait une édition-diffusion-distribution assiégée par les gros groupes et la tentation de monopole. La transition vers la VIème république dans la chaîne du livre est à ce prix. Par Michel Larive, Député LFI, et Gilles Kujawski.

Gilles Kujawski

Retraité, militant à mes heures, banlieusard

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le dossier Lagardère-Hachette/Vivendi-Editis, et surtout Bolloré, a remis en avant la question de la concentration dans le monde de l’édition. Question d’une grande acuité, dans cette chaîne du livre écrasée par l’hyper-puissance des deux groupes, et dans laquelle le poids stratégique et effectif de la distribution est décisif.
Relayés par des groupes moins puissants, Hachette et Editis façonnent la création sur le mode du financement par le best-seller et la nouveauté, sous couvert de donner ses chances à une création exigeante, et bloquent l’indispensable redéfinition du droit d’auteur. En aval, ils façonnent des conditions commerciales concédées à Amazon, la Fnac, et d’autres, sur lesquelles leurs concurrents peuvent difficilement s’aligner, et possèdent une force de frappe inégalable dans la distribution.
Vient s’ajouter le recrutement par Editis/Vivendi d’Éric Zemmour et de sa maison d’édition, Rubempré, et un soupçon de droitisation, que le PDG de Vivendi se garde bien de dissiper.

Le monde de l’édition voit avec inquiétude un duopole gargantuesque qui, si les menées de V. Bolloré se concrétisaient, deviendrait monopolistique. Rappelons que le patron d’Editis/Vivendi a annoncé son intention d’absorber Hachette, rien de moins, vingt ans après une tentative inverse par Hachette, tout en évitant de préciser comment il ferait ni dans quel but. L’incrédulité est forte autour de son annonce, mais, en bon brouilleur de pistes, il laisse enfler les hypothèses et spéculations.

Le temps, probablement, d’affiner ses choix, entre acquisition du groupe Hachette et fusion avec Editis, puis revente du moins rentable des deux groupes pour ne conserver que la fine fleur, en une unité « Hulk », toute de biceps et de compétitivité, ou revente massive d’éditeurs pour financer un projet médiatique de très grande ampleur. Dans tous les cas, il évitera les autorités de la concurrence, et fera savoir à l’édition et aux marchés financiers qui est le maître à bord (pour les médias, c’est déjà fait).

Un autre message était clair depuis longtemps, il se confirme, pour qui nourrissait encore une quelconque illusion : les livres sont un hochet, une banale marchandise, tout au plus. Bon courage à qui voudrait parler exception culturelle avec Vincent Bolloré.

JEAN-LUC MELENCHON REAGIT

En réaction, Jean-Luc Mélenchon, le 3 janvier sur France Inter, s’est prononcé en faveur d’une loi anti-monopole (« Il faut une limite au nombre de maisons d’édition qu’on est en droit de posséder. Pareil dans l’audiovisuel. La culture ne peut vivre que dans la diversité. Nous ferons une loi anti-monopole. Le monopole est incompatible avec l’idée même de la créativité culturelle »), en cohérence avec Res-cultura, Res-publica, livre-manifeste de Michel Larive (éditions Bruno Leprince), et avec avec les mesures préconisées par le groupe culture de LFI. Problème : dans l’édition, on est déjà aux portes d’un monopole de fait. Vincent Bolloré n’a fait que tirer parti d’une structure de l’économie du livre qui lui a servi sur un plateau ses hallucinantes idées de remodelage total du paysage éditorial. Une action rapide s’impose, ou les livres disparaîtraient derrière un marché ivre de lui-même.

Une proposition de loi doit s’attaquer très rapidement à la concentration. C’est elle qui structure l’édition et la distribution françaises depuis les années 60, qui a fait de la chaîne du livre une confrontation de mastodontes, tue la petite et moyenne entreprise, éditoriale ou autre, ou la maintient sous respiration artificielle. Elle, enfin, qui tient lieu de marchepied à la tentation du monopole.

Le ver de la concentration a rongé le fruit de l’intérieur et ouvert la voie au monopole : il faut en prendre la mesure.

La question de la « taille critique » nécessaire pour affronter la concurrence européenne ou mondiale, ou Amazon pour la distribution, et justifiant la concentration, ne se pose pas. Hachette et Editis ont déjà plus qu’une taille critique, faisant jouer avec Amazon un « donnant-donnant » et des conditions enviables, qui en ont fait leur premier client. Rien, bien au contraire, ne permet d’affirmer qu’à l’état de monopole, ou d’entreprise-muscle, l’entreprise de Bolloré renverserait la table avec Amazon, qui s’avérerait plutôt un précieux allié dans sa stratégie de conquête tous azimuts.

Le combat contre Amazon passe par la récupération de son évasion fiscale, une imposition légale, un soutien constant, sans relâche, à la création, à la librairie indépendante, une opposition aux implantations de nouveaux entrepôts. Il ne passe pas par la concentration.

EDITION : ANCIEN MONDE, NOUVELLE REPUBLIQUE

La chaîne du livre est redevable à l’édition telle qu’elle a vécu depuis la libération, où se côtoyaient le prestige d’auteur(e)s et d’éditeurs(trices), le savoir-faire technique et commercial et des climats sociaux acceptables. Sans qu’on puisse, cependant, gommer les difficultés de la petite et moyenne édition, ni les limites du modèle aujourd’hui, si modèle il y a jamais eu.

Les priorités d’une nouvelle République seront de remettre la création en son centre, d’en conforter la diffusion dans la société tout entière, et à travers elle de réhabiliter la transmission, pour un retour permanent à la création. C’est autour de cette dynamique que le marché du livre doit se réorganiser. Les professionnel(le)s du livre, du début de la chaîne (les auteur(e)s), à la fin (les libraires), ont l’enthousiasme, l’expertise et la passion : la sortie du système actuel et la bifurcation vers un modèle nouveau pourra s’appuyer sur ce corps plein de vitalité.

L’enjeu étant clair : le marché continue sa lente digestion de la culture, ou, à travers l’exception culturelle et les livres qui en portent le flambeau, la culture s’émancipe du marché.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.