Gilles Rotillon (avatar)

Gilles Rotillon

Economiste, professeur émérite à Paris-Nanterre

Abonné·e de Mediapart

105 Billets

0 Édition

Billet de blog 1 janvier 2024

Gilles Rotillon (avatar)

Gilles Rotillon

Economiste, professeur émérite à Paris-Nanterre

Abonné·e de Mediapart

Macron : Bla, bla, bla

Dans une tribune du Monde, Macron nous révèle qu'il n'a rien à nous dire

Gilles Rotillon (avatar)

Gilles Rotillon

Economiste, professeur émérite à Paris-Nanterre

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je n’ai évidemment pas regardé les vœux de Macron, m’évitant une crise de rage impuissante devant sa suffisance, son autosatisfaction, ses mensonges. En revanche j’ai lu la tribune qu’il a fait écrire en son nom dans Le Monde[1] pour expliquer à ceux qui ne les auraient pas encore comprises la cohérence et l’ambition de sa stratégie pour (c’est le titre de la tribune) « accélérer en même temps sur la transition écologique et sur la lutte contre la pauvreté ». Je souligne « en même temps » qui est le panneau indicateur de sa hauteur de vue capable de dépasser toutes les contradictions.

Cette « stratégie », qui mérite des guillemets pour souligner le vide qu’elle recèle, a soi-disant sept piliers, comme le monde a sept merveilles sans doute. Pour la résumer en quelques mots, disons qu’elle est surtout composée d’annonces de multiples « sommets » (c’est révélateur de la place où il entend se situer, quand l’inconscient parle si fort il en devient assourdissant) dont on peut être sûr qu’ils auront lieu, tant ils ne sont là que pour signifier le volontarisme et l’engagement qu’il assure vouloir mettre au service des priorités[2] qu’il affirme être les siennes dès le début de son texte : « réduire nos émissions de dioxyde de carbone, viser la neutralité carbone en 2050, sauver notre biodiversité et lutter contre la pauvreté et les inégalités ». Si, si, c’est ce qu’il écrit sans frémir, « lutter contre la pauvreté et les inégalités » quand 9 millions de personnes vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté, que les Restos du Cœur voient leurs files s’allonger et menacent de fermer, que les SDF ne cessent de croître, dépassant les 300 000, … et que les dividendes explosent !

Des sommets donc, sur l’eau en septembre 2024 avec le Kazakhstan, sur l’océan en juin 2025 avec le Costa Rica ou les sommets One Planet qui menacent de devenir un des lieux récurrents de la production d’engagements non contraignants comme les Cop successives en donnent le triste exemple depuis 28 ans.

Pour le reste, il y a le devoir de sortir des énergies fossiles (premier pilier). Un objectif « non négociable » (quelle fermeté), dont la science fixe la trajectoire. Cette science qu’il avait si bien su entendre lors de ses vœux fin 2022 (« qui aurait pu prévoir » avait-il osé) et qui a fixé la trajectoire depuis bien longtemps, sans grand succès auprès des gouvernements et des grandes entreprises. Il faut aussi traiter en priorité (encore une) la menace du charbon (deuxième pilier) dont il annonce la sortie en 2027 pour la France, promesse déjà faite en 2017 pour 2022 !

La troisième priorité c’est de « mettre la finance privée et le commerce au service de l’accord de Paris ». Beaucoup de « nous devons », « nous avons besoin » sans dire comment on va s’y prendre en insistant sur la nécessité d’une clause climatique dans les accords internationaux après avoir voulu ratifier le Ceta entre l’UE et le Canada (ratifié à l’Assemblée nationale et rejeté au Sénat) alors que la commission d’évaluation avait indiqué sa carence environnementale.

On reste dans le vœu pieux avec le quatrième pilier : « créer les conditions d’un choc financier pour aider les pays les plus vulnérables à financer leur transition ». Pour ce faire il faut une « politique budgétaire et monétaire non orthodoxe » s’appuyant sur le déblocage « d’actifs dormants ». On se demande pourquoi on ne les a pas réveillés plus tôt au vu de l’urgence climatique serinée par la science depuis si longtemps. Une fois de plus c’est entretenir l’idée (fausse), qu’il suffirait de compenser financièrement des dommages grâce à un argent déjà existant qui va être mobilisé, plutôt que d’avoir réagi en amont, avant que ces dommages se soient matérialisés. Et comme on n’est pas à un vœu près, révisons les mécanismes de gouvernance mondiale, qui en ont certes bien besoin mais dont la conjoncture géopolitique mondiale (montée de l’extrême droite un peu partout, guerre en Ukraine, massacres de masse à Gaza), rend cette révision bien incertaine.

L’argent joue encore un rôle essentiel dans le cinquième pilier, consistant à rémunérer les services rendus par la nature. Plutôt que de rémunérer la nature qui n’a pas grand-chose à faire de notre argent, il s’agit en fait de passer des contrats bilatéraux avec des pays ayant d’importants puits de carbone pour les inciter à ne pas les affaiblir en déforestant à tout va. Autrement dit ce sont des gouvernements (pas toujours exemplaires), qui vont recevoir des rémunérations pour les services écosystémiques rendus par leurs actifs naturels, à commencer par la Papouasie-Nouvelle-Guinée, le Congo-Brazzaville et la République démocratique du Congo (qui pourra sans doute continuer à exploiter les enfants dans ses mines de cobalt, de cuivre ou de diamants), alors qu’en même temps la France y soutient Total-Energie dans son projet d’oléoduc climaticide.

Le sixième pilier concerne la protection de l’océan pour conserver « notre tout premier puits de carbone », tout en « actualisant le droit international » notamment en interdisant la pollution plastique. Là c’est vraiment sérieux puisque tout cela se fera à un de ces sommets où Macron se complait tellement. Mais quand on voit combien les pays sont réfractaires à accepter des accords un tant soit peu contraignants lors des Cop, on peut être dubitatif quant à ces effets de manches annoncés en quelques lignes dans une tribune du Monde.

Enfin, last but not least, le septième pilier, qui est la base de tout l’édifice puisque « tout ce qui précède « ne pourra pas être appliqué par tous » sans lui, concerne la refonte du système de Bretton Woods, avec une réforme de la Banque mondiale et du FMI. Mais là on est dans le flou le plus complet puisque Macron ne daigne expliciter ni le contenu de cette refonte, ni les moyens pour y parvenir[3]. Une sorte de vœu à la puissance deux.

Au final, on retrouve un Macron fidèle à lui-même, généreux dans les annonces vides et, en même temps, avare dans les moyens de les réaliser.

[1] Daté du samedi 31 décembre 2023, lundi 1er et mardi 2 janvier 2024

[2] Les « priorités » abondent sous Macron. Il y avait la moralisation de la vie politique, la réforme du droit du travail, la simplification de la vie des PME, la réorientation de l'Europe, ou encore ce qu’on pouvait lire dans la feuille de route qu’Elisabeth Borne présentait à l’issue du Conseil des ministres du 26 avril 2023, sans oublier la cause des femmes.

[3] Demander aux pays émergents de « prendre leur part de responsabilité dans le financement des biens publics mondiaux » sans que les pays riches aient été capables de prendre les leurs depuis que la science a fixé la trajectoire, ce n’est pas définir une stratégie c’est donner aux autres des leçons qu’on a soi-même pas mises en œuvre.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.