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Billet de blog 4 avril 2025

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Les urnes ou le droit ?

En ne prenant pas clairement position directement sur le jugement de Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon fait une faute politique et une erreur d'analyse.

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 Pour que les choses soient claires, même si je ne partage pas toutes leurs analyses, et que je trouve le programme du NFP bien trop timoré quant aux mesures qu’il propose, je considère que LFI est pour l’instant la seule force de gauche suffisamment puissante pour initier une rupture réelle avec la poursuite au fil de l’eau de la politique actuelle en France.

J’ai voté Mélenchon sans états d’âme aux élections présidentielles de 2017 et 2022 et je recommencerai s’il est le candidat de la gauche en 2027 ou même si celle-ci se présente éclatée[1].

Dans ce dernier cas, la défaite serait certaine et on aurait de nouveau le faux choix entre le RN, quel que soit son candidat, et un représentant de la droite, certitude du pire ou du pire. Il y en aurait, bien sûr, qui continueraient à dire que les deux pires ne s’équivalent pas et qu’entre les deux il faut choisir le moindre. Mais les années de macronisme ont pourtant bien montré, avec une politique donnant de plus en plus de gages au RN (immigration, sécurité), que c’est lui qui a rendu l’un des pires de plus en plus possible, alors qu’il promettait de tout faire pour l’écarter.

Imaginer qu’un échec du RN contre la droite aux prochaines élections ce serait écarter le danger, c’est refuser de tirer la leçon des années Macron et ne pas voir que ce sont elles qui ont permis au RN d’être aux portes du pouvoir. Et ce ne sont pas Retailleau, Darmanin, Philippe ou Wauquiez qui changeraient quoi que ce soit.

Ceci étant dit, le jugement condamnant Marine Le Pen  et l’empêchant de se présenter à l’élection présidentielle dans l’état actuel des choses a suscité des commentaires aussi bien de Mélenchon que de nombreux dirigeants de LFI, qui tranchent avec les réactions des autres partis de gauche qui ne vont pas dans le sens d’une unité retrouvée, et donc qui augmentent la probabilité de candidatures multiples en 2027.

En déclarant que c’est le peuple qui doit destituer les élus, Mélenchon ne peut que donner l’impression qu’il désapprouve la condamnation de Le Pen. Et Eric Cocquerel a beau expliquer que cette position est une position de principe qui ne remet pas en cause la nécessité d’appliquer la loi, dont il reconnaît sans ambiguïté qu’elle l’a été en conformité avec les textes existants, en se plaçant dans l’optique d’une sixième république qui n’existe pas il refuse de donner un avis net sur le fait de la condamnation.

Car il n’y a qu’une seule chose à dire sur ce sujet, c’est que non seulement elle est normale compte tenu des délits confirmés par une longue procédure et de la législation en vigueur, mais que pour une fois une personnalité politique de premier plan[2] (avec Sarkozy, double bon signe), est traitée comme n’importe quel citoyen (qui sont plusieurs milliers à avoir une condamnation assortie d’une exécution provisoire tous les ans et pour des délits le plus souvent bien moins graves que le détournement de 4 millions d’argent public).

C’est pourquoi il y a lieu de se réjouir de ce jugement, pas parce qu’elle écarte Marine Le Pen d’une candidature programmée victorieuse (elle sera remplacée s’il le faut et peut-être même que son éviction donnerait une soif de revanche à ses partisans qui pourrait booster son remplaçant), mais parce que la justice doit être la même pour tous.

C’est d’ailleurs une des justifications donnée par les juges : «  l’exemplarité institutionnelle […] nécessite que les valeurs consacrées par notre loi fondamentale, telles que l’égalité de tous devant la loi ou l’indépendance de l’autorité judiciaire, soient pleinement et parfaitement respectées ».

On peut bien sûr trouver la loi perfectible et Eric Cocquerel a raison de noter que si les textes qui ont été appliqués existent, c’est au cours d’un processus législatif largement initié par la droite qui, sur des années, n’a cessé de durcir les peines sous prétexte de lutte sans concession contre le terrorisme et la délinquance.

Aujourd’hui ces lois répressives peuvent être jugées injustes en réduisant un recours suspensif de l’appel qui défavorise la défense et on assite à l’histoire de l’arroseur arrosé qui aurait pu l’être encore plus si on avait suivi Marine Le Pen elle-même quand elle réclamait une inéligibilité à vie pour les politiques coupables de détournement de fonds publics.

Alors dans une sixième république une discussion de ces textes est évidemment possible et même sans doute nécessaire, mais c’est une tout autre question que le commentaire qu’on peut faire sur la situation actuelle, créée par la condamnation de Marine Le Pen.

En déclarant que c’est le peuple qui devrait destituer les élus, sans prendre position sur la condamnation elle-même, sauf en donnant le sentiment qu’il la regrette, Jean-Luc Mélenchon fait à la fois une faute politique et une erreur d’analyse.

Une faute politique parce qu’en se singularisant des autres forces de gauche, il accentue la fracture entre elles et LFI en augmentant le risque de leur désunion et donc l’échec certain en 2027[3]. Il n’a évidemment pas manqué de commentateurs pour souligner cette prise de position différente comme un signe de plus de l’impossibilité de s’unir avec LFI.

Et ce d’autant plus qu’il est lui-même pris dans une affaire similaire de détournement de fonds européens, certes à un niveau bien moins grave (trois assistants parlementaires sont accusés de ne pas avoir travaillé dans le cadre de leur mandat mais au service de la politique nationale de LFI), mais comme le dit Eric Cocquerel, c’est une question de principe et sur les principes on ne transige pas.

Il faut d’ailleurs noter, que si on se place sur le niveau des principes, ici celui de la destitution des élus par le peuple (qui n’est pour l’instant pas prévue), il n’y a pas lieu de se restreindre aux moments des élections (quel que soit leur statut), et qu’on peut parfaitement vouloir des destitutions sous d’autres conditions. C’est par exemple ce qui existe au Chiapas, où les élus ne le sont que pour une quinzaine de jours, une pratique bien différente de la nôtre où la politique est un métier qu’on exerce à vie (ou du moins pour lequel on fait tout pour que ce soit le cas[4]).

Quant à l’erreur d’analyse, elle vient du fait de ne considérer que le plan de la lutte politique qui serait nécessaire (c’est évidemment exact) et suffisante pour ne pas avoir besoin de s’encombrer de subtilités juridiques qui ne feraient que brouiller les enjeux.

Outre l’idée sous-jacente du niveau de la cour de récréation du môme à qui on a volé sa victoire obtenue loyalement et qui boude, on pourrait aussi y voir un refus de la séparation des pouvoirs qui rendrait la justice inutile, puisque « le peuple » devrait trancher.

Alors, les urnes ou le droit ? La réponse est évidente, les deux mon capitaine.

*

[1] Quel autre choix peut-on envisager ? Le PCF est réduit aux acquêts et les positions de Roussel affligeantes, les Verts, si je partage leur volonté de lutter pour l’environnement sont incapables de rassembler une majorité suffisante pour l’emporter (leur score aux diverses élections le montre), et le PS … !

[2] Et dont il faut répéter qu’elle ne l’est devenue que grâce à Macron.

[3] A moins d’imaginer que Mélenchon soit convaincu que sa candidature pourrait suffire à lui assurer une présence au second tour. Une hypothèse qui poserait la question de sa lucidité.

[4] C’est qu’il doit y avoir quelques avantages à vouloir durer dans ce système (à commencer justement par ce statut de fait dérogatoire au droit commun qui fait du politique un justiciable pas comme les autres). Et pitié, pas la fable de la vocation à travailler pour l’intérêt général qu’on cultive depuis le berceau.

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