Le 4 juin 1958, à Alger s’adressant à la foule massée sur la place du Forum, le général de Gaulle prononçait son devenu célèbre « Je vous ai compris ».
Le 5 décembre 2024, après la censure de son gouvernement et depuis l’Elysée face aux caméras de télévision, Emmanuel Macron explique sans rire que sa décision de dissoudre l’Assemblée Nationale « n’a pas été comprise ».
Une décision bien évidemment « inéluctable » selon lui car le vote aux européennes avait donné une large avance à l’extrême droite et placé les « extrêmes » en tête sans qu’il s’interroge sur sa responsabilité dans ce résultat, clairement dû au rejet de sa politique par une majorité de Français.
Une responsabilité qu’il refuse d’assumer en accusant ceux qui la lui reprochent d’avoir une position « beaucoup plus confortable » en le rendant responsable de la situation actuelle plutôt que de reconnaître la leur propre.
Résumons l’essence de la pensée présidentielle, si tant est qu’il soit possible d’en saisir la profondeur pour qui n’a pas ses grandes capacités intellectuelles.
J’ai pris la seule décision possible en dissolvant l’Assemblée et vous n’avez rien compris.
Quel fardeau ce doit être pour un tel génie de tenter, envers et contre tous, de faire le bonheur des gens malgré eux. De tout faire pour améliorer l’école, la santé, le climat comme il l’affirme à la fin de son discours en appelant à l’unité, alors que ces députés irresponsables ont refusé un excellent budget qui impliquait la suppression de 4 000 postes d’enseignants, 2 milliards de coupe dans les aides écologiques et la non-revalorisation des pensions de retraite, avec en prime le maintien de cette réforme si injustement décriée repoussant de deux ans le départ en retraite des plus modestes.
S’il en fallait encore une preuve, ce discours confirme le mépris qu’il a pour tous ceux qui ne l’admirent pas pour son œuvre civilisatrice.
Et cette œuvre se résume très simplement par un soutien sans faille au capital, quoi qu’il en coûte avec cette politique de l’offre qui creuse de plus en plus les inégalités et qu’il se refuse absolument à abandonner.
C’est bien pourquoi il ne démissionnera pas, ce qui rend la stratégie de LFI irréaliste, mais également interdit le moindre « compromis » avec des partis du NFP qui inclurait l’abrogation de la réforme des retraites et des hausses d’impôts sur les plus riches (entreprises et particuliers). La rupture avec la politique menée depuis sept ans et qui nous a conduit à la situation d’aujourd’hui ne peut espérer se produire qu’avec des « compromis » qui ne seront jamais jugés tels par le camp macroniste, comme en témoigne leur acharnement récent à torpiller la niche parlementaire de LFI qui avait l’abrogation des retraites au programme.
Donc, sauf trahison de la sociale démocratie du PS (ce qui ne serait évidemment pas une première mais risquerait fort de lui coûter une place dans une opposition de gauche pour longtemps), on voit mal le contenu du moindre « compromis » que réclament tant de commentateurs sans s’attarder une seconde sur ce qui pourrait faire l’objet d’un consensus.
Il faut donc s’attendre à une succession de censures si Macron s’entête à ne vouloir nommer que des premiers ministres qui s’engagent à continuer son « œuvre ». Jusqu’à quand ? Sans vouloir faire de politique fiction, je me risquerai à prévoir que cela pourrait durer jusqu’aux prochaines élections présidentielles.
En effet, l’hypothèse d’une dissolution de l’Assemblée Nationale en juin prochain me semble largement improbable. Si elle était déjà incompréhensible en juin dernier, elle pouvait apparaître comme un pari de Macron comptant sur la dissension de la gauche pour espérer une majorité absolue au Parlement. Un pari perdu qu’il n’a jamais voulu reconnaître, mais un dernier coup de bluff pour reprendre la main. En revanche, une dissolution en juin prochain a encore moins de chance de lui donner une chambre à sa botte. Le petit contingent de députés qui ont été réélus cette fois-ci, l’ont été pour une bonne part grâce à un désistement sans faille du NFP quand un RN risquait d’être élu. Compte tenu du refus de Macron de reconnaître la victoire du NFP en nommant un premier ministre issu de ses rangs, refus qu’il continue à maintenir aujourd’hui, il y a de fortes chances qu’un tel report de voix ne se produise pas aussi systématiquement et on voit mal dans quel réservoir de voix les macronistes pourraient piocher pour être malgré tout réélus. Il y a donc une forte probabilité pour qu’une Assemblée issue d’une nouvelle dissolution lui soit encore moins favorable que l’actuelle. Dès lors qu’aurait-il à gagner à une nouvelle dissolution ?
A moins, comme c’est aussi probable sous cette hypothèse que le RN augmente suffisamment son nombre de députés pour être soit majoritaire, soit le parti le plus représenté ce qui inciterait Macron à nommer Jordan Bardella premier ministre, option qui était déjà évoquée lors des dernières législatives quand les sondages donnaient le RN vainqueur.
Il me semble que ce serait la seule raison qu’aurait Macron de dissoudre, une raison évidemment inavouable devant les électeurs, lui qui se présentait comme le meilleur rempart à une montée du RN alors qu’il a créé les conditions pour son ascension électorale.
Dans ce cas, la seule vraie raison sous-jacente serait sans doute de parier sur l’effondrement d’un gouvernement RN qui ouvrirait la porte à l’élection d’un successeur qui conduise la même politique. Les impétrants sont nombreux, peut-être trop pour l’instant, mais il s’agit d’un pari, d’une grenade largement dégoupillée, encore plus risqué que celle de sa dissolution de juin dernier, car une fois le RN au pouvoir, en plus dans une Europe qui vire de plus en plus à droite, il sera sans doute très difficile de le faire partir.
Cette situation donne à la gauche l’obligation de rester unie, ce que tous ceux qui sont pour le statu quo ont parfaitement compris en faisant tous leurs efforts pour diaboliser LFI, sans lequel il n’y a pas de gauche qui puisse être victorieuse. Une gauche raisonnable, c’est-à-dire qui fait un nœud sur le cœur de son programme (en particulier l’abrogation de la réforme des retraites et l’imposition des plus riches) n’est raisonnable que pour les macronistes et n’est de gauche pour personne.