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Billet de blog 10 juin 2024

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Mélenchon premier ministre ? la question piège

La situation créée par la dissolution de l'Assemblée nationale au moment où le RN fait une percée spectaculaire impose une union de la gauche sans aucune hésitation. Ce n'est hélas pas gagné.

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Au moment des dernières élections présidentielles, j’avais écrit deux billets plaidant pour un vote Mélenchon dès le premier tour, au motif, vu à quelques semaines de l’élection sa nette avance sur les autres candidats de gauche, que c’était le seul moyen d’avoir un débat de second tour qui porte sur des options politiques ouvrant un avenir bien différent. A l’inverse, continuer à présenter plusieurs candidatures ne pouvait que conduire à l’élection de Macron après une campagne insipide d’entre deux tours, donc « à voir Macron réélu et donc sa politique désastreuse pour les plus défavorisés poursuivie et aggravée, ce qui augmentera encore plus le risque d'une victoire de l'extrême droite en 2027 » comme je l’écrivais en mars 2022.

Le résultat des européennes confirmant la montée de l’extrême droite et la décision de dissolution de l’Assemblée nationale par Macron dans la foulée viennent hélas confirmer ce diagnostic, et ce avant 2027 puisque c’est dès cet été que cette victoire est possible. Le fait même que cette annonce ait été faite seulement quelques minutes après celle des résultats amène à supposer que la décision avait déjà été prise bien avant, sinon elle l’aurait été sur le coup de l’émotion, une hypothèse peu flatteuse pour un chef d’État ayant une si haute opinion de lui-même. Mais si c’est la première supposition qui est la bonne, les réactions de surprise, de stupéfaction et d’inquiétude qui se sont manifestées chez nombre de macronistes, y compris chez des poids lourds comme Gabriel Attal ou Yaël Braun-Pivet l’apprenant par la télévision, confirment le peu de cas que Macron fait de ses partisans et illustrent une fois de plus sa suffisance.

Mais l’heure n’est pas aux regrets, même si ceux-ci étaient largement prévisibles, tant la politique mise en œuvre depuis 2017 ne faisait que légitimer de plus en plus le RN comme LA force d’opposition principale allant jusqu’à lui emprunter ses idées les plus nauséabondes comme avec la loi sur l’immigration, à l’opposé des fanfaronnades proférées dès 2017 proclamant sa volonté de réduire son influence.

Aujourd’hui l’urgence c’est de définir une orientation qui tente de contrer du mieux possible l’arrivée du RN au pouvoir, tout en éliminant le maintien de Macron aux commandes (ou en en réduisant encore l’importance à la future Assemblée s’il décide de ne pas démissionner à l’issue des prochaines législatives[1]).

La réponse n’est guère difficile à trouver : sans une union sans faille de toutes les forces dites de gauche (qu’elles soient considérées comme rouge vif ou rose pâle), c’est-à-dire la présentation d’un candidat unique dans chaque circonscription sans exception, le pire se produira.

Je n’ai évidemment pas la naïveté de croire que ce texte puisse y contribuer de quelque manière que ce soit. Malheureusement la décision appartient aux appareils politiques existants et leur état présent, après l’effondrement de la Nupes et la désastreuse campagne européenne, n’incite guère à l’optimisme (la langue de bois utilisée par Glucksman évoquant l’alliance entre social-démocratie et écologistes sur le modèle des Pays-Bas pour ne pas répondre à la question de la nécessité d’une union le montre). Elle appartient également aux électeurs, mais là-aussi l’heure n’est pas à l’euphorie après le résultat des européennes avec un RN à 31,4%. Non seulement il faut que tous ceux qui ont voté à gauche fassent pression pour des candidatures uniques, mais il faut aussi convaincre de nombreux abstentionnistes de reprendre le chemin des urnes qu’ils avaient déserté. Et en trois semaines !

C’est le coup de poker de Macron qui, considérant justement la désunion de la gauche, parie sur la reconstitution d’un front républicain qui ne pourrait être que plus à droite, intégrant LR et les éléphants socialistes qui n’ont toujours été motivés que par les places juteuses que leur offraient les ors de la République (je vois bien un Cazeneuve se précipiter pour retrouver un pouvoir dont il n’a rien fait quand il y participait, sinon contribuer à faire élire Macron).

Mais au lendemain de ces élections au désastre prévu et de la décision de Macron qui s’en est suivie, je ne me voyais pas non plus publier sur mon blog un autre texte sur un autre sujet (c’est ce que j’avais prévu de faire avec un billet consacré à la décision de la sous-commission du quaternaire de refuser de définir la nouvelle ère que serait l’anthropocène, ce sera pour une autre fois).

Peut-être convaincrais-je quelques lecteurs de s’engager auprès de proches encore indécis ou à signer cette pétition, ou tout autre initiative qu’ils jugeraient utile.

Et dans ce but, il me semble qu’il faut insister sur un piège qui ne peut qu’être amplifié dans les jours avant le premier tour, un piège qui a déjà été amorcé dès les commentaires sur les résultats par des « journalistes » toujours prêts à promouvoir ce qu’ils considèrent comme leur cœur de métier, à savoir faire le buzz, au détriment d’analyses documentées et rationnelles. Je veux parler de l’interrogation insistante auprès des partis de gauche, sans doute avant de la diffuser auprès des électeurs, sur la possibilité que Mélenchon soit premier ministre. Le sous-texte est limpide : seriez-vous prêts à prendre le risque de voir cet homme à Matignon ?

Dimanche soir lors d’un débat sur France 3, elle a d’abord été posée aux représentants de LFI sous une forme plus insidieuse, consistant à sous-entendre que l’union qu’ils défendaient n’était qu’une manœuvre pour amener Mélenchon au pouvoir.

On pourrait bien sûr hausser les épaules en trouvant indécent de parler d’un risque de ce type tout en ouvrant grand les antennes au RN, une décision qui, sous prétexte d’information, revient à dissimuler le risque bien plus grand que le RN représente.

Mais ce serait très insuffisant car derrière cette interrogation sur la possibilité que Mélenchon soit premier ministre, le but c’est de jouer sur les réactions viscérales, rarement argumentées que sa personnalité déclenche chez ceux qui sont sur le mode du « n’importe qui, mais pas Mélenchon ».

Il ne s’agit pas pour moi de dire que sa personnalité ne pose pas de problèmes[2] (mais celle de Macron est bien plus inquiétante et il en a donné des preuves depuis 2017 qui devraient dissuader tous ceux qui pensent encore qu’il puisse être un barrage efficace au RN[3]), et je connais nombre de mes relations, à gauche sans ambiguïté, qui tiennent ce discours.

Il faut arrêter avec ces scrupules mortifères. La question n’est pas de choisir une personnalité qui nous plaise, ni pour une fois de voter contre (ce qui ne sera qu’une conséquence indirecte d’un vote pour une gauche unie), mais de voter clairement pour un changement profond de politique, pour une société plus juste, plus égalitaire ce qui exclut qu’on puisse se perdre dans des querelles partisanes.

La situation est claire : si l’union ne se réalise pas (encore une fois candidature unique dans chaque circonscription), la défaite est assurée et ce sera soit le RN, soit Macron encore plus à droite soit une coalition des deux.

Tout le reste est pour l’instant secondaire. Même le programme tel que le définit LFI dans son communiqué du 10 juin (programme avec lequel personnellement je partage l’essentiel).

Car il ne sert à rien de rassembler sur un programme, fut-il le plus souhaitable, un nombre de suffrages qui exclut qu’il puisse être appliqué car les élections seront perdues.[4]

C’est pourquoi seules quelques grandes orientations stratégiques suffisent : le refus des politiques néolibérales de rigueur, une réelle politique écologique aux effets visibles (climat, biodiversité), des services publics renforcés (éducation, santé, protection sociale, …) des thèmes qui me semblent être partagés par l’ensemble des forces de gauche et doivent être suffisant pour cette union dans l’urgence que nous impose Macron.

Si elles n’y arrivent pas elles en seront les premières responsables.

[1] Une hypothèse peu crédible à mon avis compte tenu de la haute estime de lui-même qui caractérise ce narcissique avéré.

[2] Je prends le risque (bien léger) de me faire incendier par quelques commentateurs qui démarrent au quart de tour sur un mot prouvant surtout qu’ils n’ont pas bien lu ce que j’écrivais. C’est justement contre ce type de réactions épidermiques construites sur des a priori non discutés qu’il faut lutter pour ne regarder que l’essentiel : tout faire pour empêcher que le RN et Macron puissent guider les orientations politiques en France et au-delà.

[3] Ou contribuer à une solution politique en Palestine et en Ukraine.

[4] Et le risque que le programme loin d’unir soit source de désaccords irréconciliables augmente avec le nombre de lignes rouges potentielles qu’il contient. Pour appliquer un programme il faut d’abord être élu. Le programme qui sera réellement mis en œuvre ne peut vraiment se décider qu’après-coup.

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