C’est le nouveau mantra à la mode, seule la sobriété peut nous faire passer un hiver qui pourrait être difficile s’il est rigoureux. Ce mot d’ordre, était plutôt celui des décroissants ou des colapsologues que des ministres macroniens qui ne s’étaient pas illustrés jusqu’ici par une politique environnementale à la hauteur des enjeux. Il faut d’ailleurs noter que cet appel à la sobriété n’est pas causé par les problèmes environnementaux, mais par la crise énergétique à la suite de la guerre en Ukraine et de la décision de Poutine de couper le gaz, en réaction aux rétorsions des européens à l’invasion de l’Ukraine. Mais finalement peu importe le déclic initial s’il nous fait emprunter la bonne trajectoire.
Car il ne fait pas de doute que nous devons sérieusement changer notre mode de vie si nous voulons réduire l’impact du réchauffement climatique, notamment en réduisant notre consommation énergétique. Ce serait finalement le service que nous rendrait Poutine en fermant le robinet du gaz. Et ce qui démontre une fois de plus, que l’humanité ne réagit pas grâce à l’alerte scientifique, largement présente dans le débat public de rapports en rapports depuis au moins vingt ans, ou grâce à l’admonestation morale comme l’a fait le Pape avec son encyclique Laudato Sì, mais grâce à l’irruption brutale d’une menace non anticipée.
C’est ce que j’appelle l’effet Pearl Harbor, en référence à la réaction américaine après l’agression japonaise sur leur flotte. Elle a suscité de leur part un effort de réorientation de toute leur industrie dans la production d’armes, (avions, bateaux) qu’ils auraient jugé impossible avant l’agression.
C’est d’ailleurs la difficulté avec le changement climatique, ses conséquences sont pour l’instant jugées finalement supportables et les gouvernements ne réagissent que très mollement[1].
Il y a pourtant quelques raisons d’être dubitatif quant à l’efficacité de ce mot d’ordre de sobriété.
Il y a d’abord la posture prise pour engager cet effort, à commencer par son nom. Si « chaque geste compte », il n’est peut-être pas astucieux de ne se situer qu’à un niveau incitatif en comptant sur la bonne volonté des ménages et des entreprises pour les mettre en œuvre. Une mesure comme la limitation à 110 km/h pour les fonctionnaires frôlant le ridicule car on voit mal comment on pourrait vérifier son application, alors que cette mesure étendue à tous, comme l’avait proposé la Convention citoyenne pour le climat, outre qu’elle permettrait de sérieuses économies, tant de carburant que d’émissions, serait facilement contrôlable avec les forces de l’ordre, qui n’auraient pas besoin de repérer les fonctionnaires au volant.
Quant à la charte de 15 actions distribuée aux entreprises, comme elle n’a aucun caractère d’obligation, il y a toutes les chances qu’elle reste d’un effet très limité.
Finalement, c’est la logique des « mille petits gestes », qui ne sont certes pas inutiles, mais qui sont loin d’être suffisants pour réellement infléchir significativement la trajectoire que nous continuons à suivre.
Il y a aussi la posture vestimentaire prise par Emmanuel Macron. Après avoir annoncé la fin de l’abondance, il a courageusement mis un col roulé pour bien signifier qu’il en donnait lui-même l’exemple en en subissant les conséquences.
Initiative immédiatement commentée ad nauseam par les médias toujours soucieux de servir de caisse de résonnance aux gestes du pouvoir, quelques ridicules qu’ils soient.
Mais il y a surtout la nature de ces petits gestes qui portent pour l’essentiel sur une réduction de la consommation, la structure de cette dernière restant inchangée.
« Sobriété » serait ainsi le nom « politiquement correct » pour restriction, ce qui risque d’induire l’idée d’une régression de la qualité de la vie et de relancer le refrain bien connu de l’écologie punitive.
C’est oublier que derrière la consommation, il y a la production et qu’en mettant l’accent sur la première, on le met sur le pouvoir d’achat uniquement vu comme la possibilité d’acheter plus de biens privés[2]. C’est donc faire du marché tel qu’il fonctionne aujourd’hui le cadre indépassable où se prennent nos décisions de consommation, alors même que c’est ce cadre qui doit être remis en question. Il faut changer la structure de la consommation et donc se poser la question de ce que l’on produit et avec quoi. C’est évidemment nécessaire pour avoir ce dont nous avons vraiment besoin.
Mais à la place de cette démarche, les mesures gouvernementales se contentent juste d’appeler à consommer moins sans remettre en cause ce que nous consommons. Car pour aller au-delà, il faudrait remettre en cause les décisions de production des entreprises qui se font pour l’essentiel en fonction du profit attendu et non de l’utilité sociale de ce qui est produit, et donc intervenir dans le contrôle des moyens de production, laissé pour l’heure aux actionnaires et à leurs représentants.
Ce serait faire un pas en-dehors du rapport social caractérisant le capitalisme en ne subordonnant pas systématiquement le travail au capital.
On sait que ce n’est pas de ce gouvernement qu’on peut attendre une telle initiative, lui qui multiplie les cadeaux aux entreprises sans jamais leur demander de contreparties.
[1] On en a eu un autre exemple après la crise de 2008 où le système monétaire a frôlé l’écroulement, n’incitant pourtant pas à une réforme profonde, en particulier en séparant banques de dépôt et banques d’affaires.
[2] Voir mon billet du 17 juillet 2022 sur Le piège du « pouvoir d’achat »