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Billet de blog 11 juillet 2024

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Tout plutôt que le Nouveau Font Populaire !

En comparant un passé macroniste aux effets négatifs constatables et un futur pouvoir du NFP imaginaire, les commentateurs ne font que révéler leur attachement à un régime en bout de course

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Malgré une campagne électorale entièrement axée sur le rejet du programme du Nouveau Font Populaire (NFP), son irréalisme, le risque immense qu’il faisait courir à la France aussi bien sur le plan intérieur qu’international, tant moral que matériel, et bien sûr Jean-Luc Mélenchon agité comme un épouvantail, le NFP est arrivé en tête, contre toute attente le soir du dimanche 7 juillet.

Une première place certes relative, dont les commentateurs se sont empressés de souligner la fragilité, d’une part parce qu’elle était loin de lui donner une large majorité lui permettant d’appliquer son programme sans difficultés, mais aussi parce qu’elle était pour une part due aux reports des voies du camp macroniste qui n’avait voté que pour contrer le RN tout en n’acceptant pas le programme du NFP. Un argument tout à fait juste, mais qu’il faudrait aussi utiliser pour expliquer la deuxième place d’Ensemble, dont beaucoup de candidats doivent aux électeurs de gauche d’avoir sauvé leurs sièges, ce qui devrait sérieusement relativiser le « soulagement » qu’ils manifestaient. À quoi il faut aussi ajouter que l’élection de Macron aux deux dernières élections présidentielles n’a également été possible que grâce aux reports de la gauche. Ce qui n’a pas empêché ce dernier de faire toutes les réformes qui étaient à son programme à coup de 49.3, au prétexte qu’il les avait annoncées, même avec une majorité relative à son second quinquennat, avec ce point d’orgue de la réforme des retraites, imposée contre l’avis de 80% de la population. Tout en ayant dit en 2022 après sa victoire, qu’il était conscient de ce qu’il devait aux électeurs de gauche et que ce résultat l’engageait. On a peine à imaginer ce qu’il aurait fait s’il avait eu une majorité à sa botte et s’il ne s’était pas senti « engagé » !

Ce que je trouve le plus sidérant[1] dans cette situation, c’est l’incroyable dissymétrie dans les commentaires entre le silence sur le constat d’un échec réel du macronisme pendant ses sept ans de pouvoir, et le danger futur que représenterait le NFP. L’échec de Macron est une réalité objectivable y compris selon des critères néolibéraux (une augmentation de la dette de près de 900 milliards d’euros, des emplois aidés peu qualifiés qui coûtent un « pognon de dingue » aux contribuables), une montée du RN spectaculaire quand il avait affirmé que sa première préoccupation serait de supprimer les raisons qui amenaient tant d’électeurs à voter pour lui, une répression policière (sans bavures !) qui nous ramène au temps de la guerre d’Algérie, des services publics exsangues, des inégalités qui explosent au bénéfice des plus riches, … la liste est longue.

De l’autre côté, il n’y a évidemment pas de faits pour justifier la catastrophe annoncée puisqu’elle n’est pas encore advenue. À la place, on a la désinformation, le mensonge et une étrange capacité à lire dans l’avenir quand on se révèle incapable d’analyser le passé. C’est ainsi que le programme du NFP est présenté comme étant critiqué par « les économistes » alors qu’il a été défendu par plus de 300 d’entre eux dont Thomas Piketty dont les titres universitaires n’ont rien à envier à ceux d’Olivier Blanchard, ancien économiste en chef du FMI jugeant ce programme dangereux (en fait c’est la gauche qui est par nature dangereuse quoi qu’elle propose) et pire que celui du RN, rejoignant la position du président du Medef Patrick Martin. Une prévision qui pourrait bien connaître le même sort que celle des anticipations du FMI sur les conséquences de la consolidation budgétaire sur la croissance économique européenne jugées après-coup trop « optimistes » qui lui avait coûté un mea culpa, et beaucoup plus cher à la Grèce en 2010 (qui n’a sans doute pas donné le même sens qu’Olivier Blanchard au mot « optimisme »).

Et Jean Tirole, auréolé d’un « prix Nobel », le suit quand il explique que « tout citoyen soucieux de conserver notre système social et notre démocratie libérale » doit s’inquiéter aussi bien du programme du RN que de celui du NFP (c’est la même rhétorique que Macron sur les deux « extrêmes » RN/NFP). Les deux conduisant à une charge de la dette impliquant que les investissements dans l’éducation, la santé ou la transition écologique en souffriraient. Un « argument » qui une fois de plus met l’accent sur un futur apocalyptique en oubliant que l’éducation, la santé et la transition écologique sont déjà sinistrées pour les deux premières ou inexistante pour la seconde après sept ans de macronisme, une « protection » de notre système social bien particulière !

Quant à Esther Duflo, elle aussi reconnue comme une économiste « sérieuse » (ce que ne sont pas par principe ceux qui approuvent le programme du NFP) avec son « prix Nobel », loin de décréter ce programme dangereux, souligne qu’il est fondé sur « les valeurs fondamentales de la gauche de gouvernement : un équilibre entre production, redistribution et écologie ». Une position très différente de l’annonce de la catastrophe ou la stigmatisation de son caractère « extrémiste ».[2]

Maintenant que les élections sont passées, le déchaînement médiatique continue, non pas pour critiquer la gestion de Macron, qui, à rebours de ses martiales déclarations, a quand même réussi à donner une représentativité parlementaire au RN dont ce dernier ne rêvait sans doute pas il y dix ans (sans diminuer, bien au contraire, la probabilité d’une victoire de Marine Le Pen en 2027), mais soit pour « expliquer » que les divisions du NFP empêcheraient la mise en œuvre de son programme, soit pour espérer que certaines de ses composantes (PS, une partie des écologistes) puissent se rallier à une coalition avec les macronistes et les LR refusant le RN. Une alliance soit gestionnaire en attendant on ne sait quoi, soit appliquant la même politique qu’avant les élections. On a connu des situations plus « clarifiées » que celle qui était voulue dans ce but selon Macron avec sa dissolution.

Là-aussi les médias en restent au « jeu » politique superficiel qui se résume pour eux à des petites phrases assurant le buzz. Il fallait voir dès 20h le dimanche de quelle manière Anne-Sophie Lapix et Laurent Delahousse insistaient auprès des représentants du NFP pour qu’ils s’expriment sur la possibilité de Jean-Luc Mélenchon comme premier ministre et la supposée fragilité du NFP, tout en laissant sans réagir Jean-François Copé les interrompre systématiquement, en expliquant que la seule solution raisonnable pour la France était de trouver une coalition prête à poursuivre la même politique (le RN a dû applaudir). Ou entendre Nathalie Saint-Cricq citer avec gourmandise (deux fois) le qualificatif « d’adulte » qui caractériserait selon Raphaël Glucksmann l’aile « raisonnable » du NFP, une aile qu’elle avait la bonté d’étendre des écologistes à Place publique (allant sans dire qu’Ensemble et LR en faisaient également partie, du moins le LR « raisonnable »).

Pour ces journaleux, le smic à 1600 euros est une hérésie quand ils ne disent rien sur les 6,5 millions d’euros qu’ont touché en moyenne les dirigeants du CAC 40 en 2022[3] (soit cent ans d’un salaire moyen) ou le retour à la retraite à 62 ans serait impensable. Pour eux, et c’est l’idée qu’ils s’échinent à décliner sous toutes ses formes possibles, la gauche au pouvoir ne peut que conduire au chaos. Et puisque ce futur est certain, il n’y aurait pas d’autres solutions raisonnables que de continuer comme avant, tout en utilisant leur audience pour en convaincre les auditeurs. Que ce soit à France inter (mardi 9 juillet Le téléphone sonne s’interroge gravement sur qui pour gouverner, comment et quand mais surtout pas pour quoi faire, tout en donnant la parole comme premier auditeur à quelqu’un qui considère l’immigration comme le problème principal), à C dans l’air sur France 5 ou dans les JT de France 2, la future division du NFP, actée avant même qu’on en perçoive le moindre signe, est la « preuve » de l’impossibilité d’appliquer son programme (et heureusement)[4].  

En fait, à les écouter, quel que soit le résultat des élections, le NFP ne peut (ne doit) pas gouverner. On en avait déjà fait l’expérience en 2005 après le référendum sur la constitution européenne remporté par le non avec 55% des voix, un verdict contourné en 2007 avec le traité de Lisbonne, montrant le peu de cas que les élites au pouvoir faisaient de la démocratie quand elle s’exprime dans les urnes. Il est donc « normal » qu’ils redoublent d’efforts, une fois les élections passées, pour discréditer par avance l’idée d’une France gouvernée à gauche et taire les impasses bien présentes où nous ont conduit les gouvernements précédents (et ce depuis quarante ans).

[1] En fait, c’est une façon de m’exprimer, car la sidération passe vite quand on sait à quel point les médias sont contrôlés par une minorité de milliardaires ou subissent, au sein des rédactions, les consignes éditoriales de responsables qui sont pratiquement tous des adversaires des politiques de gauche. 

[2] De fait, il ne s’agit pas d’un programme dont l’objectif est de remettre fondamentalement en cause le capitalisme, ne serait-ce que d’en entamer le processus (ce qu’on peut regretter, c’est mon cas), mais de redistribuer plus équitablement entre capital et travail la richesse produite. Ce qui s’explique par la composition du NFP, une organisation composée notamment de sociaux-démocrates ou d’écologistes qui pensent encore que le capitalisme est réformable. Et même LFI reste sur cette ligne loin de pouvoir être qualifiée d’extrême gauche. Il est vrai que sous le macronisme, les mots perdent souvent leur sens et sont même utilisés pour dire le contraire de ce que l’usage implique.

[3] La dernière année où l’on dispose de données complètes.

[4] Et je ne tiens pas compte ici des réseaux dits sociaux ou des chaînes d’info en continu, toutes conquises par la droite.

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