Moment sidérant à la télévision mardi soir. A l’occasion du sommet des Nations Unies sur l’océan qui se tient à Nice, France télévision y a consacré une émission spéciale, Urgence océan (un sommet pour tout changer), annoncée par de multiples spots les jours d’avant. Présentée par l’incontournable Léa Salamé et Hugo Clément[1], dès sa présentation, annonçant le besoin vital de préserver les océans « si nécessaires à notre survie », elle explique sans rire que va les rejoindre le président de la république, Emmanuel Macron tellement convaincu de « l’avenir de nos enfants et de nos petits enfants qu’il a tenu à être là[2] », pour répondre aux questions que de nombreux invités ne vont pas manquer de lui poser (dont quatre « grands témoins », Thomas Pesquet, Marie-José Pérec, Laurent Ballesta et Heïdie Sevestre).
A la fin de cette annonce, on a la chance de voir Emmanuel Macron, concentré, les yeux fermés, prêt sans doute à nous éclairer sur les dangers que nous courons si nous n’arrivons pas à protéger les océans. Puis vient un extrait de son discours de la veille devant les participants au sommet, martelant l’importance de préserver du marché tout ce qui touche aux océans (les abysses, l’Antarctique, la haute mer).
Hugo Clément, co-animateur de l’émission prend alors le relais pour préciser que nombreux sont ceux qui critiquent la politique de la France sur la protection des océans et que ce soir il n’y aura aucune question interdite, aucun tabou.
Évidemment, connaissant la propension d’Emmanuel Macron à reconnaître des erreurs, on ne s’attend guère à une quelconque autocritique, ou même à la moindre reconnaissance d’insuffisance dans l’action gouvernementale. Et d’ailleurs Hugo Clément nous en avertit, depuis deux jours, il bataille face aux chefs d’États pour les convaincre de sauver ces si précieux océans.
Puis vient un petit film qui insiste sur deux points, par la voix de Sophie Marceau pleine de gravité : la dégradation des océans (surpêche, pollution) et l’espoir qui repose sur l’action de tous, car c’est à « nous » d’agir et « nous » pouvons tous faire quelque chose.
Ensuite l’émission commence vraiment et on peut passer aux choses sérieuses, les sujets sans tabous. C’est d’abord un portrait d’Emmanuel Macron enfant qui suscite cette question si sérieuse et dont la réponse a dû tarauder les téléspectateurs avant de la connaître, de savoir l’âge qu’il avait quand elle a été prise. Et la deuxième, tout aussi importante, de nous dire ce qu’il avait ressenti la première fois où il a plongé sa tête sous l’eau à la mer.
Après cette entrée en matière dont toute la dramaturgie, les paroles, les images, ont une odeur insupportable de cirage de pompes, on aborde enfin les choses sérieuses.
Emmanuel Macron prend la parole, nous explique tout, se félicite (une constante), se dit fier de tout le monde et résiste autant qu’il le peut aux interventions de Léa Salamé lui expliquant que chacun des points qu’il aborde en spécialiste « pour que nous comprenions bien les enjeux dit-il » vont être abordés dans la suite de l’émission. On sent, dès ces premiers propos, qu’il a déjà des réponses à tout et qu’il est capable de faire un cours magistral sur le sujet.
Il en arrive à irriter Léa Salamé qui n’arrive pas à lui couper la parole en insistant sur tous les bénéfices que son action a apporté aux Français (baisse du chômage, création d’emploi, division par deux des émissions entre 2018 et 2020[3], …).
La suite aborde enfin les questions « qui fâchent ». La pollution plastique, la France est évidemment au premier rang et a déjà fait beaucoup et va continuer à jouer un rôle de leader. Sur le synthétique dans les vêtements, un « sondage » maison indique que les Français sont à 95% d’accord[4] pour acheter moins de synthétiques, mais paradoxalement, c’est une marque chinoise, leader sur le marché des synthétiques, qui a de loin le plus de succès. C’est un paradoxe qu’Emmanuel Macron fait sien à 100%, mais qui pour lui s’explique très simplement par le fait que les gens sont mal informés et ne sont pas conscients du lien entre le citoyen et le consommateur, « parce que ces choses sont complexes ». Heureusement qu’il est là pour éclairer ces benêts de Français, car la France (lui) est à la pointe du combat.
Sur le chalutage de fond qui est pratiqué en France dans la quasi-totalité des eaux, qu’elles soient labellisées protégées ou non, et qui conduit à une surpêche effroyable, rejetant plus des trois-quarts des captures, on l’entend une nouvelle fois dire que la France est aux avant-postes et que les images qui ont été montrées où l’on voit les ravages d’un chalutage de fond sont dues à un bateau qui n’est pas français. Là on est au niveau de la cour de récréation de CP : "c'est pas moi m'sieur, c'est l'autre". Car « la France est bonne élève et fait beaucoup moins de chalutage de fond que les copains » (comprenez tous les vilains autres pays que la France s’est donnée pour mission de convaincre de faire comme elle). Et si on veut aller plus loin, car les animateurs essaient cette fois-ci[5] de lui demander des réponses, il dit qu’il a besoin d’aide. Effectivement, le pauvre fait déjà tant ! Et puis il y a aussi Trump, désigné du doigt plusieurs fois au cours de l'émission qui est finalement le grand responsable de la situation et qui personnifie à merveille cet "autre" qui sert à Macron à se dédouaner.
Mais les meilleurs moments ont une fin et Emmanuel Macron doit nous quitter. Il est donc temps de conclure et de lui faire oublier l’insistance des présentateurs à tenter parfois de le pousser dans ses retranchements. Alors Hugo Clément envoie la patate chaude à Marie-José Pérec en lui demandant si Emmanuel Macron l’a convaincue. On la sent très gênée et elle s’en tire par une pirouette en expliquant qu’elle a beaucoup appris. La dernière touche au cirage de pompes peut s’effectuer et c’est dans des cascades de remerciements que cette interview exceptionnelle « sans tabous » prend fin[6].
Il reste encore une heure avec de nombreux intervenants qui témoignent de la nécessité d’agir mais qui, au moment de conclure, ne peuvent qu’exprimer des vœux pieux qui renvoient la responsabilité sur chacun d’entre nous. Y voir un espoir à « sauver l’océan » est pour le moins présomptueux. D’autant que les solutions qui étaient promises lors des annonces de l’émission sont faméliques. Une évocation de « cinq petits gestes », et le mot de la fin pour les « grands témoins ». L’importance de l’éducation ou chacun de nous a le devoir de s’informer dit Thomas Pesquet, la nécessité de « faire ce que vous devez faire » pour Marie-José Pérec, regarder le monde réel pour Laurent Ballesta, quant à Heïdie Sevestre il faut toucher le cœur. Des « conseils » qui risquent fort de ne pas être suffisants pour « sauver les océans » et qui font de chacun de nous les responsables de la situation.
Que retenir de cette émission qui a permis à Emmanuel Macron de parler 90% du temps pour nous dire à quel point la France était le meilleur élève (et lui-même le meilleur maître) ?
La leçon la plus évidente est qu’imaginer que lui donner la parole sans réelle contradiction, peut déboucher sur autre chose qu’une auto-glorification. Et la seconde c’est la nécessité d’organiser une émission aussi longue avec des scientifiques qui ne soient pas réduits à être des faire-valoir. Une émission qui n’a aucune chance de voir le jour.
[1] Un « journaliste et militant écologiste français connu pour son engagement en faveur du bien-être animal » dit Wikipédia. Sa prestation durant l’émission peut faire douter de son engagement écologiste.
[2] Dixit Léa Salamé suggérant ainsi qu’Emmanuel Macron s’est invité pour éclaircir l’avenir de nos enfants et petits-enfants. Et il faut voir le petit sourire d’Hugo Clément quand elle prononce ces mots, un sourire d’acquiescement et de plaisir d’offrir aux spectateurs la chance d’écouter leur président sur un sujet si crucial. Un sourire qui le disqualifie d’emblée pour être un animateur impartial, déjà convaincu qu’il est de la sagesse de son invité.
[3] Oubliant que le Covid qui a mis l’économie à l’arrêt est la première cause de cette baisse.
[4] Un pourcentage qui n’a aucune valeur car il sort d’un questionnaire de la chaîne auprès du public sans partir d’un échantillon représentatif.
[5] Car il n’hésite pas à leur couper la parole pour « bien mesurer les enjeux », « recadrer le débat sur le fond », bref à expliquer à tous ceux qui ne comprennent rien et visiblement aux présentateurs qui ont le mauvais goût d’insister, la bonne façon d’aborder ces questions.
[6] Un des moments assez piquant de la fin de cette émission est l’ode à la science et à la nécessité de la recherche scientifique sur laquelle, Emmanuel Macron nous l’assure, il va veiller personnellement. Car c’est « notre feuille de route » dit-il sans rire, citant l’UCN le GIEC, l’IPES qui pourtant multiplient vainement depuis des années les exhortations aux gouvernements à agir.
 
                 
             
            