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Billet de blog 13 juillet 2024

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Une coalition, mais pour quoi faire ?

De tous côtés on réclame une coalition basée sur des compromis. Ce consensus à la nécessité de s’entendre, présenté comme une nécessité de bon sens pour gouverner le pays est pourtant tout aussi fausse qu’elle est matraquée dans les médias. Car la bonne question, ce n’est pas de savoir avec qui gouverner, mais pour quoi faire ?

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Emmanuel Macron, dans une lettre aux Français publiée dans la presse régionale, a donné sa lecture très personnelle des résultats des législatives et le cap à suivre pour sortir de la crise institutionnelle où il a plongé le pays : bâtir une majorité solide et plurielle à partir « des forces politiques se reconnaissant dans les institutions républicaines ». Mais dès l’annonce des résultats, nombreux étaient ceux qui avaient mis en avant l’idée, à partir du constat d’une France ingouvernable, d’une coalition « raisonnable », c’est-à-dire sans LFI et sans le RN. Dans un sondage BFMtv, on apprend que 7 français sur 10 ne sont pas satisfaits de la nouvelle Assemblée nationale[1] et seulement 30% sont favorables à un gouvernement uniquement NFP. Des politiques macronistes, Gérald Darmanin et Aurore Berger en tête, s’agitent sans relâche pour défendre cette idée. Et le soir du second tour, Edouard Philippe ou Jean-François Copé défendaient la même idée. Quant à Gabriel Attal, il jure ses grands dieux qu’il « protégera » les Français d’un gouvernement où il y aurait un RN ou un LFI.

Elle est également instillée via des micros-trottoirs avec une majorité de questionnés qui, par bon sens puisqu’il est entendu qu’il faut bien que la France soit gouvernée, se déclarent favorables à des compromis entre forces politiques.

Dans une tribune de Libération (du 10 juillet), Thomas Legrand prend de la hauteur invoquant un « principe de réalité » qui va pousser la gauche (toute ou partie précise-t-il après avoir écrit que ce serait sans doute sans Jean-Luc Mélenchon) « s’entende avec une grande part du reste de l’hémicycle pour créer une majorité relative suffisamment substantielle » pour répondre à la demande des Français « depuis maintenant deux législatures : former des coalitions, élaborer des solutions majoritaires ».

A l’appui de cette orientation, on ne manque pas de dire que la France est le seul pays qui ne pratique pas la « culture du compromis », comme elle est bien évidemment complètement réfractaire aux réformes. C’est ce que déplore Thomas Legrand dans sa tribune du 12 juillet dans Libération, une analyse qu’il justifie par le vote des Français qui selon lui est « clair : entendez-vous, dégagez des compromis ». On pourrait pourtant penser que le vote de ces pauvres Français à qui on fait dire ce que l’on veut est plutôt une demande de ne pas continuer la politique actuelle tout en refusant que ce soit le RN qui soit en charge de la nouvelle.

Ce consensus à la nécessité de s’entendre, présenté comme une nécessité de bon sens pour gouverner le pays est pourtant tout aussi fausse qu’elle est matraquée dans les médias. Car la bonne question, ce n’est pas de savoir avec qui gouverner, mais pour quoi faire ? Comme la prétendue allergie des Français à la réforme n’en est une que si on ne se pose pas la question du contenu de cette réforme.

Car c’est bien cette question qui est occultée par tant de commentateurs et de politiques et qui se cache derrière l’invocation à « être raisonnable » qui divise les individus en deux parties, ceux qui le sont et les autres. Ce qui est d’ailleurs une autre manière de brouiller le débat en le ramenant sur les personnalités des individus et par sur les politiques qu’ils défendent. Sur ce critère, Macron devrait démissionner immédiatement tant une grande majorité de Français le trouve odieux et tant les résultats de sa politique subie pendant sept ans sont calamiteux pour la majorité des Français (ce qui explique aussi en partie le report d’une partie de ceux qui ont voté pour le RN, notamment de ses nouveaux électeurs).

Il ne s’agit pas de dire avec qui on gouverne, question qui se réduit le plus souvent au nom du futur premier ministre, la vidant encore plus de son sens. Une réduction qui fait l’ordinaire des médias mais qui est d’autant moins pertinente quand c’est Macron qui reste président, tant la concentration du pouvoir qu’il personnifie ne peut que laisser au gouvernement et donc à son premier ministre un rôle subalterne. Car il ne faut pas douter que s’il arrive à former la coalition qu’il espère, c’est pour continuer (et même accentuer) la politique des sept dernières années, et donc à décider de tout. Et l’agitation dont il fait preuve depuis, allant du refus du résultat à la grosse colère contre les principaux responsables de son gouvernement[2], en passant par sa lettre aux Français, ne fait que prouver à la fois sa volonté de rester maître du jeu et son aveuglement à comprendre la situation de crise dans laquelle il a mis, pratiquement tout seul, le pays.

Mais si on regarde les grandes orientations qui sont derrière les programmes, les choses deviennent beaucoup plus claires. Celle du RN est de diviser les Français selon leur origine ethnique et leur religion en donnant des garanties aux (grandes) entreprises de ne pas perturber le business as usual. Celle de Macron est la poursuite d’une politique néolibérale autoritaire avec la continuation de la casse des services publics et le soutien sans faille au capital. Et celle du NFP est la relance de la consommation par l’augmentation du pouvoir d’achat en augmentant le smic, le point d’indice des fonctionnaires et en taxant les plus riches (relèvement de leurs impôts, suppression des subventions sans contreparties aux grandes entreprises, mise place d’un ISF ciblant les plus gros patrimoines et dont Gabriel Zucman a montré la faisabilité, une proposition que Le Figaro se dépêche de trouver « énigmatique »[3]).

Bien sûr, ce n’est pas sur ces lignes de fractures qu’est mis l’accent médiatique. Là-aussi la nature des commentaires révèle la prégnance des idées de droite dans les médias. Rien n’est dit sur le bilan de Macron pour se concentrer essentiellement sur le programme du NFP en le caricaturant. Par exemple en présentant les hausses d’impôt qu’il défend comme concernant tout le monde alors qu’elles ne concernent que les plus riches et les grandes entreprises.[4] Et si le programme du RN est jugé dangereux, c’est pour ajouter aussitôt que celui du NFP est pire.

Ce qui justifie l’acharnement mis à diaboliser LFI qui serait l’âme damnée du NFP (à exorciser le plus vite possible), et qui se traduit par les nombreuses déclarations de partisans de la ligne Macron expliquant qu’en cas de gouvernement NFP avec le moindre soupçon de LFI[5] la censure serait activée. Mais ces postures offensives qui se présentent comme des défenses intransigeantes des « valeurs » de la République, ne font en réalité que révéler la panique d’un bloc bourgeois devant la moindre velléité de répartition entre capital et travail.

Et en parallèle, on mesure à quel point la « menace » RN est acceptée, conséquence logique de sa dédiabolisation. Et pour n’en donner qu’une preuve, mais déterminante, il faut remarquer que si le RN avait gagné les législatives, Jordan Bardella aurait été nommé premier ministre par Macron, alors qu’il fait tout pour ne pas en nommer un du NFP.

La nomination de Bardella aurait été, paraît-il, le moyen imparable de montrer l’incapacité du RN à gouverner la France, détruisant ses chances à la prochaine présidentielle, à cause d’un manque de cadres compétents[6] et d’un programme incohérent économiquement.

Mais alors, si le programme du NFP est encore plus dangereux et conduisait la France au désastre, pourquoi ne pas prôner la même attitude : nommer un premier ministre NFP et le laisser gouverner pour que les Français se rendent rapidement compte de son incapacité à le faire[7].

C’est que la gauche, même quand elle n’est pas extrême comme le NFP (lire l'article de Romaric Godin), contrairement à la propagande qui cherche à convaincre les électeurs du contraire, reste toujours l’ennemi à abattre. Ce que confirme le comportement des électeurs de chaque camp lors des reports du second tour, 72% de ceux du NFP votent pour un candidat de droite[8] quand moins de 50% de ceux de droite le font en faveur du NFP (et moins de 43% quand il fallait voter pour un LFI et pour les électeurs LR, un report de 29% en faveur de LFI mais de 34% pour le RN). Ce n’est évidemment pas un scoop que la droite est prête à s’accommoder de l’extrême droite s’il faut empêcher la gauche de venir au pouvoir et la situation actuelle le montre une fois de plus.

En réalité, au-delà de toutes les désinformations, les mensonges et la diabolisation du NFP, le choix est clair : soit la poursuite de la politique actuelle accroissant encore les inégalités, la casse des services publics et la destruction de l’environnement (ce que Bruno Lemaire, ce maître de la bonne gestion, a déjà annoncé avec 25 milliards de coupes supplémentaires dans les dépenses), soit le programme du NFP, sinon dans sa lettre du moins dans son orientation principale, soit exactement le contraire de la précédente[9].

Former une coalition « républicaine » pour tenter de faire encore un peu perdurer la première, c’est transformer la nationale macronienne qui a déjà conduit à sa percée actuelle en une autoroute A69 qui le mènera au pouvoir en 2027. La seule coalition qui vaille c’en est une qui annonce clairement ce choix de rupture.[10]

[1] Ce qui n’a rien d’étonnant ni d’indicatif sur ce que voudraient les Français. D’une part parce que, vu les résultats, chacun des blocs élus ne peut être satisfait de voir les deux autres aussi importants, ce qui implique une proportion d’un tiers de satisfaits et donc du reste mécontent, ce qui donne bien le résultat du sondage. D’autre part, parce que la question telle qu’est elle posée (êtes-vous satisfait) ne dit rien de leurs attentes. Là-encore, en se restreignant sur la composition de l’Assemblée, on ne dit rien sur la façon dont les Français jugent le contenu des politiques défendues.

[2] On l’imagine très bien, rouge de colère et piétinant le sol, comme un enfant de trois ans qui n’a pas instantanément ce qu’il veut. Il ne reste qu’à espérer le voir se rouler par terre en pleurant quand il comprendra (peut-être) qu’avoir ce qu’il veut est impossible.

[3] L’emploi de ce qualificatif est l’indice que la proposition n’est pas complètement débile, sinon Le Figaro n’aurait pas manqué de l’expliquer en long et en large. Énigmatique, c’est ambigu mais pas inepte ou impossible.

[4] Là-aussi le mensonge (par omission) reste dominant en ne disant pas que des aides seraient mises en place pour les petites entreprises qui verraient leurs charges salariales trop augmenter.

[5] Comme Mathieu Lefèvre, Maud Bregeon, Benjamin Haddad ou encore Caroline Yadan qui agitent la même menace sur le réseau social X, ou Xavier Bertrand, Edouard Philippe  et Christophe Béchu (Mediapart), la palme du ridicule revenant à David Amiel qui soutiendrait la censure d’un « gouvernement avec le moindre ministre LFI, même sous-secrétaire d’État aux eucalyptus »

[6] Mais avec des cadres racistes et/ou xénophobes en nombre, comme les dizaines de candidats qu’il a intronisé que plusieurs médias dont Mediapart et Libération avaient recensés, sans que les médias principaux s’en soient fait l’écho (une exception a été France 3 dans ses éditions régionales), préférant une campagne de désinformation contre le NFP en général et LFI en particulier, accusé d’ambigüités antisémites quand les déclarations des candidats RN ne l’étaient pas du tout mais ne trouvaient pas la place qu’elles auraient mérité si le RN avait été considéré comme vraiment dangereux par ces médias même quand elle n'est pas extrême.

[7] En invalidant, en prime, une bonne fois pour toutes ses chances à la présidentielle.

[8] C’est-à-dire un macroniste ou un LR. Il faut cesser de dire que les premiers sont du centre, même centre droit.

[9] Le choix du RN n’est pas (encore) d’actualité comme le montre nettement son rejet lors des élections.

[10] Une rupture très relative, car il ne s’agit pas de remettre en cause le capitalisme, mais c’est encore trop pour le capital, même si la crise qui le remet fondamentalement en cause s’approfondit et sape ses chances de durer à long terme. Un long terme que le changement climatique va d’ailleurs rapprocher fortement, faisant mentir Keynes qui écrivait qu’à long terme nous serions tous morts.

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